Editorial : Une diplomatie masquée

A Wuhan, après cinq jours sans nouveau cas déclaré de Covid-19, un médecin de 29 ans était diagnostiqué positif au virus, probablement contaminé par l’un de ses patients asymptomatiques. Ils seraient au moins 43 000 à ne pas présenter de signes de la maladie, mais ces cas ne sont pas inclus dans le décompte officiel. Cette problématique ravivait les soupçons pesant sur les chiffres donnés par le gouvernement chinois. Une situation qui conduisait le Premier ministre Li Keqiang à admonester les autorités locales à ne cacher aucun cas, les réflexes politiques ayant la vie dure. Ce rappel à l’ordre révèle que le gouvernement lui-même commence à s’inquiéter du danger que peut comporter des chiffres trop optimistes. Moins d’une semaine après la réouverture des cinémas, ils fermaient à nouveau… Mais globalement, il faut croire que les choses s’améliorent puisque les restrictions frappant le Hubei ont été levées – Wuhan fera de même le 8 avril. Outre la visite du Président Xi Jinping le 10 mars, c’est le plus fort signal émis jusqu’à présent par Pékin. Dans 15 provinces, la réouverture des écoles a déjà été annoncée, et les rumeurs vont bon train concernant la date de la prochaine session du Parlement. Pour éviter une résurgence du virus, seuls les habitants du Hubei présentant un code QR de santé « vert » pourront voyager. Ils sont 300 000 à être attendus à Pékin seulement. Toutefois, ces retours se déroulent dans la confusion, révélatrice d’une inquiétude sous-jacente. A la frontière entre le Hubei et le Jiangxi, le déblocage d’un pont provoquait un affrontement entre les deux polices provinciales…

Aux douanes du pays, le contrôle se resserre : la Chine a temporairement suspendu l’entrée des voyageurs étrangers, même titulaires d’un permis de résidence. La tutelle de l’aviation chinoise (CAAC) restreignait le trafic des compagnies aériennes à une seule liaison internationale hebdomadaire, à 75% de capacité. Cela représente l’arrivée quotidienne de 5 000 passagers, cinq fois moins qu’en temps normal. Alors que de nombreux pays (dont les Etats-Unis) ont déjà fermé leurs frontières, la Chine a tardé à le faire, ayant été la première à dénoncer les décisions de ses partenaires étrangers.

Alors pourquoi avoir tant attendu ? Certes, le nombre de cas importés ne cesse de grimper (693 cas au 28 mars), mais 90% d’entre eux sont des ressortissants chinois (dont une moitié d’étudiants), et donc non concernés par cette décision. Les internautes chinois suspectaient plutôt un lien avec le G20, qui se tenait en vidéo-conférence la veille. Déçue des mesures sanitaires prises par ses partenaires, la Chine a préféré se refermer. Pourtant, le sommet avait pour but de renforcer la coopération internationale, l’occasion pour Xi Jinping de promouvoir son concept de « communauté de destin pour l’humanité ». Profitant de la faiblesse actuelle des Etats-Unis (dont le bilan vient de dépasser celui de la Chine, avec plus de 115 000 cas ), Pékin veut se présenter en leader responsable et fiable. A ce jour, elle se targue d’être venue en aide à 89 pays.

En effet, le Président chinois a passé beaucoup de temps au téléphone ces derniers jours avec ses homologues européens. Avec la France, la Chine prépare un « pont aérien » pour livrer 1 milliard de masques en 56 rotations. Aux Espagnols, elle a déjà vendu pour 432 millions d’€ d’équipements – outre des centaines de milliers de tests qui se sont avérés défectueux (un souci de qualité que partageaient les Tchèques et les Hollandais). Pour les Italiens, la main tendue chinoise a été salvatrice, quand Bruxelles était aux abonnés absents. En Serbie, pays candidat à l’UE, le Président Vucic embrassait le drapeau chinois à la réception de plusieurs tonnes d’équipements, qualifiant la solidarité européenne de « fiction ». Il n’en fallait pas plus pour que le chef de la diplomatie de l’Union Européenne, Josep Borrell sonne l’alarme : « une bataille d’influence a lieu, visant à discréditer l’UE (auprès de ses propres membres) ». De fait, la Chine ne connait que trop bien les points faibles de l’Union, notamment en s’adressant directement aux leaders nationaux plutôt qu’à ses représentants.

Pour rejeter toute idée de sauvetage du Vieux Continent par la Chine, ces aides sont présentées comme de simples retours d’ascenseur. Mais cette diplomatie masquée est-elle véritablement désintéressée ? Sans nier une part d’altruisme, impossible de ne pas penser au déploiement de la 5G, un sujet sur lequel plusieurs pays du bloc ne se sont pas encore prononcés. De plus, alors que les différents envois de matériel européen vers Wuhan se sont déroulés dans une certaine discrétion afin d’éviter de mettre la Chine dans l’embarras, le contraste est saisissant avec la communication menée par Pékin aujourd’hui. Bien sûr, ces masques sont les bienvenus, mais ils ne suffiront probablement pas à influencer la stratégie européenne. D’autant plus que cette épidémie a révélé sa dépendance envers la Chine dans des domaines stratégiques… Pour Pékin, l’année 2020 devait être celle d’un rapprochement avec l’Europe. Si l’amitié entre la Chine et diverses nations a été démontrée, le climat de suspicion qui prévaut à Bruxelles ne semble pas près de se dissiper.

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