Le Vent de la Chine Numéro 13 (2020)

du 29 mars au 10 avril 2020

Editorial : Une diplomatie masquée

A Wuhan, après cinq jours sans nouveau cas déclaré de Covid-19, un médecin de 29 ans était diagnostiqué positif au virus, probablement contaminé par l’un de ses patients asymptomatiques. Ils seraient au moins 43 000 à ne pas présenter de signes de la maladie, mais ces cas ne sont pas inclus dans le décompte officiel. Cette problématique ravivait les soupçons pesant sur les chiffres donnés par le gouvernement chinois. Une situation qui conduisait le Premier ministre Li Keqiang à admonester les autorités locales à ne cacher aucun cas, les réflexes politiques ayant la vie dure. Ce rappel à l’ordre révèle que le gouvernement lui-même commence à s’inquiéter du danger que peut comporter des chiffres trop optimistes. Moins d’une semaine après la réouverture des cinémas, ils fermaient à nouveau… Mais globalement, il faut croire que les choses s’améliorent puisque les restrictions frappant le Hubei ont été levées – Wuhan fera de même le 8 avril. Outre la visite du Président Xi Jinping le 10 mars, c’est le plus fort signal émis jusqu’à présent par Pékin. Dans 15 provinces, la réouverture des écoles a déjà été annoncée, et les rumeurs vont bon train concernant la date de la prochaine session du Parlement. Pour éviter une résurgence du virus, seuls les habitants du Hubei présentant un code QR de santé « vert » pourront voyager. Ils sont 300 000 à être attendus à Pékin seulement. Toutefois, ces retours se déroulent dans la confusion, révélatrice d’une inquiétude sous-jacente. A la frontière entre le Hubei et le Jiangxi, le déblocage d’un pont provoquait un affrontement entre les deux polices provinciales…

Aux douanes du pays, le contrôle se resserre : la Chine a temporairement suspendu l’entrée des voyageurs étrangers, même titulaires d’un permis de résidence. La tutelle de l’aviation chinoise (CAAC) restreignait le trafic des compagnies aériennes à une seule liaison internationale hebdomadaire, à 75% de capacité. Cela représente l’arrivée quotidienne de 5 000 passagers, cinq fois moins qu’en temps normal. Alors que de nombreux pays (dont les Etats-Unis) ont déjà fermé leurs frontières, la Chine a tardé à le faire, ayant été la première à dénoncer les décisions de ses partenaires étrangers.

Alors pourquoi avoir tant attendu ? Certes, le nombre de cas importés ne cesse de grimper (693 cas au 28 mars), mais 90% d’entre eux sont des ressortissants chinois (dont une moitié d’étudiants), et donc non concernés par cette décision. Les internautes chinois suspectaient plutôt un lien avec le G20, qui se tenait en vidéo-conférence la veille. Déçue des mesures sanitaires prises par ses partenaires, la Chine a préféré se refermer. Pourtant, le sommet avait pour but de renforcer la coopération internationale, l’occasion pour Xi Jinping de promouvoir son concept de « communauté de destin pour l’humanité ». Profitant de la faiblesse actuelle des Etats-Unis (dont le bilan vient de dépasser celui de la Chine, avec plus de 115 000 cas ), Pékin veut se présenter en leader responsable et fiable. A ce jour, elle se targue d’être venue en aide à 89 pays.

En effet, le Président chinois a passé beaucoup de temps au téléphone ces derniers jours avec ses homologues européens. Avec la France, la Chine prépare un « pont aérien » pour livrer 1 milliard de masques en 56 rotations. Aux Espagnols, elle a déjà vendu pour 432 millions d’€ d’équipements – outre des centaines de milliers de tests qui se sont avérés défectueux (un souci de qualité que partageaient les Tchèques et les Hollandais). Pour les Italiens, la main tendue chinoise a été salvatrice, quand Bruxelles était aux abonnés absents. En Serbie, pays candidat à l’UE, le Président Vucic embrassait le drapeau chinois à la réception de plusieurs tonnes d’équipements, qualifiant la solidarité européenne de « fiction ». Il n’en fallait pas plus pour que le chef de la diplomatie de l’Union Européenne, Josep Borrell sonne l’alarme : « une bataille d’influence a lieu, visant à discréditer l’UE (auprès de ses propres membres) ». De fait, la Chine ne connait que trop bien les points faibles de l’Union, notamment en s’adressant directement aux leaders nationaux plutôt qu’à ses représentants.

Pour rejeter toute idée de sauvetage du Vieux Continent par la Chine, ces aides sont présentées comme de simples retours d’ascenseur. Mais cette diplomatie masquée est-elle véritablement désintéressée ? Sans nier une part d’altruisme, impossible de ne pas penser au déploiement de la 5G, un sujet sur lequel plusieurs pays du bloc ne se sont pas encore prononcés. De plus, alors que les différents envois de matériel européen vers Wuhan se sont déroulés dans une certaine discrétion afin d’éviter de mettre la Chine dans l’embarras, le contraste est saisissant avec la communication menée par Pékin aujourd’hui. Bien sûr, ces masques sont les bienvenus, mais ils ne suffiront probablement pas à influencer la stratégie européenne. D’autant plus que cette épidémie a révélé sa dépendance envers la Chine dans des domaines stratégiques… Pour Pékin, l’année 2020 devait être celle d’un rapprochement avec l’Europe. Si l’amitié entre la Chine et diverses nations a été démontrée, le climat de suspicion qui prévaut à Bruxelles ne semble pas près de se dissiper.


Santé : « Le modèle de Wuhan » au microscope

Trois mois après sa première apparition détectée à Wuhan, le Covid-19 prouve qu’il est tout aussi à l’aise dans des pays démocratiques que dans des régimes autoritaires, aveugle aux frontières, sourd aux noms qu’on lui donne, mais terriblement contagieux. Si la lente réaction chinoise aux prémices de l’épidémie a fait couler beaucoup d’encre, tout comme la mise en quarantaine stricte d’une province entière (56 millions d’habitants), l’Occident a accordé beaucoup moins d’attention aux défis sanitaires bien réels auxquels la Chine a été confrontée et aux mesures qu’elle a dû prendre en urgence. Pourtant, l’expérience chinoise, ses réussites comme ses erreurs, est riche en enseignements.

Sa première bonne décision, la Chine l’a héritée du SRAS en 2003, période durant laquelle les hôpitaux reçurent l’ordre de d’abord traiter les malades et de régler les factures ensuite. Lors de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement a très vite rendu le dépistage gratuit et a également pris à sa charge les frais d’hospitalisation. Une décision sage, incitant les personnes contaminées à se faire connaitre, sans craindre de ne pas avoir les moyens financiers nécessaires pour se soigner. En Corée du Sud, le test est gratuit en cas de symptômes. Sans signe de la maladie, il coûte 113 $ – un montant abordable pour la grande majorité de la population. Cela a été plus laborieux aux Etats-Unis…

Avant même d’en avoir observé les effets sur le virus, la mise en quarantaine de la province du Hubei était qualifiée « d’inefficace, brutale et liberticide » par certains observateurs étrangers. Au contraire, d’autres admiraient cette « force de frappe unique à la Chine ». Il est tout de même bon de rappeler que la quarantaine est une méthode utilisée depuis le XIII siècle, faute d’autre solution contre la maladie. Le dos au mur, la Chine n’a eu d’autre choix que d’y avoir recours. Le pays s’est en effet laissé surprendre par la contagiosité du virus, minimisée dès le départ, par les autorités locales. S’il était trop tard pour sauver le soldat Wuhan, la situation dans le reste du pays n’était pas encore si sévère. « La Chine a mis en place trois types de confinement : strict (comme à Wuhan), modéré (une seule autorisation de sortie par famille, comme à Wenzhou), moins contraignant (les sorties sont autorisées mais les lieux publics sont fermés, comme à Shanghai) », décrypte le Dr Zagury, spécialiste en santé publique, à l’initiative du site Covid Minute.

Deux mois plus tard, les faits ont montré que ces mesures ont sensiblement ralenti la progression du virus. Cette riposte n’aurait pu avoir lieu sans une organisation logistique « militaire », au sens propre comme au figuré, assurant l’approvisionnement et la livraison des résidents confinés, cruciaux pour obtenir l’adhésion de la population. Des milliers de volontaires ont également joué un rôle essentiel dans cette tâche. De même, les habitants ont vite compris l’enjeu de santé publique pour lequel les autorités exigeaient leur coopération.

Par manque d’anticipation, Wuhan s’est donc vite retrouvée débordée. Les hôpitaux surchargés, manquaient de tout : masques, combinaisons, lunettes, gants, tests… comme c’est le cas aujourd’hui au Nord de l’Italie ou dans l’Est de la France. Le gouvernement chinois a vite compris que ces approvisionnements étaient stratégiques pour lutter contre le virus. Alors il mit à contribution les entreprises du pays entier, qui transformèrent leurs chaînes de production pour fabriquer à la chaîne masques et protections. Outre les 4000 usines du secteur, 3000 autres se sont reconverties temporairement. Parmi elles, des grands noms de l’industrie comme Foxconn, sous-traitant d’Apple, qui produit 2 millions de masques quotidiennement, ou le fabricant automobile BYD qui est devenu le plus gros producteur avec 5 millions d’unités par jour. Le groupe de Shenzhen produit également 300 000 solutions hydroalcooliques toutes les 24h. Ainsi, fin février, la capacité chinoise avait été décuplée à 116 millions de masques par jour, dont 1,66 million de N95. Même chose pour les combinaisons protectrices : la Chine a triplé sa production journalière à 300.000 pièces. La bonne nouvelle pour le reste du monde est que la Chine est aujourd’hui en surproduction, et en profite pour se lancer dans une « diplomatie du masque » à l’étranger, multipliant les donations et les ventes. En France, les groupes LVMH et Yves Rocher ont également reconverti leurs lignes de production. Il faudrait 1 million de masques filtrants (FFP2) pour équiper le personnel hospitalier chaque jour dans l’hexagone.

Mais pour de nombreux personnels soignants en Chine, il était déjà trop tard : selon l’OMS, le 26 février, étaient dénombrés 3387 médecins contaminés et 46 décès, faute de protections et d’avoir été avertis à temps de la contagiosité du virus, notamment par contact oculaire. En Italie,  au 19 mars, ils étaient déjà 2 629 contaminés (soit 8,3% du bilan total) et 13 médecins décédés. En France, au 24 mars, cinq médecins de 60 à 70 ans, urgentistes et généralistes, avaient succombé à la maladie

Alors comment soigner les patients si les médecins eux-mêmes tombent malades ? La Chine n’a eu d’autre choix que d’envoyer en renfort des dizaines de milliers de « soldats en blancs » d’autres provinces moins touchées, la priorité numéro 1 étant de maîtriser la situation dans le Hubei.

Face à des hôpitaux débordés, au moins jusqu’au 2 février, de nombreux patients furent contraints de rester chez eux. Une décision lourde de conséquences puisqu’elle favorisa la contamination de l’entourage du porteur, décimant dans certains cas des familles entières. La solution de construire deux hôpitaux temporaires (inaugurés le 4 et le 6 février) et de réquisitionner 14 stades et gymnases, pour les transformer en centres d’accueil d’urgence (à partir du 4 février), était la bonne, mais est arrivée un brin trop tard. « Il est primordial de ne pas laisser un seul malade rentrer chez lui, commente le Dr Zagury, on ne connait que trop bien les dégats que le virus peut faire au sein d’une famille ».

En parallèle, la Commission Nationale de Santé procéda le 5 février à un changement de stratégie.  Elle institua une nouvelle classification des cas en quatre catégories : cas suspectés ; cas diagnostiqués selon des signes cliniques ; cas confirmés ; et cas asymptomatiques mais positifs au test d’acide nucléique – si ces derniers développent par la suite des symptômes, ils seront considérés comme confirmés, sinon retirés du décompte officiel. Selon ces nouveaux critères, les malades les moins graves furent envoyés vers les différents lieux d’accueil temporaires, permettant de désengorger les services de soins intensifs des hôpitaux, et d’éviter de nouvelles contaminations à la maison. « La France dispose de nombreuses cliniques, il n’est donc pas nécessaire d’en construire d’autres en urgence. Il faut simplement les réorganiser pour recevoir des patients contagieux », suggère le Dr Zagury.

Une semaine plus tard, le 12 février, la Commission procédait à un nouveau changement de critères : pour ratisser large et ne pas laisser un seul malade non détecté (et pour faire face à la pénurie de tests), le test d’acide nucléique n’était désormais plus nécessaire pour confirmer un cas. Une semaine plus tard, elle revenait sur cette décision. Un revirement que l’on peut interpréter de deux façons : la crainte de mélanger de « simples » malades avec des personnes infectées du virus, mais aussi la volonté de sensiblement réduire le nombre de cas officiels, afin d’inciter la reprise du travail dans le reste du pays…

Une fois passé le pic de contamination, Wuhan s’est lancé dans une large campagne de dépistage. Entre fin janvier et mi-février, la ville est passée d’une capacité de 200 tests par jour à 7000.  Au total, la Chine aurait testé plus de 3 millions de personnes. Une approche similaire, même si plus ciblée (retraçant l’itinéraire de la personne via son téléphone et sa carte de crédit), a été mise en place en Corée du Sud, qui teste systématiquement chaque personne ayant eu des contacts avec une personne malade, avec ou sans symptômes. Chaque jour, le pays teste 15 000 personnes. Depuis janvier, cela représente 300 000 Coréens testés, soit 1 sur 150. Par comparaison, en France, 120 laboratoires peuvent tester 4 000 cas quotidiennement. De nouvelles commandes porteront la capacité à 50 000 tests par jour, fin avril.

Début mars, le Covid-19 posait un autre défi à la Chine : des traces du virus étaient détectées quelques jours plus tard chez des personnes « guéries ». A Wuhan, cela concernait 10% des patients. Alors, les autorités exigèrent de garder en observation 14 jours supplémentaires tous les patients « soignés » dans des centres d’urgences ou dans des hôtels. Alors que la courbe du nombre de nouveaux cas quotidiens ne cessait de diminuer, les autorités ne voulaient prendre aucun risque et renforcèrent les critères de sortie de l’hôpital.

Le 19 mars, le pays annonçait fièrement sa première journée sans nouveau cas de contamination sur son sol. Cette déclaration d’un fort symbolisme politique ne correspondait toutefois pas exactement à la réalité. En effet, ce « zéro cas » faisait resurgir la question de ceux asymptomatiques, exclus du décompte depuis début février et semant le doute sur le véritable bilan officiel. Selon des données gouvernementales, ils seraient 43 000 en Chine, soit un tiers du décompte total dans le pays. Une étude réalisée en Lombardie affirmait que leur charge virale serait la même que les malades présentant des signes de la maladie. Si la Corée du Sud et l’OMS intègrent dans leur bilan officiel les cas ne présentant pas de symptômes, ce n’est pas le cas des USA, de la Grande-Bretagne, de l’Italie ou de la France, qui testent uniquement en cas de symptômes. On est donc loin d’avoir une vision complète de la portée du virus, ni de sa mortalité. L’Allemagne par exemple, ne fait pas de test post-mortem.

Enfin, face à la menace des cas importés, la Chine impose un filtrage plus sévère chaque jour des voyageurs venus de l’étranger : de la simple déclaration de santé, au contrôle de température, de la quarantaine à domicile, puis à l’hôtel, au test nucléique obligatoire pour tous… La Chine contrôle avec une grande rigueur ses quelques milliers de voyageurs entrants chaque jour, espérant s’épargner une seconde vague de contamination

En observant toutes les phases de développement de l’épidémie (croissance exponentielle, pic, puis redescente), on pourrait presque lire l’avenir des prochaines semaines dans de nombreux pays étrangers. Aujourd’hui, on peut dire que la Chine a réussi à redresser la barre grâce à un confinement strict de sa population, la coopération de ses citoyens, des soins pris en charge par le gouvernement, une répartition des cas dans différentes structures d’accueil d’urgence, des renforts venus de régions moins touchées, des critères stricts de sortie des hôpitaux pour les patients guéris, et un filtrage systématique aux frontières. Si le « modèle de Wuhan » n’est pas à recopier à la lettre (et ne peut pas l’être) par les pays étrangers, tout retour d’expérience est bon à prendre.

Pour un suivi quotidien de la pandémie : rendez-vous sur www.covidminute.com


Société : La Chine sur le divan

Après de longues semaines de confinement, l’heure est venue pour les Chinois de s’allonger sur le divan. Psychologiquement, où en est la population ? Comment a-t-elle vécu cet enfermement inédit dans l’histoire moderne ? Certaines études et statistiques apportent un début de réponse…

La première étude à l’échelle nationale sur l’impact psychologique de l’épidémie a été conduite auprès de 52 730 personnes par le Centre pour la Santé Mentale de Shanghai, en partenariat avec l’Université Jiaotong. Publiée dans la revue spécialisée General Psychiatry, elle rapporte que le confinement a déclenché un large spectre de problèmes. Troubles paniques, anxiété et dépression sont les plus courants. Plus d’un tiers des répondants (35%) se sont retrouvés en détresse psychologique durant les 10 premiers jours de février. Sans surprise, la situation a été la plus mal vécue pour les habitants du Hubei, où la quarantaine a été la plus sévère et le système de santé mis à rude épreuve. Plusieurs groupes sociaux ont été plus sensibles que d’autres à l’enfermement : les jeunes, assaillis d’informations stressantes sur les réseaux sociaux ; les plus diplômés, probablement plus à l’écoute de leur santé ; les sexagénaires (et plus) vivant dans la peur de contracter la maladie (et d’y succomber) ; les travailleurs migrants craignant de perdre leur travail et d’être contaminés lors de leurs voyages retours ; et les femmes, généralement plus vulnérables au stress et donc davantage sujettes aux syndromes post-traumatiques.

Sans aucun doute, l’isolement a été dur à vivre, particulièrement pour les jeunes couples, ou ceux déjà à la dérive, faisant resurgir de vieux (ou de nouveaux) conflits maritaux. Vivre entassé dans un appartement 24h/24, 7h/7, avec les enfants à charge (voire les parents), les tâches ménagères à partager, le retour au travail incertain, des revenus en baisse … autant de facteurs qui ont rendu difficile pour certains conjoints de se supporter ! Ces difficultés ont conduit à une hausse des violences conjugales. A Jingmen (Hubei), celles-ci ont doublé depuis le début du confinement. Une tendance qui ne se cantonne pas uniquement à cette province, comme le démontre le hashtag #contre les violences domestiques pendant l’épidémie (#疫期反家暴), débattu au moins 3000 fois sur Weibo. Weiping, l’ONG pékinoise experte des violences conjugales, a reçu trois fois plus de demandes d’aide qu’en temps normal. Lorsque la quarantaine a pris fin, les bureaux d’état civil du pays ont enregistré une explosion des divorces. A Xi’an, après la réouverture du registre des mariages et divorces le 1ermars, les demandes étaient si nombreuses que les candidats à la séparation ont dû attendre la fin du mois que le système soit en état de traiter leur cas. « Au moins, ce temps de latence leur donne l’occasion de reconsidérer leur décision ! », commente un fonctionnaire. La ville de Dazhou (Sichuan) confirme cette tendance, en ajoutant que les jeunes couples sont les plus nombreux à vouloir se séparer.

Un autre sondage du cabinet néerlandais Glocalities auprès de 2022 Chinois entre le 23 janvier et le 13 mars, révèle un tournant dans leurs perceptions de la société. Après moins de deux semaines de confinement, les sondés ont exprimé plus de reconnaissance envers les corps de métier responsables du bon fonctionnement de la société. Cette épidémie a notamment renforcé leur confiance en les fonctionnaires(+12%, à 54%), un résultat qui peut surprendre vu la crise de légitimité subie par les autorités locales, particulièrement aiguë en début d’épidémie. En tout cas, la participation au combat anti-virus par les entreprises a été appréciée (+15%, à 70%). En témoigne, la cote de Jack Ma, fondateur d’Alibaba et philanthrope, déjà très populaire avant la crise (56%), augmentait de 8 points. L’épidémie a également fait réaliser à la population que les comportements individualistes sont dangereux. 59% des personnes interrogées s’accordent à dire que « si vous donnez aux gens plus de libertés, ils en abuseront » (+11%). Une approbation qui pourrait ouvrir la voie royale au gouvernement pour accentuer son contrôle de la population par le système de crédit social et la reconnaissance faciale.  Aujourd’hui, ils sont 79% à accorder une plus grande importance à l’étiquette et aux bonnes manières (+12%), mais aussi à réaliser l’importance d’offrir une bonne éducation à ses enfants (+10%), la plupart des parents ayant dû assurer eux-mêmes le rôle des professeurs à la maison. La pression, déjà forte, sur leur progéniture, n’est donc pas prête de se relâcher après l’épidémie ! Les auteurs notent enfin que ces tendances ne sont pas propres à la Chine : elles seront visibles partout où le virus fera des dégâts.


Portrait : Zhao Lijian, le diplomate qui tweet plus vite que son ombre
Zhao Lijian, le diplomate qui tweet plus vite que son ombre

Il serait faux de penser que Donald Trump est la personnalité la plus compulsive de la twittosphère mondiale. Outre-Pacifique, depuis son iPhone, un diplomate chinois maîtrise particulièrement bien l’art de la provocation sur le réseau social américain : Zhao Lijian (赵立坚), 47 ans, 31ème porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

Après un premier poste au Pakistan, Zhao Lijian était envoyé en 2009 à l’ambassade de Chine à Washington, au poste de premier Secrétaire. En 2015, il revenait à ses premières amours en retournant à Islamabad, en tant que ministre-conseiller cette fois. Un poste stratégique puisque le corridor sino-pakistanais (CPEC, 62 milliards de $) est une des pierres angulaires de l’initiative chinoise BRI (Belt & Road Initiative). Zhao fut un ardeur défenseur de ce projet. En août 2019, il était promu vice-directeur du Département de l’Information à Pékin. Cette carrière fulgurante, il la doit moins à son tact diplomatique qu’à ses 58 000 tweets, au ton souvent agressif (@zlj517).

En mai 2010, il était parmi les premiers représentant de la RPC à faire ses débuts sur Twitter, plateforme inaccessible depuis la Chine sans VPN. Sa popularité décolla durant son second passage au Pakistan (2015-2019). En 140 caractères, « Mohammad » (de son nom musulman, supprimé en 2017) conseillait aux Anglais de ne pas mettre leur nez partout, et surtout pas dans les affaires chinoises au Xinjiang : « occupez-vous de votre Brexit » ! Lors des manifestations à Hong Kong, il trouvait « honteux » les appels au calme de Londres, ajoutant que « de nombreux Anglais sont des descendants de criminels de guerre ». Indéniablement, les Etats-Unis sont une de ses cibles préférées : en juillet dernier, il affirmait que le racisme solidement enraciné dans la société américaine (en prétendant que l’installation d’un noir dans un quartier de blancs faisait instantanément chuter le prix de l’immobilier) ne donnait pas le droit à Washington de critiquer la politique de Pékin au Xinjiang. Susan Rice, ex-conseillère à la Sécurité Nationale sous Obama, appela alors publiquement l’ambassadeur chinois à Washington Cui Tiankai, à renvoyer Zhao chez lui, le traitant de « disgrâce raciste ». Pékin la prenait au mot, rappelant Zhao… pour une promotion ! Lors de son départ d’Islamabad, il était salué en tant qu’« ami du Pakistan ». Zhao leur rendait bien, le Pakistan ayant « volé son cœur ».

Depuis son entrée en fonction en tant que porte-parole à Pékin, il y a un peu plus d’un mois (24 février), Zhao a déjà fait parler de lui. Il aurait déjà tweeté 500 fois, même si seulement une petite centaine peut lui être attribuée personnellement, le reste étant des retweets d’organes de presse officielle. Le nombre de ses abonnés a doublé pour arriver à un demi-million, faisant de lui une des personnalités diplomatiques les plus influentes, dépassant sa directrice Hua Chunying (280 000 abonnés, ayant seulement rejoint la plateforme en octobre 2019) et l’influent rédacteur en chef du Global Times Hu Xijin (200 000 « followers »). A ce jour, au moins 115 comptes Twitter appartiennent à des diplomates chinois.  

Parmi les abonnés de Zhao, on recense des journalistes et experts en relations internationales, mais aussi de riches Chinois, urbains, éduqués, qui savent passer de l’autre côté de la « grande muraille de feu » (10% des internautes chinois accéderaient aux réseaux sociaux étrangers). Il ne s’agit donc pas uniquement de croiser le fer avec des personnalités étrangères, ses tweets ont également pour but d’alimenter une rhétorique nationaliste auprès du public chinois et de détourner l’attention des scandales nationaux. Le fait qu’il publie si vite sans arrondir les angles, suggère qu’il a obtenu carte blanche, n’ayant pas besoin de recevoir de permissions venues d’en haut. C’est ce franc-parler qui le rend si différent des autres diplomates, dont la plupart se cantonnent à republier des commentaires officiels. 

D’ordinaire, le ton tout sauf diplomatique de ses tweets est toléré, voire encouragé par le leadership, affrontant les Américains (et plus largement les Occidentaux) sur leur propre terrain (Twitter). Mais ne serait-il pas allé trop loin en déclarant le 12 mars que des militaires américains auraient importé le virus à Wuhan, demandant à Washington des explications ? Cette théorie complotiste fut ensuite reprise par plusieurs organes de la presse officielle. Les médias chinois récupérent également à bon compte les déclarations du directeur de l’institut pharmaceutique de Milan, Giuseppe Remuzzi, affirmant que le virus circulait en Italie dès novembre… De telles attaques firent sortir le Président Trump de ses gonds, contraignant l’ambassadeur Cui Tiankai à donner une interview le 17 mars pour faire baisser la tension. « De telles spéculations sont dangereuses. Trouver l’origine du virus est une tâche qui incombe aux scientifiques, non aux diplomates » déclarait-il, en un camouflet évident à Zhao. Cui est directement nommé par le Président Xi Jinping et a rang de vice-ministre, soit deux échelons au-dessus de Zhao dans la hiérarchie politique. Quelques tweets plus tard, Zhao se radoucissait, peut-être rappelé à l’ordre par ses supérieurs… 

Suite à cette épisode, certains observateurs soulignèrent le craquement dans l’unité de façade habituellement affichée par la diplomatie chinoise. Pourtant, si Zhao avait perdu le soutien du leadership, son compte aurait probablement été supprimé, la propagande aurait censuré les rumeurs en question, ou il aurait été muté. Même si plusieurs déplorent les dommages causés par Zhao, le jeune loup n’a fait que répondre au récent appel de Xi Jinping en faisant preuve « d’un esprit combatif ». Ironiquement, grâce à ce jeu de « bon flic, mauvais flic » joué par Cui et Zhao, le Président Trump s’engageait le 24 mars à ne plus utiliser le terme de « virus chinois » (sans toutefois convaincre le secrétaire d’Etat Mike Pompeo qui persistait durant la téléconférence du G7). En effet, les objectifs des deux diplomates sont clairement contradictoires : Cui a pour devoir de garder la relation sino-américaine sur les rails, tandis que Zhao se veut le bruyant porte-parole de diverses rhétoriques propagandistes du pays. Or les deux seront forcés de coexister et de s’ajuster l’un à l’autre, car Pékin ne renoncera à aucune de ces deux stratégies.


Petit Peuple : Dali (Shaanxi) – La gloire de Wen Fang (1ère partie)

Est-ce l’environnement préservé de sa ville de Dali, à l’Est du Shaanxi, qui dès la plus tendre enfance éveilla le sens artistique de Wen Fang, malgré la condition paysanne de ses parents, plus versés dans la culture du millet ou du sorgho qu’en celle des romans ou des musées ? Certains s’imaginent ce jeune homme, encore enfant, baguenaudant dans la cité médiévale, entre monastères et pagodes, poternes dans la muraille et ruelles dallées de pavés ronds. Dès ses trois ans, le garçonnet aux traits graciles disait aimer « les jolies choses », et conservait jalousement une miniature dorée offerte par un moine de passage : portrait d’un chasseur en train de tuer une biche avec son arc. C’était une légende sacrée de l’Inde, lui avait dit l’homme en robe. Et depuis, le gamin ne cessait de rêver à des histoires de dieux, de dragons et de châteaux remplis d’objets d’art. Mais sa vision de la beauté était orientée : naïvement, dans son esthétique, la femme occupait l’avant-scène, et lui-même aimait se déguiser en femme, avec les robes et corsages devenus trop petits pour ses sœurs de 2 et 4 ans plus âgées. Ses maitres voyaient bien, non sans gêne, son goût pour les manières efféminées, mais comme il était premier de la classe, ils n’osaient le réprimander de peur de de voir ce jeune doué pour les études, s’en dégouter : ce qui aurait été jeter l’enfant avec l’eau du bain, ou « perdre la poignée de grain en voulant voler la poule » (偷鸡不成,蚀把米, tōu jībù chéng, shí bǎmǐ).

 Quand Wen Fang eut 15 ans vint pour lui le temps d’entrer au lycée – ses notes lui en donnaient le droit, aux frais de l’Etat, pension comprise. C’est là que, lors d’une sortie en ville, il tomba sur des magazines de mode, avec photographies de jolies femmes présentant les dernières collections de grands couturiers : la vision de ces êtres de rêve, maquillées et habillées à la perfection créa en lui une émotion intense. Il le ressentait soudain avec acuité, il savait qu’il venait de trouver sa voie. Il consacrerait sa vie au monde de l’habillement féminin, celui qui portait la femme à son pinacle. Une fois le « gaokao » (bac) en poche, il espérait pouvoir choisir l’école de mode qu’il voudrait.

Seul problème, sa mère ne l’entendait pas ainsi. Elle aurait préféré pour lui une bonne place dans les métiers de la santé. Pas docteur, certes – la famille n’aurait pas les moyens d’assumer six années d’études au prix fort, mais Wen Fang pourrait toujours arrêter à mi-parcours de la filière, pour sortir infirmier, ou aide-soignant. Le père lui, était plus restrictif encore : son garçon aurait dû arrêter complètement les études pour venir l’aider aux champs, pour produire avec lui sur leurs quelques « mus » de terre, trois tonnes de céréales et autant de tomates, poivrons et oignons, vendus sur les marchés de Xi’an…

Finalement, après moultes disputes, un compromis fut trouvé : le fils irait étudier le design graphique à Xi’an, à l’université provinciale des technologies de la mode. L’argument qui permit à Wen Fang d’emporter la partie, fut l’extrême modicité des frais d’écolage qu’il leur fit miroiter, promettant ainsi d’alléger les charges pesant sur le foyer. Ce qu’il avait finement évité de révéler, était que durant ces trois années du cycle d’études, il gagnerait sa vie et une partie des droits d’inscription en posant comme modèle féminin des cours de design de prêt-à-porter, d’uniformes professionnels et de collections pour défilés de mode !

Ces années d’étude furent les plus heureuses de sa vie, parce que les plus libres, et axées sur la découverte. Wen Fang rencontra une, puis deux filles, puis une myriade : ses camarades du beau sexe étaient trop heureuses de rencontrer un gars plutôt mignon et raffiné, n’ayant pas peur de pratiquer l’art avec son propre corps – en posant ou en peignant, et de sortir avec elles sans forcément prétendre aller plus loin… Elles se confiaient à lui, le prenaient pour confident. Il découvrait ainsi la chatoyante diversité de l’univers féminin et des multiples personnalités des filles, reflétées à travers leurs choix vestimentaires variables suivant les jours, compassé ou provocateur ou rangé, mais toujours d’une créativité audacieuse. Disons-le tout net : leur manière de l’habiller, l’intéressait davantage que leurs corps, ou que leurs histoires amoureuses !

Une fois diplômé, il retourna vivre à la ferme, où ses besoins premiers seraient pris en charge, tandis qu’il remettait à sa mère une partie de son salaire. Son premier emploi le porta dans un grand magasin de Xi’an, chargé de la promotion des gammes de crèmes de visage de Botao, designer de mode. Mais au bout d’un an, une fois qu’il eût constaté que l’employeur ne l’affecterait pas à la haute couture selon son rêve, il s’en alla pour s’employer, unpeu par provocation, comme serveur dans un bar nocturne de karaoké. Là, il gagnait davantage sur les quelques pourboires, mais il compensait par les rencontres qu’il faisait, les jeunes de tous les horizons qui venaient à cette adresse pour évacuer le stress en chantant : cela lui permettait d’approfondir sa vision du monde, à travers une vie de bohème.

C’est alors, à 25 ans, qu’il décida qu’il était grand temps de se jeter à corps perdu dans cette carrière dont il rêvait mais qui lui faisait peur en même temps. Il y fit ses premiers pas – malhabiles et chancelants, mais surtout clandestins…

Quels étaient ces premiers pas, et dans quelle direction ? On le saura, sans faute, au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaines du 30 mars au 26 avril
Semaines du 30 mars au 26 avril

Notez qu’en raison de la situation actuelle, certains évènements ont été annulés ou repoussés à une date ulterieure (voir ci-dessous):

26 – 28 mars, Chengdu : CFDF – China Food and Drinks Fair,Salon international du vin, de la bière, et des spiritueux, reporté au 21-23 mai

29 mars au 1er avril, Shanghai : Hotelex & Finefood,Salon professionnel de l’alimentation, des boissons  et des équipements pour l’hôtellerie et la restauration en Chine, reporté au 15-18 juin

30-31 mars, Pékin : Sommet Chine-Europe, reporté – date à confirmer

Fin mars, Pékin : China Development Forum, Forum entre Etats sur les problématiques du développement, reporté – date à confirmer

7-9 avril, Pékin : HORTIFLOREXPO – IPMSalon international des plantes et des fleurs, reporté au 17-19 septembre

7-11 avril, Shanghai : CCMT – China CNC Machine Tool Fair, Salon chinois des machines-outils à commande numérique, reporté – date à confirmer

8-10 avril, Shanghai : PHARMCHINASalon international de l’industrie pharmaceutique, reporté au 25-29 mai

9-12 avril, Shanghai : CMEF – China Medical Equipment Fair, Salon chinois international des équipements médicaux, reporté au 3-6 juin

15 -17 avril, Pékin : CIHIE – China International Healthcare Industry Exhibition,Salon chinois international de l’industrie de la santé, reporté au 24-26 juillet

15 avril – 5 mai, Canton: Canton Fair, Foire industrielle internationale qui expose notemment dans les domains des machines-outils,  bâtiment et construction, décoration, ameublement, luminaire, electroménager, domotique, électronique, mode et habillement, reporté – date à confirmer

18 – 21 avril , Foshan: CERAMBATH, Salon chinois international de la céramique et des sanitaires, reporté – une exposition en-ligne est organisée du 28 mars au 18 avril

21-23 avril, Shanghai : ABACE – Asian Business Aviation Conference & Exhibition, Salon international des produits et services pour l’aviation en Asie, annulé

21-23 avril, Shanghai : IE Expo China, Salon professionnel international de la gestion et traitement de l’eau, du recyclage, du contrôle de la pollution atmosphérique et des économies d’énergie, reporté au 10-12 juin

21-30 avril, Pékin: Auto China,Salon international de l’industrie automobile, reporté – date à confirmer

22 – 24 avril, Shanghai : NEPCON China, Salon international des matériaux et équipements pour semi-conducteurs, reporté au 17 – 19 juin

23 – 26 avril, Shanghai : SWTF – Shanghai World Travel Fair, Salon mondial du tourisme, reporté au 30 juillet – 2 août

24 – 26 avril, Shenzhen : LED China, Salon mondial de l’industrie des LED, signalisation, éclairage, affichage, reporté – date à confirmer

27 – 29 avril, Shanghai : HDE – Shanghai International Hospitality Design & Supplies Expo/Hotelplus, Foire internationale du design hotelier et des espaces commerciaux, reporté au 12-14 août

Début mai (date à confirmer), Pékin : Session des deux Assemblées (CCPPC et ANP, Lianghui, 两会). Prévue initialement début mars, c’est la première fois que la session des deux Assemblées est reportée depuis 1999, année depuis laquelle sa date est fixe.

5 – 7 juin, Singapour : Dialogue de Shangri-La. C’est la première fois depuis 2002 que le forum annuel sur la sécurité en Asie est annulé.