Taiwan : Au cœur des débats sanitaires et militaires

La prochaine Assemblée mondiale de la Santé (AMS) qui se tiendra en vidéo-conférence le 18-19 mai, s’annonce capitale. Outre la question d’une enquête indépendante sur l’origine du virus et d’une nouvelle mission de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Chine, celle de la participation de Taïwan sera également abordée. En effet, capitalisant sur son succès dans la lutte contre l’épidémie (« seulement » 440 cas et six décès pour 24 millions d’habitants), Taïwan a réitéré sa demande d’intégration à l’OMS en tant qu’observateur.

Pour l’île, ce ne serait pas une première : entre 2009 et 2016, Taipei avait déjà été autorisé à siéger à l’AMS, pas pour son expertise avérée en matière de santé publique, mais parce que le Kuomintang, parti politique favorable à un rapprochement avec la Chine, était au pouvoir. Depuis l’élection en 2017 de Tsai Ing-wen du parti démocrate progressiste (DPP, que la Chine considère comme séparatiste), Pékin bloque toute nouvelle participation de Taïwan.

Mais des relations sino-américaines au plus bas pourraient bien changer la donne : en effet, les États-Unis semblent cette fois déterminés à soutenir la participation de Taïwan, et mènent campagne en ce sens auprès de leurs alliés, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui se sont déjà prononcés en faveur de Taipei. Naturellement, cette « ingérence américaine » irrite la Chine au plus haut point.

Face à ces revendications, l’OMS, déjà accusée de complaisance envers Pékin (ce qui lui a déjà coûté la suspension des financements américains), se retrouve bien embêtée. Son conseiller juridique, Steven Solomon, a déclaré que l’OMS reconnaissait la République Populaire de Chine comme « l’unique représentant légitime de la Chine », conformément à la politique des Nations Unies décrétée en 1971, et que la question de la participation de Taïwan revenait aux 194 États membres. Pour que Taïwan retrouve son statut d’observateur, il faudrait qu’une majorité simple des membres y consente.

Face à la polémique grandissante, les internautes chinois s’en mêlent et dénoncent sur Weibo la manipulation de l’opinion internationale par Taïwan pour arriver à ses fins politiques : « les Taïwanais se vantent d’avoir prévenu en premier l’OMS de la transmission interhumaine. Mais en réalité, ils n’ont fait que de retransmettre les informations des médias chinois ». Ils ne tolèrent pas les revendications taiwanaises : « Pékin a déjà partagé toutes les informations nécessaires relatives à l’épidémie avec Taïwan. Que veulent-ils de plus ? Taipei ne doit en aucun cas oser en réclamer davantage ». D’autres préfèrent traiter l’affaire par le mépris : « pourquoi perdre notre temps à s’inquiéter de quelque chose qui n’arrivera jamais (la participation de Taïwan à l’AMS) ? ». Quelques-uns misent plutôt sur une lente destruction de l’économie taïwanaise : « l’accord de coopération économique (ECFA) prendra fin cette année, laissons la pauvreté rampante se charger de Taïwan ».

Les plus nationalistes d’entre eux appellent Pékin à reprendre l’île par la force, une possibilité évoquée clairement par le Président Xi Jinping lors d’un discours début 2019 : « Il est temps de régler ce problème une bonne fois pour toutes. Tsai Ing-wen n’aurait pas dû compter sur son US Daddy (Trump) ». Tian Feilong, professeur à l’université Beihang de Pékin, argumente que cette intervention militaire est justifiée puisqu’il sera impossible pour Pékin de résoudre la situation pacifiquement.  » Les manifestations à Hong Kong sont la preuve que le principe « d’un pays, deux systèmes » (que la Chine espère réutiliser comme base de réunification avec Taïwan) a lamentablement échoué « , précise-t-il. 

En une longue interview au magazine Bauhinia le 2 mai, un célèbre général de l’armée de l’air à la retraite appelle plutôt à « la patience stratégique ». Malgré une réputation d’homme belliqueux, le général Qiao Liang (喬良) averti que la pandémie ne doit pas être considérée comme une occasion d’envahir Taïwan. « Même en profitant de la faiblesse actuelle des USA, aux 150 bases et 4 000 militaires touchés par le coronavirus (alors qu’aucun soldat chinois n’aurait été contaminé), la fenêtre d’opportunité pour reprendre Taïwan n’est pas assez grande » argumente-t-il. Le coauteur du best-seller « La Guerre Hors Limites » (超限战), ouvrage dans lequel il détaille comment vaincre un ennemi plus fort que soi (les États-Unis), explique que le problème de Taïwan ne pourra pas être réglé tant que la rivalité entre Pékin et Washington n’est pas résolue. « Pandémie ou pas, le prix à payer d’un affrontement avec les États-Unis serait trop élevé et mettrait en danger l’objectif de réjuvénation nationale, qui consiste à offrir une meilleure vie à 1,4 milliard de Chinois et non pas reprendre à Taïwan », précise-t-il.

En dissociant ainsi la réunification avec Taïwan du sacro-saint objectif centenaire de 2049, on pourrait penser que le général va s’attirer des inimitiés au sein du pouvoir. Mais non, le général Qiao ne commet pas un faux pas politique. Au contraire, il réalise une prise de parole publique éminemment bien calculée, visant à justifier auprès d’un public nationaliste la décision des hauts dirigeants ne de pas intervenir militairement durant une période faussement propice – une nouvelle plutôt rassurante en soi. C’était également l’objectif d’un article de l’historien Deng Tao, publié dans le Study Times, magazine de l’École Centrale du Parti début mai, rappelant que l’empereur Kangxi (dynastie Qing) a préparé pendant près de 20 ans sa conquête de Taïwan au 17ème siècle avant de passer à l’action. De plus, il n’a pas uniquement eu recours à la force pour y parvenir.

Ce n’est pas la première fois que Pékin est contraint à apaiser les foules après avoir volontairement attisé le sentiment nationaliste. Mais le message est clair : sur la question taïwanaise, le peuple chinois devra calmer ses ardeurs, le moment sera venu uniquement lorsque le Parti (et surtout Xi Jinping) l’aura décidé.

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