Le Vent de la Chine Numéro 18-19 (2020)

du 10 au 16 mai 2020

Editorial : Découvertes européennes

Quoique la fête ne soit pas exactement au rendez-vous, la Chine et l’Union Européenne marquaient le 45ème anniversaire de leurs relations diplomatiques le 6 mai. A cette occasion, les 27 ambassadeurs des Etats membres ainsi que le représentant de l’UE à Pékin, s’accordaient pour publier un éditorial dans le China Daily. Faisant la part belle aux aspects positifs des liens (le multilatéralisme, le climat…), les sujets qui fâchent (les droits de l’Homme, le Xinjiang, Hong Kong ou encore le coronavirus) étaient délaissés à la demande de nations européennes soucieuses de ménager leurs relations avec la seconde puissance mondiale. Pourtant, cela ne suffisait pas à contenter Pékin, qui conditionna la publication de ce texte à la suppression d’un passage mentionnant l’émergence du Covid-19 en Chine – une censure tolérée par Bruxelles “à grands regrets”, préférant voir le verre à moitié plein. 

C’est la deuxième fois que l’Europe assouplit ses communiqués à la demande de la Chine : deux semaines plus tôt, un rapport sur l’ampleur des efforts de désinformation menés par Pékin était reformulé par crainte de compromettre les relations. Suite à ces deux affaires, la Chine peut se targuer d’avoir défendu avec brio ses intérêts, ne s’attardant guère sur les dégâts d’image engendrés auprès de l’opinion du vieux continent. A Bruxelles, si le temps de la naïveté a fait place à celui de la lucidité, les vulnérabilités européennes étaient encore une fois exposées au grand jour, les intérêts supranationaux étant sacrifiés sur l’autel du consensus à 27.  

Cependant, le scepticisme européen (ou du moins de certaines nations) à l’égard du partenaire chinois, est manifeste. C’est ce qui pousse l’UE à réclamer la tenue d’une enquête indépendante sur les origines du Covid-19 afin de tirer les leçons nécessaires pour la prochaine pandémie. Selon Josep Borrell, chef de la diplomatie de l’UE, il est absolument nécessaire d’enquêter avec un regard neutre sur ce qui s’est passé, et cela, en se tenant à l’écart de la rivalité grandissante entre Pékin et Washington. Officiellement, la Chine ne se déclare pas opposée à la tenue d’une telle enquête “en temps opportun”, mais refuse d’être désignée comme la grande responsable de cette pandémie avant même que les recherches n’aient débuté.   

Pourtant, elle sait pertinemment qu’elle ne pourra pas s’y opposer bien longtemps : en effet, dans le monde entier, médecins et scientifiques font des découvertes qui bousculent la chronologie officielle de la pandémie. Fin mars, le directeur d’un institut de recherche pharmaceutique de Milan (Italie) déclarait avoir observé plus d’une dizaine de cas d’étranges pneumonies fin novembre 2019 en Lombardie. Puis, c’était au tour des Américains de réaliser que le Covid-19 était sur leur territoire début février, soit trois semaines avant le premier patient connu. Même scénario en France, où un hôpital alsacien vient de détecter un premier cas dès le 16 novembre après avoir repéré des signes distinctifs du Covid-19 sur la radio thoracique d’un patient. Il ne fait donc plus de doute que le virus circulait déjà en Europe avant même qu’il ne soit officiellement repéré à Wuhan fin décembre.  

Face à ces découvertes, la Chine appelle la communauté internationale à poursuivre ce travail d’enquête “apolitique” au lieu de sans cesse la blâmer. De leur côté, les internautes chinois se réjouissent de ces nouvelles, censées écarter toute hypothèse de fuite d’un laboratoire de Wuhan fin 2019 – une théorie soutenue bec et ongles par le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo. Pour la Chine, ces nouveaux cas européens sont autant d’opportunités de clamer que le coronavirus ne trouve peut-être pas son origine en Chine, et aurait en fait été importé dans le pays.   

Mais il ne faut pas s’y méprendre : le fait que les autres pays fassent preuve de transparence dans leurs recherches épidémiologiques, met la pression sur la Chine pour qu’elle fasse de même. En effet, il devient de plus en plus difficile pour Pékin de maintenir que son premier patient ne date que du 1er décembre (de source non-officielle, les autorités seraient remontées jusqu’à un malade au 17 novembre), tout en gardant pour elle les séquences génétiques du virus retrouvées chez ses premiers patients. Or, la Chine le sait bien, ces génomes pourraient bien détenir la clé des origines du Covid-19. 


Société : La mue virale du consommateur chinois

Ne dit-on pas qu’il suffit de 21 jours pour changer ses habitudes ? En effet, après des décennies de « bàofùxìng xiāofèi » (报复性消费- une expression employée dès la fin de la Révolution culturelle en Chine pour exprimer l’appétit de consommation d’une société privée de tout), la majorité de la population chinoise n’a pas pu se livrer à ses habituelles séances de shopping pendant de longues semaines de confinement… Enfermés chez eux, les Chinois en ont donc profité pour réfléchir à leur manière de consommer.

D’abord, le confinement a été l’occasion de faire du tri dans ses affaires, selon le concept japonais du « duànshělí » (断舍离) consistant à se débarrasser du superflu pour ne garder que l’essentiel. Jusqu’à présent, le commerce de seconde main (二手) n’avait jamais vraiment décollé en Chine. Mais avec la pandémie, le secteur de l’occasion est un plein boom et pourrait atteindre les 1 000 milliards de yuans cette année. C’est ainsi que Xianyu (闲鱼), plateforme de particulier à particulier d’Alibaba, a enregistré un volume record de transactions en mars, tandis que le hashtag « débarrasse-toi de tes affaires » est devenu viral sur les réseaux sociaux avec plus de 140 millions de vues.

Revendre ses affaires est aussi devenu un moyen de renflouer des comptes dans le rouge, alors que des coupes de salaires sont attendues et que l’ombre du chômage plane. Dans le même esprit frugal, certains déménagent dans des appartements plus petits ou envisagent de quitter les grandes villes devenues trop chères.

L’épidémie a également fait réaliser à certains jeunes qu’ils ne géraient absolument pas leurs finances, ne faisant que dépenser au gré de leurs envies. « Durant la crise, je me suis rendu compte que je n’avais rien mis de côté en cas de coup dur », explique Liu Hua, manucure à Pékin. Désormais, ces acheteurs compulsifs, incapables de résister à une promotion de leur marque préférée, car ayant l’impression de perdre de l’argent, devraient y réfléchir à deux fois avant de sortir leur portefeuille.

Selon une récente étude menée par le cabinet de consulting Cefuture auprès de 1 000 participants, 41% d’entre eux prévoient de réduire leurs dépenses pour se préparer en cas de future crise, tandis que 51% se déclarent déterminés à travailler plus pour gagner plus. Seuls 8% sont prêts à consommer davantage après la pandémie.

Pour la classe supérieure, le confinement a été l’occasion de réévaluer ses priorités : prendre davantage soin de sa santé ou se remettre à la cuisine par exemple. Les Chinois les plus aisés aimeraient aussi passer plus de temps en famille. Pour cela, de nombreux couples souhaiteraient changer de voiture pour un modèle à sept places, permettant d’embarquer les grands-parents en excursion. Question voyages, en attendant que la situation sanitaire se stabilise à l’étranger, ils sont prêts à privilégier des destinations domestiques.

Si le shopping en ligne est définitivement rentré dans les mœurs, il est également question de mieux choisir ses produits. La fraîcheur des aliments est devenue plus importante encore, récompensant les marques à l’image de qualité et de fiabilité. De même, le critère de durabilité commence à entrer en ligne de compte.

Par ailleurs, à la faveur d’un contexte nationaliste exacerbé, les consommateurs chinois pourraient plus fréquemment porter leur choix sur des marques locales, au détriment des produits étrangers. Comme l’avertit le cabinet de conseil Bain, en des périodes de fort stress social, les préférences des consommateurs peuvent être bouleversées, et pas seulement temporairement. Surtout, la fidélité aux marques peut être soit renforcée, soit brisée.

Finalement, la moitié des dirigeants d’entreprises s’attendent à de grands changements dans le comportement des consommateurs chinois d’ici 2022, note Bain. Reste à savoir si cette tendance émergente au minimalisme perdurera une fois la menace du coronavirus estompée…


Chinafrique : Barrage épidémique sur les routes de la soie 

Touchés par le Covid-19 et impactés par la chute des cours du pétrole, du cuivre et d’autres matières premières, plusieurs pays africains adhérents à l’initiative BRI (Belt & Road), se retrouvent dans l’incapacité d’honorer leurs engagements financiers auprès de la Chine. Déjà l’Angola, la Zambie, le Soudan et la République du Congo auraient demandé à Pékin de renégocier leurs accords. D’autres devraient suivre… Comment la Chine réagira-t-elle ? Sera-t-elle encline à effacer leur ardoise ? Saisira-t-elle des actifs stratégiques pour compenser ses pertes ? Est-ce un coup fatal pour les « nouvelles routes de la soie » ?

Dès le 26 mars, les nations africaines demandaient aux membres du G20 l’annulation de 44 milliards de $ de dettes. Trois semaines plus tard, alors que le Président Macron plaidait pour l’annulation pure et simple d’une partie des dettes, les ministres des Finances du G20 se mettaient finalement d’accord sur la suspension partielle (20 milliards de $) du paiement du service de la dette de ces pays pauvres jusqu’à la fin de l’année. Pour la suite, la Chine, non membre du club de Paris, s’engageait à négocier avec les pays demandeurs au cas par cas, en bilatéral. Toutefois, il parait clair qu’elle ne fera preuve de charité que si les autres créanciers mettent eux aussi la main au portefeuille. Entre 2000 et 2018, la Chine aurait prêté 152 milliards de $ à 49 pays africains, détenant ainsi près d’un cinquième de la dette du continent.

Ces dernières années, la Chine a déjà annulé pour plusieurs milliards de $ de prêts à taux zéro. Cependant, ces aides ne constituent qu’une minorité des sommes contractées par les pays africains. L’essentiel de la dette est notamment détenu par des banques commerciales comme la Bank of China ou ICBC. Or, selon le chercheur Mei Guanqun, il est tout à fait improbable que ces banques effacent la dette de ces pays car elles sont sous la pression de Pékin pour atteindre leurs objectifs financiers. Ainsi, seules les banques de développement comme la China Development Bank (CBD) et l’Ex-Im Bank pourraient consentir à réduire leurs taux d’intérêts, revoir leur échéancier, ou convertir les créances en prises de participations… « Mais l’annulation d’une dette n’aura lieu qu’en dernier recours », précise un chercheur de la CBD cité par le Financial Times. Pourtant, il ne se fait pas d’illusion : « on peut tolérer que 20% de notre portfolio pose problème, mais pas la moitié » !

Souvent accusée en Occident de tendre un « piège de la dette » aux pays pauvres, ou de se comporter en « prédateur financier », mettant la main sur des actifs stratégiques lorsque les pays n’arrivent pas à rembourser leurs dettes, la Chine devra se montrer flexible dans ces négociations si elle ne veut pas perdre son influence durement gagnée auprès de ses partenaires africains.

Car résumer l’initiative BRI à ses seuls aspects financiers, c’est passer à côté de la nature éminemment politique du projet. A travers ces contrats signés, ce sont autant de voix remportées à l’ONU ou au sein de l’Union Européenne sur des sujets qui fâchent comme le Xinjiang ou les droits de l’Homme. Et durant la pandémie, ces pays BRI sont devenus des « faire-valoir » pour la Chine, la félicitant pour sa réponse initiale, puis exprimant leur gratitude pour son aide matérielle et son assistance. C’est sous ce schéma dérivé de l’initiative BRI, nommé « routes de la soie de la santé » (健康丝绸之路), que la Chine a obtenu les louanges du Pakistan, de la Serbie, de la Hongrie, de l’Ethiopie et de l’Italie. Le terme n’est pas nouveau : il était évoqué pour la première fois en janvier 2017 par le Président Xi Jinping lors de la signature d’un accord de principe avec l’OMS du Dr Tedros, pour améliorer le système de santé des pays adhérents à l’initiative chinoise. En le couplant au concept de « communauté de destin pour l’humanité », Pékin se positionne en « sauveur » tandis que les Etats-Unis et l’UE sont préoccupés par leurs propres situations.

Or la récente vague de discriminations à l’encontre des ressortissants africains installés en Chine, accusés d’être porteurs du Covid-19, a quelque peu entaché l’image de bienveillance de la Chine. Même si les autorités de la province du Guangdong ont officiellement banni de tels comportements, l’amitié de façade sino-africaine s’est craquelée : le masque tombe. Pékin en a conscience, comme le note un récent rapport confidentiel d’un think-tank rattaché au ministère chinois de la Sécurité Publique, avertissant qu’un sentiment anti-chinois pourrait alimenter des résistances aux projets BRI.

Autre aspect « populaire » : l’économie chinoise n’a pas été épargnée par le Covid-19 et de longs mois de convalescence sont à prévoir avant un retour à la normale. Une période durant laquelle toutes les ressources disponibles seront allouées en priorité au pays afin de garantir la stabilité sociale. Sous cet angle, l’annulation de la dette de pays africains serait très mal perçue par l’opinion chinoise, qui critiquait déjà lors du dernier sommet Chine-Afrique en 2018 (FOCAC) que l’argent chinois ne soit pas investi en Chine !

Cela peut expliquer que l’initiative BRI soit absente des communiqués officiels des réunions du Bureau Politique ces dernières semaines. Mais il ne faut pas s’y tromper : si l’attention des dirigeants est accaparée par la situation domestique – et le sera probablement durant les 12 à 24 mois à venir – Xi Jinping n’abandonnera pas si facilement son projet-phare, qu’il a tout de même fait inscrire dans la Constitution du pays. Selon un rapport du cabinet d’avocats d’affaires international Baker & McKenzie, il faut plutôt s’attendre à ce que les investissements soient réorientés en Asie du Sud-Est, région voisine mieux connectée et où le risque est moins fort qu’en Afrique. Ensuite, étant donné la diète imposée aux banques d’Etat, confrontées à une hausse de leurs prêts non performants, il faut s’attendre à une réduction de leurs financements. Si l’Etat les encourage, les acteurs privés pourraient alors prendre le relais, en se concentrant toutefois uniquement sur les projets les plus rentables.

Dans ces conditions, le COVID-19 ne conduira probablement pas les « nouvelles routes de la soie » dans l’impasse, mais il devrait changer à coup sûr leur trajectoire – une manière pour la Chine de s’en laver les mains sans avoir l’air de se désavouer.


Taiwan : Au cœur des débats sanitaires et militaires

La prochaine Assemblée mondiale de la Santé (AMS) qui se tiendra en vidéo-conférence le 18-19 mai, s’annonce capitale. Outre la question d’une enquête indépendante sur l’origine du virus et d’une nouvelle mission de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Chine, celle de la participation de Taïwan sera également abordée. En effet, capitalisant sur son succès dans la lutte contre l’épidémie (« seulement » 440 cas et six décès pour 24 millions d’habitants), Taïwan a réitéré sa demande d’intégration à l’OMS en tant qu’observateur.

Pour l’île, ce ne serait pas une première : entre 2009 et 2016, Taipei avait déjà été autorisé à siéger à l’AMS, pas pour son expertise avérée en matière de santé publique, mais parce que le Kuomintang, parti politique favorable à un rapprochement avec la Chine, était au pouvoir. Depuis l’élection en 2017 de Tsai Ing-wen du parti démocrate progressiste (DPP, que la Chine considère comme séparatiste), Pékin bloque toute nouvelle participation de Taïwan.

Mais des relations sino-américaines au plus bas pourraient bien changer la donne : en effet, les États-Unis semblent cette fois déterminés à soutenir la participation de Taïwan, et mènent campagne en ce sens auprès de leurs alliés, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui se sont déjà prononcés en faveur de Taipei. Naturellement, cette « ingérence américaine » irrite la Chine au plus haut point.

Face à ces revendications, l’OMS, déjà accusée de complaisance envers Pékin (ce qui lui a déjà coûté la suspension des financements américains), se retrouve bien embêtée. Son conseiller juridique, Steven Solomon, a déclaré que l’OMS reconnaissait la République Populaire de Chine comme « l’unique représentant légitime de la Chine », conformément à la politique des Nations Unies décrétée en 1971, et que la question de la participation de Taïwan revenait aux 194 États membres. Pour que Taïwan retrouve son statut d’observateur, il faudrait qu’une majorité simple des membres y consente.

Face à la polémique grandissante, les internautes chinois s’en mêlent et dénoncent sur Weibo la manipulation de l’opinion internationale par Taïwan pour arriver à ses fins politiques : « les Taïwanais se vantent d’avoir prévenu en premier l’OMS de la transmission interhumaine. Mais en réalité, ils n’ont fait que de retransmettre les informations des médias chinois ». Ils ne tolèrent pas les revendications taiwanaises : « Pékin a déjà partagé toutes les informations nécessaires relatives à l’épidémie avec Taïwan. Que veulent-ils de plus ? Taipei ne doit en aucun cas oser en réclamer davantage ». D’autres préfèrent traiter l’affaire par le mépris : « pourquoi perdre notre temps à s’inquiéter de quelque chose qui n’arrivera jamais (la participation de Taïwan à l’AMS) ? ». Quelques-uns misent plutôt sur une lente destruction de l’économie taïwanaise : « l’accord de coopération économique (ECFA) prendra fin cette année, laissons la pauvreté rampante se charger de Taïwan ».

Les plus nationalistes d’entre eux appellent Pékin à reprendre l’île par la force, une possibilité évoquée clairement par le Président Xi Jinping lors d’un discours début 2019 : « Il est temps de régler ce problème une bonne fois pour toutes. Tsai Ing-wen n’aurait pas dû compter sur son US Daddy (Trump) ». Tian Feilong, professeur à l’université Beihang de Pékin, argumente que cette intervention militaire est justifiée puisqu’il sera impossible pour Pékin de résoudre la situation pacifiquement.  » Les manifestations à Hong Kong sont la preuve que le principe « d’un pays, deux systèmes » (que la Chine espère réutiliser comme base de réunification avec Taïwan) a lamentablement échoué « , précise-t-il. 

En une longue interview au magazine Bauhinia le 2 mai, un célèbre général de l’armée de l’air à la retraite appelle plutôt à « la patience stratégique ». Malgré une réputation d’homme belliqueux, le général Qiao Liang (喬良) averti que la pandémie ne doit pas être considérée comme une occasion d’envahir Taïwan. « Même en profitant de la faiblesse actuelle des USA, aux 150 bases et 4 000 militaires touchés par le coronavirus (alors qu’aucun soldat chinois n’aurait été contaminé), la fenêtre d’opportunité pour reprendre Taïwan n’est pas assez grande » argumente-t-il. Le coauteur du best-seller « La Guerre Hors Limites » (超限战), ouvrage dans lequel il détaille comment vaincre un ennemi plus fort que soi (les États-Unis), explique que le problème de Taïwan ne pourra pas être réglé tant que la rivalité entre Pékin et Washington n’est pas résolue. « Pandémie ou pas, le prix à payer d’un affrontement avec les États-Unis serait trop élevé et mettrait en danger l’objectif de réjuvénation nationale, qui consiste à offrir une meilleure vie à 1,4 milliard de Chinois et non pas reprendre à Taïwan », précise-t-il.

En dissociant ainsi la réunification avec Taïwan du sacro-saint objectif centenaire de 2049, on pourrait penser que le général va s’attirer des inimitiés au sein du pouvoir. Mais non, le général Qiao ne commet pas un faux pas politique. Au contraire, il réalise une prise de parole publique éminemment bien calculée, visant à justifier auprès d’un public nationaliste la décision des hauts dirigeants ne de pas intervenir militairement durant une période faussement propice – une nouvelle plutôt rassurante en soi. C’était également l’objectif d’un article de l’historien Deng Tao, publié dans le Study Times, magazine de l’École Centrale du Parti début mai, rappelant que l’empereur Kangxi (dynastie Qing) a préparé pendant près de 20 ans sa conquête de Taïwan au 17ème siècle avant de passer à l’action. De plus, il n’a pas uniquement eu recours à la force pour y parvenir.

Ce n’est pas la première fois que Pékin est contraint à apaiser les foules après avoir volontairement attisé le sentiment nationaliste. Mais le message est clair : sur la question taïwanaise, le peuple chinois devra calmer ses ardeurs, le moment sera venu uniquement lorsque le Parti (et surtout Xi Jinping) l’aura décidé.


Culture : La Chine qui se bat pour respirer
La Chine qui se bat pour respirer

Nous sommes en 2010. Des explosions résonnent dans la montagne Yuecheng (越城岭) dans le sud de la province du Hunan, à la frontière avec le Guangxi. A 1 500 m d’altitude, de petites mines illégales font vivre des paysans espérant gagner un peu mieux leur vie en piochant du fer. Pendant les huit années qui vont suivre, Jiang Nengjie a filmé des morceaux de vies brisées de ces mineurs. Il a rassemblé ces témoignages dans un documentaire d’1h21, intitulé « Mineurs, le gardien de chevaux et la pneumoconiose » (矿民, 马夫, 尘肺病), disponible sur YouTube.

Sans voix off, ni parti pris, le réalisateur expose la dure réalité de ces travailleurs et dévoile leurs préoccupations : le prix des minerais, les « faux » explosifs à la fumée toxique, les accidents dans les mines voisines, le montant de la compensation en cas de décès, les inspections des cadres locaux…

Tout s’arrête lorsque leurs mines sont fermées par les autorités en 2012. Les plus jeunes migrent alors dans les grandes villes et deviennent livreurs… Pour les plus anciens, la reconversion est plus difficile. Incapables du moindre effort physique, ces ex-mineurs souffrent de pneumoconiose. Cette maladie des poumons noirs est incurable et provoquée par l’inhalation d’infimes poussières gênant la respiration. « Avant, on ne savait pas que c’était risqué. Maintenant, c’est trop tard », témoigne un mineur.

Le réalisateur suivra l’un d’entre eux jusqu’à son dernier souffle. Dépendant de sa bouteille d’oxygène, le mineur ne reçoit aucune aide, sa condition n’ayant pas été reconnue comme une maladie professionnelle. En effet, selon l’ONG « Love Save Pneumoconiosis », seuls 9,5% des mineurs signent des contrats de travail avec leurs employeurs. Ils sont donc pour la plupart dans l’incapacité de prouver le lien avec leur maladie. Faute d’obtenir un dédommagement, les familles s’endettent alors lourdement pour payer les soins, car seulement un dixième du montant total est couvert par la sécurité sociale. Or, le traitement coûte des centaines de milliers de yuans…

Dans ces conditions, les consignes de lutte anti-pauvreté du Président Xi Jinping diffusées par des haut-parleurs à travers le village, sont accueillies avec scepticisme par les habitants : « 100 milliards de yuans ont été distribués dans la province à ce titre, mais personne n’en a vu la couleur », se plaint un ancien. La corruption des cadres est dénoncée, tout comme le fait que les médias ne rapportent que les bonnes nouvelles. Finalement, force est de constater que leurs drames n’intéressent personne…

A travers le pays, ils seraient 6 millions à souffrir de pneumoconiose. C’est neuf fois plus que le chiffre officiel du ministère de la Santé, qui recense essentiellement les mineurs employés par des groupes d’Etat. 

Sur la plateforme de notation de films Douban, le documentaire récoltait une note de 8,5/10 de la part des spectateurs, avant que la page ne soit supprimée. Un joli succès pour un film qui n’est pas sorti officiellement. En effet, le réalisateur de 35 ans ne voulait pas se soumettre aux exigences de la censure. « Cela aurait dénaturé mon travail », commente Jiang Nengjie. Alors fin mars, il décida de partager le lien de téléchargement à quelques fans de documentaires sur Douban, qui le partagèrent ensuite avec leurs amis… Un coup de génie puisque le documentaire devint viral en quelques jours. Lors de sa campagne de crowdfunding, il avait déjà annoncé ne pas chercher à obtenir le « sceau du dragon » pour son documentaire. Il fut alors accusé de profiter de fonds étrangers pour critiquer le gouvernement chinois, ce qui conduit la police à faire une descente à son bureau pour lancer une enquête…

Mais Jiang compte bien ne pas se retrouver dans la même situation que l’écrivaine Fang Fang, qualifiée de traître à la nation. « Participer aux festivals étrangers ? Pas question, je ne peux pas m’attirer des ennuis en Chine. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment réalisé ce documentaire en pensant à des audiences étrangères. S’il est visible sur YouTube, c’est parce que quelqu’un l’a posté, pas moi » précise-t-il.

Malgré cela, certains internautes nationalistes ont demandé son arrestation pour ne pas avoir présenté la Chine sous son meilleur jour. « Certaines personnes ont l’air de penser que de faire taire ceux qui soulèvent les problèmes permet aussi de faire disparaître les problèmes eux-mêmes », déplore Jiang. Pourtant, de ses propres dires, le jeune réalisateur n’a pas conçu ce documentaire comme une critique du gouvernement, mais comme un simple regard sur la situation de ces mineurs qui sont aussi des membres de sa famille. A l’écran, son père, un ancien mineur contraint à l’abandon par la tuberculose, mais aussi son cousin, un petit patron de mine… Deux de ses oncles souffrent aussi de pneumoconiose. Car les langues se délient plus facilement en famille – un constat partagé par la réalisatrice de « One Child Nation » qui est revenue sur la politique de l’enfant unique dans son propre village.

Le premier documentaire de Jiang, sorti en 2009, touchait également à un sujet personnel pour lui. Intitulé « The Road », il traitait des enfants laissés pour compte dans les campagnes, délaissés par leurs parents ayant migré dans les grandes villes pour trouver du travail. Une histoire inspirée de sa propre situation. Pour son prochain projet « Love is Love », Jiang s’intéresse aux difficultés rencontrées par la communauté LGBT en Chine. « Là encore, je ne soumettrai pas mon travail aux censeurs, je le distribuerai moi-même ». Et il ne faut pas s’y tromper, sans dire son nom, c’est bien un acte de rébellion : « nous devons nous battre pour nous exprimer dans nos films. Si on ne repousse pas les limites, les autorités vont encore empiéter sur notre espace de liberté ». 


Petit Peuple : Nanchang (Jiangxi) : le surf géant de Nai Nai (2 ème partie)

Jeune femme belle et gâtée, Nainai, à 22 ans, est devenue à Shanghai une star du vidéo blog …

Ce 3 janvier 2019, Nai Nai faisait son show de vidéo blog dans un centre commercial de Shanghai, commentant les devantures des boutiques et répondant à ses followers quand, sur son écran de portable, apparut un visage totalement inattendu. Jiang Bo, la star du vidéo blog chinois l’appelait depuis Wuhan, son lieu de résidence. L’arrivée du jeune homme sur son réseau fit sur Nai Nai un effet électrisant, « cheveux dressés et yeux écarquillés » (发指眦裂, fà zhǐ zìliè). Car Jiang Bo, sur son marché, faisait et défaisait les réputations, à la tête de son armée d’1,2 million d’internautes qui l’écoutaient, le regardaient et répétaient ses opinions, entre eux et sur la toile. Et voilà que Jiang Bo arrivait sur la scène de Nai Nai pour lui offrir de l’introduire sur la sienne …

En déplacement à Shanghai, Jiang Bo  avait besoin d’une partenaire locale. Scannant sur internet les différentes vidéo blogueuses en train de se produire en ville, il l’avait jugée « pas mal, mais sans plus », ce qui lui convenait parfaitement – il ne fallait pas que par trop de charisme, elle aille lui faire de l’ombre.

Pour Nai Nai, c’était une incroyable bonne fortune, qui multiplierait par plus de 1 000 son audience. Aussi tout de suite, le dialogue démarra sur un mode sémillant, en un combat de charme. Mais Nai Nai, quoiqu’au départ un peu tendue, fit mieux que se défendre ! Durant les 10 minutes du show, les admirateurs de Jiang envoyèrent à Nai Nai plus d’ « avions », de « fusées » et de « super-fusées » (cadeaux en argent transféré sur son compte) qu’à Jiang Bo qui, « puni » par son public pour avoir perdu la manche, se vit imposer un gage : apporter à la jeune femme une boite de tampons. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il fut bien obligé d’accepter.

Et c’est ainsi que les deux jeunes allaient se rencontrer, cette fois physiquement. Caméra en main, il frappa chez elle et lui adressa ce compliment douteux, « tu es presque aussi belle en vrai ». Elle lui répondit dans la même veine provocatrice. Puis il l’invita à dîner – elle accepta, s’estimant en position de force. Il l’aida alors à passer son manteau de fausse marte blanche et ils descendirent jusqu’à sa voiture à lui, un bolide tape à l’œil comme il se devait, une Ferrari 458 rutilante de tout son blanc.

Commença alors le vrai duel d’audience, toujours sous l’œil de la camera. Galant, il lui boucla sa ceinture de sécurité. Mais il perdit l’avantage, quand il voulut démarrer : il s’embrouilla dans le contact, rata le frein à main, cala ! Quand elle lui demanda de fermer sa fenêtre sous contrôle du chauffeur, il en fut incapable. Arrivée à la station d’essence, il ne trouva pas la marche arrière… – la Chine entière pouvait voir que le bolide n’était pas à lui ! Nai Nai pendant ce temps, bichait : elle lui attribua chichement une note de 5 sur 10, et vit sur son compte qu’elle venait de lui rafler 12 000 followers. Déconfit, Jiang Bo retourna à Wuhan, digérer sa défaite.

Mais Jiang n’était pas homme à baisser les bras. Avec son joli minois et son sens ingénu de la répartie, cette fille venait par deux fois de lui faire perdre la face – il n’allait pas se laisser faire ! Il commença par l’inonder de messages prétendant qu’il n’arrivait pas à l’oublier – elle-même, suivant les consignes de son agent, le gardait sur la touche, par des réponses laconiques et courtoises mais sans plus. Mais il était quand même un homme au million de fans, dont elle pouvait encore espérer lui en détourner quelques centaines, voire quelques milliers à chaque rencontre… Elle commença donc à passer ses fins de nuit à discuter avec lui sur smartphone. Et puis en février, il lui tendit son piège, dans lequel elle fonça tête baissée : elle accepta d’être sa girlfriend pour la Saint-Valentin – ainsi le 14, il reviendrait exprès à Shanghai, pour un dîner aux chandelles sous l’oeil évidemment de leurs abonnés.

Or c’était un traquenard ! La règle de Yuqian, sa compagnie sponsor était pourtant claire : elle devait émoustiller, se faire désirer, mais ne se donner jamais car elle gagnait sa vie sur le désir des hommes. Si elle tombait amoureuse, elle n’avait plus rien à vendre ! Aussi, ce soir-là, en tombant dans les bras de son joli cœur, Nai Nai scia la branche sur laquelle elle était perchée. Sur la toile, par milliers, les fans jaloux commencèrent à la taxer de quelconque, un peu moche et sans humour. Jiang aussi ce soir-là, en prit pour son grade : furieux, il planta là Nai Nai, qui risquait maintenant de voir son peloton de suiveurs, près de 40 000, tomber en débandade.

Bientôt, elle dut voir ses craintes se réaliser. Pour son anniversaire en mars, Wang son agent avait invité 12 fidèles à un banquet dans un restaurant branché. Mais seuls deux d’entre eux daignèrent se présenter. Dans ces conditions, le banquet risquait de tourner au fiasco – même les tours de force du preneur d’image ne parvenaient absolument pas à masquer le désastre. Wang dut feindre être un fan supplémentaire, conversant avec elle comme si c’était leur première rencontre. Les deux autres geeks fortunés et patauds n’aidèrent en rien l’ambiance, restant muets comme des carpes, têtes penchées sur leurs téléphones, même quand elle souffla les bougies du bien trop grand gâteau… Cette soirée qui aurait dû la relancer, fut un bide ! Et pour couronner le tout, son téléphone sonna : c’était Jiang Bo qui l’appelait, non pour lui souhaiter bon anniversaire – il l’ignorait – mais pour une invitation unique, en forme de défi et de revanche…

Quelle est cette dernière initiative du blogueur, vis-à-vis de cette fille qui avait osé le battre à son propre jeu ? Et Nai Nai, d’ordinaire battante, va-t-elle tomber sous le rouleau de la vague ? On le saura, cher lecteur, au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaines du 11 mai au 7 juin
Semaines du 11 mai au 7 juin

Notez qu’en raison de la situation actuelle, certains évènements ont été annulés ou repoussés à une date ultérieure (voir ci-dessous):

11-13 mai, Canton: Steel Build, Salon international de la construction en acier et des matériaux de construction métalliques, reporté au 4-6 août

12 -15 mai, Pékin : CIEPE – China Police ExpoSalon international des technologies et équipements pour la police , reporté au 23 – 26 novembre

13 -15 mai, Shanghai : Biofach, Salon mondial des produits bio. Salon et congrès, reporté au 1-3 juillet

13 – 15 mai, Shanghai : SIAL China,  Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux, reporté au 28 – 30 septembre

13 – 15 mai, Shanghai : THIS – The Health Industry Summit,Salon et congrès de l’industrie mondiale de la pharmaceutique et de la médecine, maintenu à priori

13 – 15 mai, Qingdao : API China, Salon chinois de l’industrie pharmaceutique, reporté au 9-11 juin

13 – 16 mai, Shanghai : Metal+ Metallurgy, Salon International du métal et de l’industrie de la métallurgie, reporté au 18 – 20 août

18 – 20 mai, Qingdao : CAHE – China Animal Husbandry Exhibition, Rencontre internationale pour les professionnels de l’élevage en Chine, reporté au 4 – 6 septembre

19 – 21 mai, Shanghai : China Beauty Expo, Salon international de la beauté, reporté – date à confirmer

21 – 22 mai :  Début de la session des deux Assemblées (CCPPC et ANP, Lianghui, 两会)

21 – 23 mai, Chengdu : CAPAS Chengdu, Salon international des pièces automobiles et des services après-vente autmobile, reporté au 20 – 22 mai 2021

21- 23 mai, Canton: Interwine China, Salon chinois international du vin, de la bière, et des procédés, technologies et équipements pour les boissons, reporté au 1 – 3 juillet 

23 – 26 mai, Yiwu : China Yiwu Imported Commodities Fair, Salon des biens importés en Chine, maintenu à priori

25 – 27 mai, Shenzhen : China International Toy & Edu / Baby & Stroller, Salon international du jeu et du jouet et accessoires pour bébés et enfants, reporté – date à confirmer

26 – 29 mai, Shanghai : Design Shanghai, Exposition international du design, reporté au 26 – 29 novembre

27 – 30 mai, Pékin : CIAACE, Salon international des accessoires automobiles, maintenu à priori

27 – 28 mai, Shanghai : Metro China Expo, Salon international et conférence sur le transport par rail urbain et regional, reporté au 2 – 3 septembre

5 – 7 juin, Singapour : Dialogue de Shangri-La. C’est la première fois depuis 2002 que le forum annuel sur la sécurité en Asie est annulé.

2 – 4 juin, Shanghai : PCHISalon des soins personnels et des cosmétiques, reporté – date à confirmer (la cérémonie PCHI Fountain Awards aura lieu en ligne)

1 – 6 juin, Canton : Guangzhou Shoe & Leather Fair, Salon International de la chaussure et des articles en cuir, maintenu à priori

2 – 5 juin, Shenzhen : IAMD – Integrated Automation, Motion & Drives,Salon international pour l’automatisation des procédés, maintenu à priori

3 – 5 juin, Shanghai : Aquatech/ Buildex, Salon professionnel international des procédés pour l’eau potable et le traitement de l’eau, reporté au 25-27 août

3 – 5 juin, Shanghai : Flowtech, Salon international des pompes, valves et tuyaux, reporté au 25-27 août

3 – 5 juin, Canton : IFE – International Food Exhibition, Salon international de l’alimentation, maintenu à priori

3 – 5 juin, Pékin :TOPWINE, Salon international du vin pour le nord de la Chine, ANNULE

4 – 6 juin, Pékin : NGVSSalon international du gaz naturel et des équipements pour stations de stockage; reporté au 10-12 août

15 – 24 juin, En ligne : Canton Fair, Foire industrielle internationale qui expose notemment dans les domaines des machines-outils,  bâtiment et construction, décoration, ameublement, luminaire, electroménager, domotique, électronique, mode et habillement