Taiwan : Nouveau mandat et nouvelle donne pour Tsai Ing-wen

Le 20 mai 2020 a eu lieu le discours d’investiture de la Présidente de Taïwan (ou République de Chine ) réélue le 11 janvier 2020. Les élections présidentielles de janvier avaient vu s’affronter trois candidats : Tsai Ing-wen (DPP), Han Guo-yu (KMT) et James Song (PFP – People First Party). Avec 57,13% des voix, Tsai Ing-wen avait obtenu presque vingt points d’avance sur le candidat de l’opposition Han Guo-yu (38,61%).

Cette réélection de Tsai est historique à bien des égards : c’est la première fois qu’une femme est réélue à la présidence en Asie, la première fois qu’un Président est réélu à Taïwan avec de meilleurs résultats que lors du premier mandat et enfin qu’un Président est élu à Taïwan avec plus de 8 millions de voix (sur plus de 18 millions de votants). Alors qu’un ancien vice-président, Wu Den-yih, avait affirmé fin 2019 que Tsai Ing-wen était une personne malchanceuse et apportant le malheur (衰尾查某), depuis son accession au pouvoir en 2016, les grands événements internationaux ont renforcé sa ligne stratégique.

La stratégie de Tsai est de replacer Taïwan au cœur de l’Asie tout en la décentrant du monde chinois : la révolte à Hong Kong en juin 2019, le conflit commercial (biens agricoles, notamment le soja) et technologiques (Huawei) entre les Etats-Unis et la Chine puis l’émergence du Covid-19, tout est allé dans le sens d’un affaiblissement du soft-power de Pékin à l’international et d’un renforcement de celui de Taïpei, autant au niveau économique que politique.

Au niveau économique, on assiste à un ré-investissement des entreprises étrangères et taïwanaises basées en Chine à Taïwan, et à une multiplication des collaborations hors Chine : l’exemple le plus éclatant étant la construction d’une usine de micro-processeurs du n°1 mondial, le taïwanais TSMC aux Etats-Unis.

Au niveau politique, l’agressivité de la diplomatie chinoise du masque (le don de masques servant à montrer la faillite des démocraties et la valeur du Parti communiste chinois) a contrasté avec le caractère mesuré de la diplomatie taïwanaise. Ce succès ainsi que sa réussite dans la lutte contre le Covid-19, a conduit plus de 20 pays, dont la plupart des pays de l’OCDE, à soutenir l’inclusion de Taïwan comme membre observateur au sein de l’Assemblée mondiale de la Santé. Ce soutien n’était malheureusement pas suffisant pour obtenir une majorité, mais Taïwan a obtenu l’attention internationale souhaitée. Il n’était donc pas nécessaire d’irriter davantage la Chine deux jours avant l’investiture de Tsai. Ainsi Taipei a préféré repousser sa candidature à l’année prochaine… Cela pourrait lui permettre d’être à nouveau au centre de toutes les attentions – une manière d’empêcher Pékin d’être tenté par une aventure militaire insidieuse.

On peut ajouter à cela que Taïwan sera sans doute, avec le Vietnam (qui a su aussi se méfier des déclarations de la Chine et de l’OMS en fermant très vite ses frontières), le pays qui souffrira le moins en Asie de la crise pandémique actuelle.

Tout cela se traduit bien sûr au niveau des sondages. En mars, un sondage du ministère chargé des relations inter-détroits montrait que 76% des Taïwanais se méfiaient de la Chine. Début mai, un sondage de l’agence internationale Pew précisait le tableau : non seulement le sentiment d’identité taïwanaise est au plus haut à 83% chez les moins de 30 ans mais la grande majorité des taïwanais préfèrent un rapprochement politique avec les Etats-Unis (79%) qu’avec la Chine (36%). A la CCTV, une élue du KMT, Wang Hung-wei, faisait part de son inquiétude que Taïwan devienne un autre Etat américain. Cela correspond tout à fait à que ce Pékin veut entendre d’une Taïwanaise invitée à la télévision chinoise mais est l’exact opposé du sentiment local sur l’île.

Toutefois, il convient aussi de noter une inflexion au sein du KMT, le principal parti d’opposition et généralement considéré comme pro-Pékin : son nouveau dirigeant, Chiang Chi-chen, prône une attitude pragmatique de statu quo et de respect de l’intégrité de la République de Chine, notamment par un renforcement des relations entre le KMT et les politiciens américains, et en demandant à Pékin de cesser de menacer les Taïwanais d’attaque militaire imminente. Le fait que le Secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, ait félicité Tsai Ing-wen le jour de son investiture met en évidence une des plus grande réussites du premier mandat de Tsai : avoir réussi à convaincre Washington que le DPP, et pas seulement le KMT, pouvait être un parti responsable et partenaire de confiance.

Cependant, une telle réussite ne va pas sans problèmes ni difficultés. Tout d’abord, la Chine reste le principal destinataire des exportations taïwanaises (40% du total). Ensuite, de par sa réussite même, la stratégie de Tsai renforce les attentes indépendantistes au sein de son parti : bien que la motion du législateur DPP Tsai Yi-yu, visant à amender la Constitution pour en retirer la mention d’une « réunification » nécessaire avec le continent corresponde à l’attente populaire, elle fut pourtant rejetée. Tsai sait bien que le soutien des Etats-Unis est conditionné à un point essentiel : ne rien faire ni dans les gestes ni dans les mots qui puisse provoquer une Chine de plus en plus irritable. En effet, seule une attaque immotivée de la Chine sur Taïwan lui permettra de recevoir un plein soutien international.

De ce point de vue, le discours de Tsai Ing-wen lors de son investiture a été fort sage et extrêmement pacifique : évitant toute provocation, il a mis en avant la valeur de la marque « Taïwan » comme hub démocratico-technologique au cœur de l’Asie. Alors que le nationalisme chinois atteint des sommets, Taipei n’a pas d’autre choix que de rester discret en espérant que cela aide à repousser la tempête. C’est pourquoi Tsai Ing-wen a, dans son discours, appelé à une pacification des relations, se disant ouverte à collaborer avec « le leader de l’autre rive du détroit ». En se faisant la chantre du statu quo et de la paix, Tsai renvoie stratégiquement les désirs du Parti de Xi Jinping de « résoudre au plus vite la question taïwanaise » du côté de la guerre et du chaos. A la charge de la Chine de démontrer dans les quatre ans à venir que, comme elle le prétend, son émergence est bien pacifique et que la violence n’existe que du côté des « impérialistes américains ».

Par Jean-Yves Heurtebise

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