Quand Xiaomi entraîna son petit ami Chen, ce 9 octobre 2008, vers le centre-ville de Shaoxin (Zhejiang), le jeune migrant pesta : pour son jour du repos, il avait autant envie de faire du shopping que de se pendre ! Mais ce que femme veut, Dieu le veut : 1 heure plus tard, ils étaient dans la grand-rue. Bien décidé tout de même à profiter de la balade, Chen s’arrêta à la loterie «08107» et acheta 10 tickets à 20¥, choisis par Xiaomi. Puis ils n’y pensèrent plus…
Lisant le journal, 8 jours plus tard, Xiaomi poussa un cri étranglé. Sur les 4 tickets remportant le gros lot, 2 étaient à lui…Ils contrevérifièrent, s’embrassèrent, entre rires et larmes. Chen, à 25 ans, se retrouvait à la tête de 10 millions ¥ !
Mais il dut vite découvrir les soucis liés à sa nouvelle condition. D’une voix flutée, la jolie lui fit valoir que désormais rien ne s’opposait plus à leur bonheur nuptial. Il dut alors piteu-sement dévoiler un honteux petit détail : il était déjà marié ! Pour convoler en justes noces, il devrait d’abord retourner dans son Hunan natal, négocier son divorce avec l’autre dont il se fichait (que Xiaomi soit entièrement rassurée là-dessus) ! Hélas, entendant l’aveu de cette trahison, Xiaomi, s’enfuit en hurlant.
Chen ne sut pas non plus dire non à la meute de journalistes, mais eut tout de même le bon sens de parler sous pseudonyme. Mégalomane, il se posait en mécène de son village. Il promettait de faire bâtir une route, qu’on appellerait « loterie ». C’était à défaut de l’appeler « la route-Chen » – il aurait bien aimé, mais cela aurait été dévoiler son patronyme…
Après cela, se riant de ces vaines précautions, un essaim de quémandeurs s’abattit sur lui. Même son patron, à qui il remettait sa démission, osa lui soumettre, au lieu de son dernier mois de salaire, la demande de lui prêter – avec intérêts, s’entend – les fonds pour payer ses collègues…
Avant qu’il puisse toucher son magot, le fisc l’avait taxé de 2 millions. Une fois au villa-ge, son ex-femme négocia le divorce à prix d’usure, 1 million. Xiaomi elle, coûtait beaucoup moins cher – rien. Elle était au loin : qu’elle y reste !
Chez ses parents tous les jours, une cour d’importuns l’attendait, proposant qui sa fille à marier (photo retouchée à l’appui), qui ses prières au temple bouddhiste. L’attrapant par le bras, un usurier lui rappelait affectueusement une dette de son père…
Il n’eut d’autre échappatoire que de prendre la fuite. Ayant passé son permis, il acquit une BMW, puis une maison. Mais il ne put se retenir de viser bien trop cher et tape à l’œil. Puis il se vautra dans la débauche, faisant valser les cocottes, buvant, ripaillant avec des joyeux drilles, à leur santé, à ses frais.
Pour claquer les 6 millions restants, 3 ans suffirent. Chen se souvint même d’une nuit où il fut délesté de 400 000 ¥ au mahjong… Il ne réalisait pas que ces investissements qu’on lui proposait dans la pierre ou le meuble, étaient du vent. Ils ne rapportaient rien, et lui, Chen, parmi les fauves, était la volaille que tous s’ingéniaient à plumer !
Déçu, il ne voulait plus du tout être mécène. Pour sa fa-meuse route, il ne verserait que 15.000 ¥ en guise des 400.000¥ promis, et encore, en se faisant tirer l’oreille.
En août 2012, Chen dut bien constater que sa fortune s’était évaporée. Il eût pu se sauver, en rejetant cette vie de bâton de chaise. Mais il était trop lâche. Il vécut donc encore quelques mois d’expédients. Il prit une hypothèque, et vendit la BMW. Quand le prêt expira, il quitta la maison et se cacha pour éviter les huissiers. Il vécut dans des hôtels toujours plus borgnes, partant parfois à la cloche de bois, faute de pouvoir payer fût-ce son petit déjeuner. Cette fois, ça y était, la boucle était bouclée : il était de nouveau le simplet, pauvre paumé de naguère.
En décembre 2013, une envie le reprit, irrésistible : retourner à Shaoxing, voir sa Xiaomi qu’il n’aurait jamais dû quitter. Elle le reçut fraichement – elle avait un nouveau compagnon. Est-ce un hasard, si sur le quai de gare avec en poche un billet de 3ème classe et 80 ¥, il fut cueilli par la police pour un « contrôle de routine » qui le reconnut instantanément escroc de la carte de crédit ? Effectivement, apprit-il plus tard au tribunal, la vente de ses biens pour une bouchée de pain l’avait laissé débiteur de 190.000¥, le rendant légalement coupable.
C’était la fin du voyage. Il passera 10 ans à l’ombre pour méditer sur ce tour que viennent de lui jouer les dieux, l’ayant fait passer successivement de la plus grande fortu-ne à la grande misère. Assez pour méditer, avant de redémarrer du bon pied en 2024, à 40 ans.
C’est le sens du proverbe « sai weng shi ma, yan zhi fei fu » (塞翁失马 焉知非福) : « le vieillard Sai a perdu son cheval, c’est sûr, mais est-ce un malheur ou une chance ? ». Allez savoir !
Sommaire N° 6