Politique : Le diable est dans la loterie

Avec Alex Payette, analyste politique

Fondées dans les années 90, seules deux loteries sont légales, celles du « bien-être social » (福利彩票)et celle du « sport » (体育彩票). Le secteur connaît une croissance vertigineuse, reflétant la passion invétérée du peuple chinois pour le jeu. L’Etat semble incapable de contrôler les dérapages illégaux – pourtant, pas question de chercher à l’interdire, vu son poids croissant dans les recettes nationales.

Administrée par le ministère des Affaires Civiles, la loterie du bien-être social est percluse de fraudes, issues en premier lieu de l’institution : gagnants choisis d’avance, machines et tirages télévisés en différé truqués, faux-billets, publicités mensongères des pourcentages redistribués aux joueurs (en réalité, moins de 10%)…

Les détournements sont exorbitants. Selon la CASS, en trois ans (2012-2014), sur 65,8 milliards de ¥ de billets vendus, 25% ont été siphonnés par des cadres sous prétextes divers : notes de frais indues ou achats de biens immobiliers. Et pourtant depuis, ces billets se vendent « comme des petits pains », et permettent de financer des projets caritatifs, malgré la fraude. En 2017, elle a vendu pour 217 milliards de ¥ de tickets. Une fois les lots payés (et siphonné par les détournements), demeuraient 62 milliards de ¥ pour les œuvres sociales, soit 28,5% des gains.

Ainsi le 12 septembre, le ministère des Affaires Civiles se retrouve une fois de plus sous le feu de la Commission Centrale Interne Disciplinaire  (CCID) : la directrice de la loterie du bien-être social, Wang Suying, était mise en examen. Depuis début 2017, cinq hauts fonctionnaires de la loterie nationale ont été rétrogradés, expulsés du Parti ou arrêtés. En 2008 même, suite aux travaux de reconstruction dus au séisme du Sichuan, le ministère avait été mis en cause dans plusieurs affaires de malversation.

De 2010 à 2016, le ministère avait été dirigé par Li Liguo. Envoyé au Tibet pendant 10 ans (1993-2003), son ascension est le fait de l’ancien Président Hu Jintao et sa reconduction au poste de ministère des Affaires civiles en 2013 a été soutenue par l’actuel Premier ministre Li Keqiang. Cependant dans les années 1980, Li connu au Liaoning deux alliés de Jiang Zemin : Xu Caihou (général déchu), et Li Changchun (l’ex-patron de la Propagande). Dès janvier 2017, Li était mis en examen, avec son adjoint, convaincus de détournement de plus de 200 milliards de yuans prélevés sur les ventes des billets de loterie !

Pour enrayer la corruption galopante, Huang Shuxian (64 ans) était nommé fin novembre 2016 nouveau ministre. Huang avait gagné du galon sous Hu Jintao en déboulonnant Zheng Shaodong, l’assistant de Zhou Yongkang le puissant ministre de la Sécurité Publique de l’époque, adversaire du chef de l’Etat. Sous Xi Jinping, Huang passé ministre de la Supervision (2013-2016), fut utile à Wang Qishan en s’en prenant à Li Liguo. Mais pourquoi nommer Huang aux Affaires civiles, alors qu’il frise la limite d’âge (65 ans) et que ce « petit » ministère signifie pour lui une rétrogradation de facto ? Son expérience en tant que ministre de la Supervision, pourrait être un plus, pour promouvoir des hommes fidèles et intègres aux postes clés. Mais il est au mieux un personnage de transition. Un nouveau ministre devrait donc être nommé d’ici peu. En tout cas pour Xi Jinping, ce nettoyage du secteur de la loterie et de son ministère, est teinté par sa préoccupation de défaire les réseaux tissés par Jiang Zemin et ses alliés, et par un souci fort mis en avant ces derniers mois, celle de l’éradication de la pauvreté extrême d’ici 2020.

Les loteries privées

En sus des loteries publiques, essaimées dans le pays par vendeurs ambulants ou par agences interposées, prolifèrent aussi les loteries privées, toutes techniquement illégales mais protégées par une administration régionale en échange d’une part des profits.

Internet fait leurs choux gras, avec ses 866 millions d’utilisateurs mobiles, anxieux d’échapper à l’ennui d’une société sous cloche. Grâce aux nouvelles technologies (images 3D et réalité virtuelle), elles invitent à parier sur les matchs de football de ligues étrangères par exemple.

Au début des années 2010, l’Etat avait imprudemment autorisé « deux entreprises à vendre des tickets de loterie en ligne ». Le groupe de Shenzhen 500.com, coté au Nasdaq, en faisant partie. En mars 2015, suite à la prolifération d’arnaques, le permis a été « suspendu » (il l’est toujours), sans parvenir à enrayer la progression des loteries clandestines… Suite à quoi 500.com perdait 52,3 millions de $ en 2016, puis 9 millions au 1er trimestre 2017. Les efforts publics de régulation du secteur se poursuivent.

Le 9 août, cédant aux injonctions du régulateur, Apple fermait sur son App Store (China) 2.500 applications de paris en ligne ou de ventes de « faux tickets de loterie ».

Le dernier mot revient à He Wenyi, directeur à l’Institut pour les valeurs sportives à l’université Beida : « si le public préfère le jeu privé et étranger, c’est que la loterie du sport est mal structurée et peu attractive ». La solution selon lui, consiste à laisser se développer le secteur de manière plus transparente, mieux encadrée, et dans des produits diversifiés pour satisfaire les goûts variés du public.

Le conseil sera-t-il suivi à Hainan, où l’Etat envisage de permettre les paris hippiques ? Affaire à suivre.

 

 

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