Le Vent de la Chine Numéro 32-33 (2018)

du 25 septembre au 13 octobre 2018

Editorial : Des congés sous tension

Voici venir les temps de la fête nationale du 1er octobre  (国庆节), « semaine d’or » où tout un chacun profite de ces quelques jours de congés pour faire du tourisme, du shopping ou encore s’envoler vers l’étranger.

La douceur de l’été indien contraste avec l’actualité brûlante chinoise : la guerre commerciale avec les Etats-Unis commence à mordre. L’administration de Xi Jinping a presque épuisé ses capacités de taxation des produits américains. Trump lui, peut encore taxer l’autre moitié des produits chinois sur sol américain.

Pour l’heure, les provinces chinoises compensent les pertes à l’export de leurs industries grâce à des fonds qu’elles empruntent—55 milliards de $ rien que durant la semaine du 17 septembre, nouveau record. S’inquiétant de l’explosion de la dette des provinces (2580 milliards de $), Pékin prépare un système de surveillance en temps réel de leurs recettes et dépenses.

Dans son Livre blanc du 24 septembre sur l’offensive commerciale américaine, Pékin déplore une « intimidation économique » mais reste toujours ouverte à la coopération. Soucieuse de ne rien faire d’irréparable, elle encaisse les coups – même après une offre américaine de vente d’armes à Taiwan pour 330 millions de $. Et même après ces préparatifs des Etats-Unis pour ouvrir leur agence de développement OPIC (Overseas Private Investment Corporation) aux capitaux d’Australie, du Japon, et bientôt de l’Inde qui négocie son entrée dans le système… Objectif : attirer des centaines de milliards de $ vers l’Asie, sur des projets d’énergie, de transport, de tourisme, d’infrastructures. Si le Sénat accepte, le fonds sera doublé à 60 milliards de $.

Dans cette course à la concurrence aux projets chinois BRI (Belt & Road Initiative), l’OPIC n’est pas seule : l’Union Européenne prépare son plan d’aide à l’Asie. 60 milliards d’€ de fonds doivent servir de garantie aux projets et attirer de 2021 à 2027, par effet « boule de neige » 300 milliards d’€ – si le Conseil européen vote le plan le 15 octobre. Par rapport aux BRI, ces chantiers promettent d’être transparents, soumis aux appels d’offres et aux normes internationales ; et de partager le travail avec les pays capables de le fournir, et les profits avec les pays bénéficiaires.

Chez ces derniers, justement, le vent de fronde s’amplifie—encouragé par ces plans concurrents, américain et européen, et par la rébellion d’autres pays comme la Malaisie. Décidément les temps changent.

Au Pakistan début septembre, A.R. Dawood, industriel et conseiller du 1er ministre Imran Khan (élu en août), choque Pékin en proposant l’arrêt pendant « 12 mois » de plusieurs chantiers géants du CPEC (China Pakistan Economic Corridor), le vaisseau amiral des BRI, avec 62 milliards de $. A Islamabad, le nouveau pouvoir dénonce ces chantiers facturés très au-dessus des prix du marché, et donnant aux firmes chinoises des avantages aussi imbattables qu’inéquitables. Il crie à la corruption de l’équipe politique précédente de Nawaz Sharif, et veut renégocier ! Sans retard, Pékin tente d’urgence d’éteindre l’incendie, dépêchant un diplomate à Islamabad et recevant à Pékin un général pakistanais : « tous les Etats amis de de Chine et du Pakistan sont les bienvenus pour participer » et « des modifications seront faites pour que les provinces pakistanaises mal servies en  projets, voient leur tour arriver ».

Pas de doute : la formule des BRI appelle à des révisions. D’autant que le 23 septembre, lors des dernières élections aux Maldives, le 1er ministre pro-chinois était battu. Dans l’archipel, l’opinion  s’inquiète du surendettement du pays, d’une trop grande dépendance envers Pékin, et rêve d’un rapprochement avec l’Inde… Mais ceci est une autre histoire.


Economie : La guerre de Trump divise la Chine

Après la dernière salve de taxes punitives réciproques (24 septembre), Chine et Etats-Unis ont peu de chance d’échapper à la paralysie de leurs échanges, 250 milliards de $ d’imports chinois aux USA taxés (50% du total),contre 110 milliards de produits américains taxés en Chine (75%).

Fait surprenant, côté chinois, l’unité de façade semblait se fissurer lors du 20ème Forum des 50 grands économistes en réunion le 16 septembre à Pékin. Ce club de réflexion a été cofondé en 1998 par Liu He (66 ans) aujourd’hui président du Groupe central des affaires économiques et financières (GCAEF). Membre du Comité Permanent, Liu est l’homme de confiance du Président Xi en matière financière, et a reçu la charge des délicates négociations avec Donald Trump.

 Sans rôle officiel, ce Forum est l’enceinte la plus écoutée en matière économique : ses membres ont tous tenu des responsabilités nationales, et la plupart sont aujourd’hui à la retraite, n’ayant plus de carrière à défendre, pouvant se permettre de parler clair. Parmi eux, les ténors Liao Min (48 ans) vice-ministre des Finances et Wu Xiaoling (71 ans), ex-vice-gouverneur de la Banque Centrale.

Or, lors du Forum, ces participants se sont opposés à la politique du Président Xi Jinping, dans ses attaques répétées contre le privé. Et ils l’ont fait en présence de Liu He, dont la présence silencieuse marquait le soutien implicite.

 Wu Jinglian, éminent économiste de 88 ans, a donné le ton, martelant que « seule une gouvernance basée sur l’écoute du marché et le respect des lois » permettrait de sortir de la crise. Le plus urgent, pour Xi, devrait être de « tenir sa promesse de 2012 » de « laisser le marché tenir le premier rôle dans l’octroi du crédit ».

Li Yang (67 ans) patron d’un Laboratoire national des Finances et du Développement, spécifia les discriminations subies par les firmes privées (les plus touchées par les taxes américaines, parce que les plus tournées vers l’export) : les fermetures forcées d’usines dans les secteurs en surcapacité, et la traque des banques « grises », qui sont pourtant leur seule source de crédit – 95% du crédit public officiellement va aux consortia d’Etat. A ces injustices, Sheng Hong, directeur du centre de recherches Unirule, en ajouta une autre : en 2018, une taxation alourdie mettrait le secteur privé au bord du gouffre, l’Etat recherchant ainsi les fonds pour subventionner les groupes publics et financer les infrastructures.

Yang Weimin (62 ans) ex-n°2 du GCAEF, observa que pour mettre fin au contentieux avec les USA, il faudrait arrêter de classer les firmes selon des statuts « public », « privé » ou « étranger », l’une protégée et les autres discriminées.

Yi Gang (60 ans), gouverneur de la Banque Centrale, estima qu’il n’y aurait de « réjuvénation nationale (un objectif cher à Xi Jinping) que moyennant la reprise de la politique de réforme et d’ouverture ».

Sans en avoir l’air, le Forum faisait le bilan du 1er quinquennat de Xi, et lui reprochait le blocage du pays, la baisse de la croissance, et la guerre commerciale d’un Trump qui ne supporte plus de voir la Chine grignoter les marchés des entreprises américaines et s’approprier leurs secrets technologiques.

Les prises de position qui se succédaient, tournaient autour de l’argument suivant : la conduite de la guerre commerciale ne devait pas faire oublier sa véritable origine, à savoir la panne de réforme de la gouvernance économique.

Absents au Forum, les adversaires de ces libéraux étaient les quelques milliers de petits-fils sexagénaires des révolutionnaires historiques, milieu auquel appartient le Président Xi. Très privilégiés -nombre sont milliardaires en dollars-, ils sont déterminés à garder leurs avantages. Selon Zhang Lin, autre chercheur à Unirule, ils considèrent comme leur principal danger cette classe moyenne émergente de jeunes gens éduqués, qui revendiquent de plus en plus l’abandon du monopole du Parti. Certains conservateurs voient dans l’offensive de Trump, la chance de prévenir ce danger qui monte : briser le secteur privé, principale source de prospérité de cette classe moyenne, et le faire au nom de la défense nationale contre l’offensive américaine – des sacrifices à faire supporter par « la collectivité ».

Lors d’un débat public quelques mois en arrière, avait été proposée une mesure choc : décréter la fin à la propriété privée en Chine. Cet été encore, un article polémique de Wu Xiaoping, écrivain gauchiste, avait mis le feu aux poudres en soutenant que « le secteur privé ayant accompli sa mission historique en Chine, pouvait quitter la scène »… Au Forum, Li Yang, tout en dénonçant ces excès, proposait une curieuse solution de compromis : que les groupes privés soient repris par ceux publics, retrouvant ainsi l’accès au crédit nécessaire à leur croissance, ce qui permettrait de « satisfaire tout le monde » !

Que faut-il déduire de la tenue de ce Forum critique du premier quinquennat de Xi Jinping, à une époque où tout le reste du pays se tait et retient son souffle ? Par son offensive commerciale, Trump a forcé les diverses tendances du régime à s’arracher à la fausse unanimité qu’elles parvenaient à maintenir jusqu’alors. Un clan libéral réapparaît soudain pour réclamer l’abandon d’une gouvernance économique réactionnaire.

C’est un message des économistes du pays : on ne peut pas régler le conflit avec Trump, ni sauvegarder la compétitivité, sans arrêter la chasse au secteur privé et sans déréguler l’accès au crédit. Or, que ce signal ait été donné en présence de Liu He, proche de Xi, peut suggérer que le régime est divisé sur la manière de gérer la crise, et sur l’avenir du pays et sa propre gouvernance autoritaire. Quant à Xi, il reste aussi, en leader prudent et pragmatique –peut-être- à soupeser les forces en présence pour s’assurer le pouvoir.


Politique : Le diable est dans la loterie

Avec Alex Payette, analyste politique

Fondées dans les années 90, seules deux loteries sont légales, celles du « bien-être social » (福利彩票)et celle du « sport » (体育彩票). Le secteur connaît une croissance vertigineuse, reflétant la passion invétérée du peuple chinois pour le jeu. L’Etat semble incapable de contrôler les dérapages illégaux – pourtant, pas question de chercher à l’interdire, vu son poids croissant dans les recettes nationales.

Administrée par le ministère des Affaires Civiles, la loterie du bien-être social est percluse de fraudes, issues en premier lieu de l’institution : gagnants choisis d’avance, machines et tirages télévisés en différé truqués, faux-billets, publicités mensongères des pourcentages redistribués aux joueurs (en réalité, moins de 10%)…

Les détournements sont exorbitants. Selon la CASS, en trois ans (2012-2014), sur 65,8 milliards de ¥ de billets vendus, 25% ont été siphonnés par des cadres sous prétextes divers : notes de frais indues ou achats de biens immobiliers. Et pourtant depuis, ces billets se vendent « comme des petits pains », et permettent de financer des projets caritatifs, malgré la fraude. En 2017, elle a vendu pour 217 milliards de ¥ de tickets. Une fois les lots payés (et siphonné par les détournements), demeuraient 62 milliards de ¥ pour les œuvres sociales, soit 28,5% des gains.

Ainsi le 12 septembre, le ministère des Affaires Civiles se retrouve une fois de plus sous le feu de la Commission Centrale Interne Disciplinaire  (CCID) : la directrice de la loterie du bien-être social, Wang Suying, était mise en examen. Depuis début 2017, cinq hauts fonctionnaires de la loterie nationale ont été rétrogradés, expulsés du Parti ou arrêtés. En 2008 même, suite aux travaux de reconstruction dus au séisme du Sichuan, le ministère avait été mis en cause dans plusieurs affaires de malversation.

De 2010 à 2016, le ministère avait été dirigé par Li Liguo. Envoyé au Tibet pendant 10 ans (1993-2003), son ascension est le fait de l’ancien Président Hu Jintao et sa reconduction au poste de ministère des Affaires civiles en 2013 a été soutenue par l’actuel Premier ministre Li Keqiang. Cependant dans les années 1980, Li connu au Liaoning deux alliés de Jiang Zemin : Xu Caihou (général déchu), et Li Changchun (l’ex-patron de la Propagande). Dès janvier 2017, Li était mis en examen, avec son adjoint, convaincus de détournement de plus de 200 milliards de yuans prélevés sur les ventes des billets de loterie !

Pour enrayer la corruption galopante, Huang Shuxian (64 ans) était nommé fin novembre 2016 nouveau ministre. Huang avait gagné du galon sous Hu Jintao en déboulonnant Zheng Shaodong, l’assistant de Zhou Yongkang le puissant ministre de la Sécurité Publique de l’époque, adversaire du chef de l’Etat. Sous Xi Jinping, Huang passé ministre de la Supervision (2013-2016), fut utile à Wang Qishan en s’en prenant à Li Liguo. Mais pourquoi nommer Huang aux Affaires civiles, alors qu’il frise la limite d’âge (65 ans) et que ce « petit » ministère signifie pour lui une rétrogradation de facto ? Son expérience en tant que ministre de la Supervision, pourrait être un plus, pour promouvoir des hommes fidèles et intègres aux postes clés. Mais il est au mieux un personnage de transition. Un nouveau ministre devrait donc être nommé d’ici peu. En tout cas pour Xi Jinping, ce nettoyage du secteur de la loterie et de son ministère, est teinté par sa préoccupation de défaire les réseaux tissés par Jiang Zemin et ses alliés, et par un souci fort mis en avant ces derniers mois, celle de l’éradication de la pauvreté extrême d’ici 2020.

Les loteries privées

En sus des loteries publiques, essaimées dans le pays par vendeurs ambulants ou par agences interposées, prolifèrent aussi les loteries privées, toutes techniquement illégales mais protégées par une administration régionale en échange d’une part des profits.

Internet fait leurs choux gras, avec ses 866 millions d’utilisateurs mobiles, anxieux d’échapper à l’ennui d’une société sous cloche. Grâce aux nouvelles technologies (images 3D et réalité virtuelle), elles invitent à parier sur les matchs de football de ligues étrangères par exemple.

Au début des années 2010, l’Etat avait imprudemment autorisé « deux entreprises à vendre des tickets de loterie en ligne ». Le groupe de Shenzhen 500.com, coté au Nasdaq, en faisant partie. En mars 2015, suite à la prolifération d’arnaques, le permis a été « suspendu » (il l’est toujours), sans parvenir à enrayer la progression des loteries clandestines… Suite à quoi 500.com perdait 52,3 millions de $ en 2016, puis 9 millions au 1er trimestre 2017. Les efforts publics de régulation du secteur se poursuivent.

Le 9 août, cédant aux injonctions du régulateur, Apple fermait sur son App Store (China) 2.500 applications de paris en ligne ou de ventes de « faux tickets de loterie ».

Le dernier mot revient à He Wenyi, directeur à l’Institut pour les valeurs sportives à l’université Beida : « si le public préfère le jeu privé et étranger, c’est que la loterie du sport est mal structurée et peu attractive ». La solution selon lui, consiste à laisser se développer le secteur de manière plus transparente, mieux encadrée, et dans des produits diversifiés pour satisfaire les goûts variés du public.

Le conseil sera-t-il suivi à Hainan, où l’Etat envisage de permettre les paris hippiques ? Affaire à suivre.

 

 


Investissements : Shenzhen, laboratoire de la Chine 2.0

Avec Sébastien Le Belzic,  Shenzhen

Au cœur du delta des Perles à 2000 kilomètres de Pékin, 30 ans en arrière, Shenzhen n’était qu’un gros village de pêcheurs. C’est aujourd’hui une métropole de plus de dix millions d’âmes, une nouvelle frontière de l’industrie et de la matière grise, la « Silicon Valley chinoise ».

Shenzhen fait aussi fonction de laboratoire national de l’intelligence artificielle (IA), avec des milliers de start-up de jeunes chinois et étrangers -Shenzhen détient la plus forte concentration d’ingénieurs et de chercheurs en informatique du pays.

Adossé à la frontière-nord de Hong Kong, évidemment en osmose avec elle, Huaqiangbei est simplement le plus grand marché d’électronique du monde, caverne d’Alibaba qui déploie sur 3km² tous les composants imaginables, microprocesseurs ou batteries d’ordinateurs pour miner le Bitcoin…

Huaqiangbei abrite aussi Hax, le premier incubateur du pays, financé en partie sur fonds européens et américains. David Stoikovitch, fondateur de sa start-up Moona a mis au point, et produit un oreiller « intelligent » capable de varier sa température selon les phases de sommeil et d’éveil. « Ici, dit-il, tout se fait 3 à 4 fois plus vite et moins cher qu’en Europe. Pour notre petite équipe aux moyens limités, c’est un atout de pouvoir fonctionner dans cet environnement en phase de développement et d’industrialisation du produit ».

Rhianna Richards, la responsable de la communication, explique : « l’écosystème de Shenzhen permet d’accueillir des ingénieurs des quatre coins du monde. 20 nationalités et des centaines d’entreprises créent ici chaque année des applications en tous domaines, dont l’IA ». Fondateur de Kalibrio Capital, Ludovic Bodin renchérit : « tous les consortia chinois mènent des recherches en IA, en matière de santé comme de mobilité, de finance, d’assurances, d’environnement. Autant de recherches destinées à améliorer la vie des citoyens et des consommateurs ».

Il n’est pas si courant en Chine, de voir ouvrir grands les bras aux étrangers : à Shenzhen, tout est fait pour leur faciliter la vie et leur ouvrir accès à près de la moitié des financements mondiaux en matière d’IA. À lui seul, l’Etat compte y investir 22 milliards de $ d’ici 2020. C’est que l’ « usine du monde » est en train de muer en un gigantesque réseau connecté, dont le cerveau tourne depuis Shenzhen.

Même le géant européen Airbus y a ouvert cette année son premier bureau consacré à l’innovation dans le monde. « Ce qui est important, est de marier innovation et financements, explique Luo Gang, directeur du Bureau Innovation-Airbus à Shenzhen. Ce sont deux aspects d’une même ambition, et tous deux sont ici présents. Cela crée une sorte de réaction chimique qui fait améliorer la performance économique d’une entreprise ».

Mais cette débauche de moyens et d’énergie à Shenzhen, cache aussi une volonté de l’Etat de contrôle social, pas forcément le plus rassurant.

Arpentant une des artères à 4 voies qui sillonnent le quartier de Futian, le long de gratte-ciel étincelants, le passant a le regard attiré par un écran géant au carrefour. Surprise, il ne diffuse pas de pub, mais un portrait – le sien ! En effet, le long de chaque avenue, des dizaines de caméras HD (7 millions de pixels) identifie instantanément quiconque s’oublie à traverser au rouge ou hors des passages cloutés… Son visage s’affiche, accompagné de son nom et d’une partie de son numéro national d’identité. La start-up Intellifusion, est l’auteur du système. Son meilleur client est la police, qui annonce avoir épinglé 15 000 contrevenants en moins d’un an. Tous se trouvent ainsi doublement punis : par ce passage au « tableau de honte » et par un rappel à l’ordre de la police sur leur smartphone. Une suite est en préparation – une amende.

Une autre priorité de l’Etat, à Shenzhen, est de réaliser à étapes forcées l’interconnection avec Hong Kong, dans le double but d’accélérer l’intégration à la mère patrie de l’ex-colo-nie de la Couronne, et de fonder avec Canton et Macao la « Greater Bay Area », base financière et industrielle capable d’assurer demain à elle seule un quart du PIB national.

Depuis le 23 septembre, une nouvelle ligne TGV relie Canton à Hong Kong en 47 minutes (142km) via Shenzhen, qui n’est plus qu’à 14 minutes de Hong Kong (26km), pour un investissement record de 13,2 milliards de $, dont 85% à charge de la Région Administrative Spéciale. Cette ligne relie aussi Hong Kong à Pékin en 8h56 heures et 2300 km, via Changsha puis Wuhan.

Sont attendus 80.000 passagers par jour sur cette ligne de TGV chinoise, la seule dotée d’un service de police des frontières et de douanes –800 agents installés dans le futuriste terminal de Kowloon-West, sans faire appel à des fonctionnaires hongkongais : une organisation que dénonce le Legco, le Parlement de Hong Kong (seule expression politique autonome sur le  « Rocher »), comme infraction flagrante au principe « un pays deux systèmes » (一国两制).

Autre infrastructure faite pour frapper les esprits, le plus long pont suspendu maritime du monde (55km, dont 29km de rampe d’accès et 6,7 km de tunnel) est à quelques semaines de son ouverture, destiné à relier la RAS avec Macao, Zhuhai, Shenzhen et toute la Chine. Maintes fois retardée par des problèmes techniques, la mise en service devrait intervenir d’ici décembre. Il vient d’essuyer (16 septembre) sans problèmes apparents Mangkhut, son 1er typhon, aux rafales à 180km. Il a été dessiné pour résister à 200 km/h, à des séismes de force 8, et durer 120 ans. Il pourrait avoir besoin de toute la période pour se rembourser, vu son coût stratosphérique de 20 milliards de $. D’autant que le péage, fixé sur base politique, ne reflétera pas le souci d’amortissement – pour une automobile, il devrait en coûter 150¥, et pour une camionnette 60¥… Un tarif très bas, destiné à faire accepter par la jeunesse insulaire cette réunion forcée avec son pays que ses grands-parents avaient fui 70 ans plus tôt.


Blog : Pierre Cardin : 40ème anniversaire à la Muraille
Pierre Cardin : 40ème anniversaire à la Muraille

Jeudi 20 septembre, à l’occasion du 40ème anniversaire de la présence de Pierre Cardin en Chine, la maison de couture fêtait l’événement d’une manière exclusive : elle choisissait pour son défilé le site grandiose de la Grande Muraille à 60 km de Pékin, sur la section jouxtant l’hôtel Commune by the Great Wall— c’était pour le groupe, la première fois qu’il présentait sur ce monument un défilé complet !

Sous la férule de sa dynamique directrice-Chine Fang Fang, Pierre Cardin  choisit chaque année pour son show un site emblématique, porteur d’un symbole fort, comme aux grottes de Dunhuang en 2008, ou sur le futur porte-avions Liaoning en 2011, à l’époque à la chaîne au port de Tianjin (Pierre Cardin en personne était apparu sur le pont en pleine nuit, descendant d’un hélicoptère)…

Cette année, la Grande Muraille posait aux organisateurs des difficultés techniques inédites : toute la troupe, mannequins et invités devait se plier à une demi-heure d’ascension plutôt sportive d’un raidillon au relief inégal, en se tenant à une solide corde tendue d’arbre en arbre, aux déclivités frisant parfois les 30%. De même, entre l’espace d’habillage et le « catwalk », les figurants avaient 400m à parcourir, limitant le nombre de « rotations » (changements de tenue). Il a donc fallu engager une centaine de mannequins.

À la fête participait une grande figure des défilés Cardin, Maryse Gaspard, aujourd’hui directrice Haute-Couture, qui dès 1979, se produisait sur la Muraille pour présenter quelques créations inédites (cf photo d’époque).

Aux yeux de Sui Shun, une des mannequins, les tenues présentées exprimaient « une touche vintage contrastant avec les tendances actuelles de la monde » : soieries, taffetas et lins se déclinaient sous toutes les couleurs et tons, parfois très vifs et unis, parfois composés en dégradés et moirés rappelant des effluves des modes du siècle passé, de la Belle époque ou des années 30. La variété des styles, reflétait autant l’origine des créateurs-stylistes (de tous pays), que la sensibilité des marchés du groupe, répartis sur les cinq continents.

Aujourd’hui, la griffe Pierre Cardin se décline sous franchise en Chine, et à travers plus de 100 pays.

 


Religion : Vatican—Pékin : nouveau départ

C’est par un simple communiqué que le Pape François a annoncé le 22 septembre l’accord avec Pékin sur la nomination des évêques—discrétion oblige, vu l’émoi que suscite la nouvelle en Chine et en dehors. Négocié depuis 10 ans, ce pacte est d’une importance symbolique, marquant la fin de 68 ans de rupture.

Pourtant, loin d’être un concordat sur l’intégralité des relations entre le régime socialiste et le Vatican, l’accord ne traite que d’un mince chapitre, la nomination des évêques. En ce domaine à l’avenir, le Pape aura le dernier mot. Pour l’heure, il validera les 7 prélats de l’Eglise catholique officielle nommés par Pékin. En échange, Pékin reconnaîtra certains des 30 prélats « de l’ombre ». Les autres litiges restent en suspens –tels le sort des biens d’Eglise confisqués en 1951 ou des « lettres pastorales » que le Saint-Père fait lire en chaire ailleurs sur Terre. À en croire un observateur, ces points mettront des décennies à se régler ! 

Par cet accommodement, le Pape François vise entre autres à obtenir une visite officielle en Chine, et à réconcilier les deux églises – l’officielle et celle de l’ombre. Pour l’instant, pèse le risque d’un déchirement : côté officiel, les cadres n’ont nulle envie de partager leurs prébendes, et les chrétiens « au foyer », qui ont souffert pour sauvegarder leur lien au Pape, redoutent de devoir transiger sur leur pratique et dogme.

C’est dans cette atmosphère de contestation que le Pape a pris soin de présenter l’accord comme « provisoire », « pastoral » et « apolitique ». Mais le texte reste encore secret. Vatican et Chine semblent d’accord pour ne maintenir sur chaque diocèse qu’un évêque, écartant l’autre, officiel ou de l’ombre selon le cas – tout en lui ménageant une autre fonction. À la base, parmi les communautés, aucun effort ne sera fait pour fusionner de force les paroisses rivales. À celles clandestines, le Pape peut tenter de « vendre » son accord en leur expliquant qu’il les légalise et les protège de la loi de « sinisation » en vigueur depuis février qui les menace d’arrestations, harcèlement et destructions de sanctuaires. Apparemment avant l’accord, tous les évêques ont été consultés. Pourtant côté public, média et cadres sont restés silencieux jusqu’au dernier moment. Ainsi, pas plus que le clergé (des deux bords), l’administration n’est enthousiaste envers ce rapprochement. Question d’atavisme, de tradition d’hostilité partagée.

Pour conclure, cet accommodement n’arrive que par la volonté de Xi Jinping et du Pape François, leaders qui se respectent de longue date. Ensemble, ils ont accepté de prendre le risque de fissurer la muraille de rejet entre chrétienté et régime, pour entamer le dialogue.


Politique : Nur Bekri— La chute d’un emblème ouighour

Le 20 septembre, un vol spécial en provenance de Moscou, atterrissait à Pékin, de retour d’une visite à Vladimir Poutine. En descendait Nur Bekri (57 ans), chef de la NEA (Agence Nationale de l’Energie), emmené par la NSC, Commission Nationale de Supervision. Nur est accusé de « sérieuses fautes disciplinaires… ayant nui au secteur de l’énergie ».

Ce n’est pas la première fois qu’un dirigeant de la NEA est arrêté, l’agence ayant sonné le glas de nombreuses carrières. Depuis sa fondation en 2009 (auparavant ministère de l’Energie), onze de ses hauts cadres ont chuté, dont Liu Tienan, prédécesseur de Nur, condamné à la perpétuité fin 2014.

La NEA ferait-elle tourner les têtes, avec ses contrats en milliards de $, afférents à des projets prioritaires aux 4 coins du pays, pouvant donner aux cadres l’impression fallacieuse d’être au-dessus des lois ?

D’origine ouighoure, la carrière de Nur semblait prometteuse, le faisant dès 2007 Président (gouverneur) du territoire autonome du Xinjiang. En 2012, 9 cadres de la « 6ème génération » (nés après 1960), dont Nur Bekri, étaient élus au Comité Central. En 2014, il poursuivait son ascension à Pékin comme Président de la NEA et n°2 à la NDRC. Cependant les ennuis ne tardèrent pas : à Urumqi peu après son départ, deux de ses proches collaborateurs (son chef de cabinet Alimjan Mehmet Emin, son n°2 de terrain Li Jianxin) étaient limogés et mis sous enquête pour corruption, probablement sous l’impulsion de Chen Quanguo, le nouveau Secrétaire du Parti. Puis en novembre 2017, lors du 19ème Congrès, Nur perdait sa place au Comité Central—indice d’une mise à l’écart.

 En l’absence de toute précision sur les charges pesant sur lui, on en est  réduits aux conjectures. Une accusation de corruption est probable—elle serait bien conforme à la ligne de Xi Jinping, de tolérance zéro envers les « tigres », hauts cadres s’étant mis en délicatesse vis-à-vis de la loi.

Mais la chute de Nur représente une perte sévère pour le régime : il est le fruit de décennies d’investissements de Pékin pour intégrer l’élite ouighoure à son gouvernement. Pour un régime se revendiquant multi-ethnique, désireux d’intégrer un corps de fonctionnaires locaux, compétents et loyaux, c’est un échec.


Petit Peuple : Chengdu – Lorsque l’enfant disparaît… (2ème Partie)

Résumé de la 1ère partie : sur le marché de Sanyuan, à Chengdu, en 1994, Qifeng, la fillette de Wang et Liu, a disparu sans laisser trace…

Après cette disparition, la vie continua cahin-caha pour les parents, entre le jour, où le travail aidait à oublier le drame, et la nuit où ils se réveillaient en sursaut et en larmes. Liu avait repris seule leur étal, laissant Wang se consacrer à la recherche de leur fillette.

Il alla au journal de Chengdu déposer une annonce, avec promesse d’une grosse prime, qu’il n’osa jamais avouer à sa femme : et si quelqu’un venait la réclamer, comment feraient-ils pour la payer ?  À la police, il retourna pour créer le portrait robot. Chez lui, il rédigea une affichette en calligraphie malhabile, avant d’aller l’encoller sur les poteaux télégraphiques.

Une femme ayant subi le même calvaire, lui ouvrit les arcanes de ce monde mystérieux du kidnapping et de la fugue. Elle lui montra les asiles pour enfants de rue. Il fit la tournée les hôpitaux : il découvrit les enfants voleurs, violés, mendiants, à la dérive…

Entre eux, Wang et Liu avaient tacitement banni le sujet—chacun gardait blessure au plus profond, sans s’y étaler, avec dignité. Au fond d’eux pourtant, l’espoir se cachait, têtu. Portée par son intuition, Liu savait que quelque part Qifeng l’appelait. La nuit, elle s’imaginait lui parler, la peigner, la chouchouter. En silence, elle croyait dur comme parole de Bouddha la prédiction que lui avait faite le devin : dans 24 ans, Qifeng lui reviendrait.

Wang lui, croyait plutôt au conseil du policier, « toujours se battre, jamais baisser les bras ». Car il se sentait coupable de ne pas l’avoir assez bien surveillée ce jour-là au marché… Aussi trouvait-il toujours de nouvelles pistes, avec l’énergie du désespoir. Chaque année, ils célébraient au temple deux anniversaires de leur fille, celui de sa naissance, celui de sa disparition.

En 1996, un bébé fille naquit, Kaihua. Elle meubla leurs jours, les adoucit et en occulta l’amertume.

Leur effort de recherche finit par payer : un journal, une chaîne TV publièrent leur saga. Ils avaient désormais une photo à montrer, celle de Kaihua, qui selon eux, était le portrait « craché » de Qifeng ! Mais hélas, cela ne donna rien…

Au fil des années, le petit commerce de Wang et Liu s’améliora. En 2000, ils recrutèrent deux employés – Wang avait pu s’offrir un permis de conduire et livrait leurs clients. En 2015, avec un prêt de la banque, Wang acheta une berline pour se faire chauffeur à son compte, les clients étant fournis par Didi Chuxing, le groupe de VTC. A chaque passager, il révélait son drame et laissait une affichette en souvenir. Souvent, les clients venaient d’ailleurs, de tout le pays. En trois ans, Wang distribua au bas mot 5000 brochures. Sur la plage arrière de son véhicule, il avait collé un large autocollant posant le même message –ce que l’on recherchait à présent, était une jeune femme de 24 ans, disparue en 1994, 21 ans plus tôt.

Grâce à l’internet, des réponses commencèrent à sourdre, de candidates elles aussi en quête de parents égarés. Les premières suscitèrent un immense espoir, mais leur test ADN,  très cher mais heureusement financé par un sponsor, était négatif.

Et puis à l’été 2018, ce fut Kang Ying qui appela de Panshi (Jilin) à 2.800 km de distance. Cette jeune mère de 27 ans avait été retrouvée en 1994 au bord d’une route à 20km de Chengdu, par une famille qui l’avait adoptée sans faire de vagues. L’amour dont elle avait été entourée et aimée, n’avait jamais suffi à lui faire perdre l’espoir de retrouver ses parents biologiques.

Kang Ying avait rencontré son mari à Chengdu durant leurs études, puis il l’avait ramenée chez lui au Dongbei. Plus tard, il l’avait encouragée à adhérer au réseau de baobeihuijia.com, ONG dédiée aux enfants perdus. En effet, plusieurs milliers de disparitions d’enfants sont recensées en Chine chaque année, la plupart victimes de gangs mafieux qui les revendent entre 40.000 yuans pour une petite fille et 100.000 yuans pour un garçon.

Baobeihuijia crée des fiches, réalise des enquêtes complémentaires, puis compare les dossiers à l’ordinateur, permettant ainsi de réunir des familles. L’association sélectionne d’abord les familles plausibles, contacte les deux bords, et organise le test ADN. Qui dans le cas de Kang Ying, s’avéra positif ! Kang Ying était donc bien la fille de Wang et Liu, Qifeng. Cette révélation fut pour elle le bouleversement qu’on imagine, comme pour les auteurs de ses jours. 

Quinze jours plus tard, elle débarquait avec son mari et leurs deux enfants. Lors des retrouvailles, elle se jeta dans les bras du père en s’écriant : « papa, maman je suis de retour ». Wang répondit par la phrase qu’il s’était ressassée durant tant de nuits et d’années : « ma fille, ton père a failli à son devoir envers toi ». A cet instant, bien des yeux, dont ceux des officiels et des journalistes, avaient du mal à contenir le brillant de quelques larmes. Alors seulement, parents et enfant pouvaient remiser le vieux sentiment de culpabilité mutuelle, et se pardonner à eux-mêmes. Le devin avait donc dit vrai : 24 ans après, la famille était enfin réunie. Par quel savoir magique, cet homme avait vu, puis dévié le mauvais sort jeté sur ce clan ? C’est un mystère qui appartient à la Chine. Par son coup magistral, 妙手回春 miàoshǒu huíchūn), « la main admirable faisait refleurir le printemps ».


Rendez-vous : Semaines du 24 septembre au 14 octobre 2018
Semaines du 24 septembre au 14 octobre 2018

25-27 septembre, Shanghai : Automotive Testing Expo China, Salon du test, de l’évaluation, et de l’ingénierie de la qualité dans les composants automobiles

26-28 septembre, Shanghai : MEDTEC China, Salon et Conférence des constructeurs de matériel médical

27-28 septembre, Shanghai : Fastener Show Shanghai, Salon int’l de la fixation

27-28 septembre, Shanghai : TUBE China, Salon int’l des industries des tubes et des tuyaux

27-28 septembre, Shanghai : WIRE China, Salon int’l du câble et du fil

27-29 septembre, Shanghai : CHIC, Salon int’l de la mode, de l’habillement et des accessoires

27-29 septembre, Shanghai : MILANO UNICA China, Salon int’l du textile haut de gamme italien

27-29 septembre, Shanghai : YARN Expo Autumn, Salon int’l pour les fils et le tissé

1-20 octobre, Nankin : CIEPE, Salon int’l de la protection de l’environnement et de la ville écologique en Chine

10-12 octobre, Pékin : ILOPE, Salon int’l de l’industrie de l’optoélectronique et de la photonique

10-13 octobre, Shanghai : MUSIC China, Salon int’l des instruments de musique et des services

11-13 octobre, Shenzhen : CIEFAIR – China Int’l Internet et e-commerce

11-13 octobre, Chengdu : CIAII, Salon int’l des automatismes industriels et de la robotique

11-13 octobre, Shenzhen : CILF, China Int’l Logistic & Transportation

11-13 octobre, Suzhou : EMEX China, Salon int’l des fabricants d’électronique

11-13 octobre, Taizhou, China PEC, Salon int’l de l’industrie du plastique