Investissements : Shenzhen, laboratoire de la Chine 2.0

Avec Sébastien Le Belzic,  Shenzhen

Au cœur du delta des Perles à 2000 kilomètres de Pékin, 30 ans en arrière, Shenzhen n’était qu’un gros village de pêcheurs. C’est aujourd’hui une métropole de plus de dix millions d’âmes, une nouvelle frontière de l’industrie et de la matière grise, la « Silicon Valley chinoise ».

Shenzhen fait aussi fonction de laboratoire national de l’intelligence artificielle (IA), avec des milliers de start-up de jeunes chinois et étrangers -Shenzhen détient la plus forte concentration d’ingénieurs et de chercheurs en informatique du pays.

Adossé à la frontière-nord de Hong Kong, évidemment en osmose avec elle, Huaqiangbei est simplement le plus grand marché d’électronique du monde, caverne d’Alibaba qui déploie sur 3km² tous les composants imaginables, microprocesseurs ou batteries d’ordinateurs pour miner le Bitcoin…

Huaqiangbei abrite aussi Hax, le premier incubateur du pays, financé en partie sur fonds européens et américains. David Stoikovitch, fondateur de sa start-up Moona a mis au point, et produit un oreiller « intelligent » capable de varier sa température selon les phases de sommeil et d’éveil. « Ici, dit-il, tout se fait 3 à 4 fois plus vite et moins cher qu’en Europe. Pour notre petite équipe aux moyens limités, c’est un atout de pouvoir fonctionner dans cet environnement en phase de développement et d’industrialisation du produit ».

Rhianna Richards, la responsable de la communication, explique : « l’écosystème de Shenzhen permet d’accueillir des ingénieurs des quatre coins du monde. 20 nationalités et des centaines d’entreprises créent ici chaque année des applications en tous domaines, dont l’IA ». Fondateur de Kalibrio Capital, Ludovic Bodin renchérit : « tous les consortia chinois mènent des recherches en IA, en matière de santé comme de mobilité, de finance, d’assurances, d’environnement. Autant de recherches destinées à améliorer la vie des citoyens et des consommateurs ».

Il n’est pas si courant en Chine, de voir ouvrir grands les bras aux étrangers : à Shenzhen, tout est fait pour leur faciliter la vie et leur ouvrir accès à près de la moitié des financements mondiaux en matière d’IA. À lui seul, l’Etat compte y investir 22 milliards de $ d’ici 2020. C’est que l’ « usine du monde » est en train de muer en un gigantesque réseau connecté, dont le cerveau tourne depuis Shenzhen.

Même le géant européen Airbus y a ouvert cette année son premier bureau consacré à l’innovation dans le monde. « Ce qui est important, est de marier innovation et financements, explique Luo Gang, directeur du Bureau Innovation-Airbus à Shenzhen. Ce sont deux aspects d’une même ambition, et tous deux sont ici présents. Cela crée une sorte de réaction chimique qui fait améliorer la performance économique d’une entreprise ».

Mais cette débauche de moyens et d’énergie à Shenzhen, cache aussi une volonté de l’Etat de contrôle social, pas forcément le plus rassurant.

Arpentant une des artères à 4 voies qui sillonnent le quartier de Futian, le long de gratte-ciel étincelants, le passant a le regard attiré par un écran géant au carrefour. Surprise, il ne diffuse pas de pub, mais un portrait – le sien ! En effet, le long de chaque avenue, des dizaines de caméras HD (7 millions de pixels) identifie instantanément quiconque s’oublie à traverser au rouge ou hors des passages cloutés… Son visage s’affiche, accompagné de son nom et d’une partie de son numéro national d’identité. La start-up Intellifusion, est l’auteur du système. Son meilleur client est la police, qui annonce avoir épinglé 15 000 contrevenants en moins d’un an. Tous se trouvent ainsi doublement punis : par ce passage au « tableau de honte » et par un rappel à l’ordre de la police sur leur smartphone. Une suite est en préparation – une amende.

Une autre priorité de l’Etat, à Shenzhen, est de réaliser à étapes forcées l’interconnection avec Hong Kong, dans le double but d’accélérer l’intégration à la mère patrie de l’ex-colo-nie de la Couronne, et de fonder avec Canton et Macao la « Greater Bay Area », base financière et industrielle capable d’assurer demain à elle seule un quart du PIB national.

Depuis le 23 septembre, une nouvelle ligne TGV relie Canton à Hong Kong en 47 minutes (142km) via Shenzhen, qui n’est plus qu’à 14 minutes de Hong Kong (26km), pour un investissement record de 13,2 milliards de $, dont 85% à charge de la Région Administrative Spéciale. Cette ligne relie aussi Hong Kong à Pékin en 8h56 heures et 2300 km, via Changsha puis Wuhan.

Sont attendus 80.000 passagers par jour sur cette ligne de TGV chinoise, la seule dotée d’un service de police des frontières et de douanes –800 agents installés dans le futuriste terminal de Kowloon-West, sans faire appel à des fonctionnaires hongkongais : une organisation que dénonce le Legco, le Parlement de Hong Kong (seule expression politique autonome sur le  « Rocher »), comme infraction flagrante au principe « un pays deux systèmes » (一国两制).

Autre infrastructure faite pour frapper les esprits, le plus long pont suspendu maritime du monde (55km, dont 29km de rampe d’accès et 6,7 km de tunnel) est à quelques semaines de son ouverture, destiné à relier la RAS avec Macao, Zhuhai, Shenzhen et toute la Chine. Maintes fois retardée par des problèmes techniques, la mise en service devrait intervenir d’ici décembre. Il vient d’essuyer (16 septembre) sans problèmes apparents Mangkhut, son 1er typhon, aux rafales à 180km. Il a été dessiné pour résister à 200 km/h, à des séismes de force 8, et durer 120 ans. Il pourrait avoir besoin de toute la période pour se rembourser, vu son coût stratosphérique de 20 milliards de $. D’autant que le péage, fixé sur base politique, ne reflétera pas le souci d’amortissement – pour une automobile, il devrait en coûter 150¥, et pour une camionnette 60¥… Un tarif très bas, destiné à faire accepter par la jeunesse insulaire cette réunion forcée avec son pays que ses grands-parents avaient fui 70 ans plus tôt.

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