Petit Peuple : Zhenyang – Wang Shengli, un Robin des Bois des temps chinois (Partie 1)

Fils de banlieue de Zhumadian (Henan), au début des années ‘80, Wang Shengli était du bois dont sont faits les mauvais garçons.
Etait-ce la violence d’un père alcoolique (d’ailleurs vite disparu du foyer), ou son propre caractère languide et jouisseur ? Dès l’enfance, il faisait l’école buissonnière, oubliait leçons et devoirs. Sur son carnet de liaison, ses notes restaient invariablement médiocres, ponctuées d’avertissements, puis de renvois.

En apprentissage où au prix d’efforts héroïques, sa mère parvenait à le placer, ses séjours se déroulaient selon un scénario immuable : il se retrouvait vite à la rue, pour absentéisme, insolence ou chapardage.
C’était plus fort que lui : il n’aimait que boire et jouer au poker avec d’autres vauriens. Et plus sa mère en pleurs l’adjurait de se ressaisir, plus il feignait la colère, partait en claquant la porte, cachant mal son sourire aux lèvres – ravi de rejoindre ses compagnons de ribaude. Au début, il mendiait. Mais vite, il préféra voler les portefeuilles à la tire, ou bien le soir en bande, détrousser les attardés dans les ruelles.

Un soir de 2003 dans un tripot, il rencontra une fille qui se donna à lui la nuit-même, et l’éblouit par ses talents. Dès le lendemain, il l’emmenait, tambour battant, au bureau des mariages. Mais très vite, l’amour tourna à l’aigre. Lui reprochant sa liberté perdue, il accablait de reproches souvent infondés, la pauvre fille qui n’en pouvait mais. Ou bien se disputait avec ses beaux-parents chez qui ils habitaient. Au bout d’un mois, sortant du bureau des divorces et plantant là son ex-femme sous le choc, il sifflotait de soulagement : « enfin seul » !

En 2005, il se mit pour de bon au travail : lâchant la petite délinquance minable qui risquait gros sans rien rapporter, il se lança dans le fric-frac des agences municipales d’organismes nationaux, Bureau du Planning ou Office de l’eau, entre Shangcai et Runan (Henan). Très malin, il avait constaté que ces officines rurales, mal surveillées, regorgeaient de taxes qu’elles prélevaient sur l’habitant. Aveuglément confiants dans la peur des citoyens envers le régime, les ronds-de-cuir protégeaient mieux leurs maisons que leurs bureaux. Aussi la nuit tombée, sur une cible repérée à l’avance, Shengli forçait la porte au pied de biche, débranchait l’alarme rudimentaire, perçait à la scie et à la perceuse un coffre datant de l’empereur Kangxi, avant de prendre la poudre d’escampette avec la recette du jour. Il tint ainsi jusqu’en 2007, où l’imprudence de trop lui valut ses premiers trois ans de prison. 

C’était la tuile, bien sûr. Mais une fois passée la phase du désespoir, le néo-taulard ne tarda pas à constater que ce séjour en fait, était pour lui une bénédiction, université du crime et bourse du travail délinquant. Dans la cellule, les codétenus l’initièrent aux arcanes de la cambriole, lui apprirent quels gogos plumer en priorité, comment tutoyer les différentes serrures, alarmes et portes blindées, quels symptômes révélaient les mouchards et balances. 

Dans la cour d’exercices, il eut loisir d’observer les détenus, d’évaluer leur trempe : parmi ce hit-parade des malfrats, tenant compte de leurs dates de libération, il recruta sa bande. De la sorte, quand il sortit le 30 décembre 2010 à l’aube, avec pour tout bien sa valisette de toile défraichie, il était prêt à lancer l’opération délinquante la plus dure à craquer pour la police chinoise aux temps modernes. Au mitard, il avait peaufiné la méthode, qui devait faire école. 
Avant tout coup, il s’imposait des mois de repérage de sa victime, afin de tout savoir sur son train de vie, ses habitudes-quand son logis était désert et sans défense. 

Un soir de mai 2011, à quatre, ils fracturèrent la porte-fenêtre du salon de Zhao Xinghua, Secrétaire du Parti de Zhenyang, patron des destinées de 760.000 âmes. Un cinquième était dehors à faire le guet. Au volant d’une fourgonnette volée, le dernier restait moteur en marche, prêt à démarrer. C’était leur baptême du feu. Terrorisés, ils sentaient leurs cœurs cogner dans leurs poitrines, au point que « le corps ne suive pas l’âme » (hún bù shǒu shè, 魂不守舍) - de s’oublier dans leurs pantalons. Mais quand ils repartirent deux heures plus tard, ils avaient des sacs de cash, de lingots d’or, de pierreries et de cartes de débit bien lestées – cadeaux de corruption discrets et fort prisés. Le souffle court, jubilant, ils contemplaient ces richesses, plus précieuses qu’ils n’en avaient jamais vu. 

A vrai dire, ce premier casse faillit mal tourner. De retour d’une soirée de plaisirs, dans la nuit noire , le secrétaire Zhao découvrit ses tiroirs brisés, ses cassettes forcées, ses statuettes disparues. Tapant sur son portable, il réveilla fébrilement son chef de la police, qui arriva ventre à terre en un temps record, suivi de cinq as de la brigade, prêts à ratisser la villa dévastée en quête d’indices. Plus d’un million de yuans s’étaient volatilisés. Aussi dès l’ouverture des bureaux, Zhao appela Pékin pour se plaindre : au bout du fil, ses chefs jurèrent de faire coffrer les coupables sous huit jours, histoire de leur apprendre à narguer la toute-puissance du Parti.
Pourtant, malgré ces débuts incertains, Shengli avait visé juste : ses prochaines années ne seraient pas celles de la prison, mais celles de la gloire…
Si vous souhaitez savoir comment et pourquoi, la suite au prochain numéro !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
15 de Votes
Ecrire un commentaire