Le Vent de la Chine Numéro 37

du 16 au 22 novembre 2014

Editorial : Un sans-faute pour Xi Jinping à l’APEC

A domicile (Yanqi – Pékin), la Chine organisa avec succès un événement international majeur, la grand-messe de l’APEC (10-11/11) – une première pour Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir.L’enjeu initial de l’APEC portait sur un futur accord de libre-échange entre les 21 nations riveraines du Pacifique. Rêvé depuis 25 ans, mais bloqué par les disparités idéologiques et de richesses entre Etats, ce traité n’a jamais pu voir le jour. Aussi depuis 2008, les Etats-Unis négocient avec 12 pays (les plus avancés) un Partenariat Trans-Pacifique ( TPP), de voilure plus limitée mais plus réaliste – où la Chine n’est pas conviée.

Or à Yanqi, faisant échec à cette stratégie discriminante, Xi put faire adopter le principe d’une FTAAP (Zone de libre-échange d’Asie-Pacifique) aux 21, n’excluant personne. Il fut aidé dans la démarche par le fait que même après 6 ans de palabres, le TPP rencontre des blocages, tel celui du marché agroalimentaire nippon que Tokyo considère « chasse gardée ».
Xi a aussi imposé son projet de fonds « Route de la Soie » et a fait avancer l’idée d’un traité multilatéral contre les voyageurs corrompus, pour saisir leurs fortunes envolées à l’étranger.
En effet, le Président chinois est en position de force : sur son terrain, il fait valoir la force unique de son pays comme locomotive mondiale de la croissance. Mais sa victoire est surtout symbolique : s’inscrivant dans la lignée du concept des 25 dernières années, le FTAAP restera encore longtemps tout aussi chimérique. 

Paradoxalement, reflétant le rôle dualiste du couple Chine-USA, rival ET partenaire, l’accord le plus important est signé entre eux, sur le plan climatique : les USA s’engagent à couper leurs émissions de 26-28% d’ici 2025 par rapport à 2005, et la Chine, de plafonner les siennes pour 2030 et « plus tôt si possible ». À y regarder de près, les deux promesses nationales n’impliquent aucun effort nouveau. Mais ce deal est mobilisateur : les deux pays ne sont plus en collusion apparente pour bloquer un traité anti-réchauffement global, qui a désormais plus de chances d’aboutir, à Paris fin 2015, au COP21 de l’ONU. Obama et Xi Jinping ont signé d’autres accords majeurs, tel cet octroi mutuel de visas touristiques jusqu’à 10 ans, ou tel l’ITA (Information Technology Agreement) qui supprimera les droits douaniers sur 250 produits, dans un marché de 1000 milliards de $. L’ITA sera validé, peut-être dès décembre, à l’OMC par les autres nations parties prenantes. 
Un autre accord sino-russe prévoit la livraison en Chine de 30 milliards de m3 de gaz sibérien, en plus des 38 milliards de m3 commandés en mai. Enfin, l’accord de libre-échange sino-coréen, annoncé imminent, lèvera les tarifs douaniers sur plus de 90% des échanges, donnant à la Corée du Sud une avance substantielle sur ses compétiteurs taïwanais et américains.L’APEC a aussi été le terrain de tête-à-tête « propitiatoires » entre Xi et des hôtes avec qui les relations n’étaient pas au beau fixe : les Premiers ministres nippon Shinzo Abe, et canadien Steven Harper, ainsi que les Présidents vietnamien Truong Tan Sang et philippin Benigno Aquino… Ainsi, avec « son » APEC, Xi Jinping fait un « sans faute » qui assoit son image internationale et renforce au passage sa position face à ses adversaires au sein du Parti. 


Technologies & Internet : La Chine, grande prêtresse de l’internet quantique

C’est un pari sur l’inconnu, à grand frais, que la Chine lance avec son réseau informatique quantique. D’ici 2016, Shanghai et Pékin seront reliés par cette technologie d’avenir. Son atout, qui n’est en fait pas démontré : d’être inviolable, car pour accéder aux données, tout hacker doit d’abord « mesurer » le photon qui les transporte, ce qui donne l’alarme. A part cette sécurisation, le système n’a pas que des qualités. Sur 2000km de fibre optique, le réseau exige un relais tous les 100km, laissant l’information circuler à 2 Gigahertz de vitesse (faible). Son prix sera astronomique, 10.000 yuans par usager. A ce tarif, l’ICBC sera le 1er client, pour ses transferts financiers. 

D’ici 2020, selon le professeur Pan Jianwei (expert reconnu à l’international, cf photo), la Chine entière sera équipée. Le réseau mondial est pour 2030. A Hefei (Anhui), à l’Université des Sciences et Technologies, Pan appelle les villes à bâtir leur réseau sur les modèles de Hefei ou Jinan. Le noeud central sera en place fin 2015, permettant l’interconnexion générale. En soutien, un satellite quantique sera en place dès 2016. 

Ces données éclairent la très particulière gouvernance en Chine de ce type de programmes innovants tels l’internet des quanta, la nanotechnologie ou le séquençage ADN d’un génome. Loin de démarrer sur un programme central de la technologie recherchée, Pékin (souvent la Commission nationale de recherche en technologies militaires) distribue de fortes subventions aux universités, avec un « cluster » de savoir de base. Une ou des bases régionales émergent, puis l’Etat fait appel au volontarisme local pour développer des réseaux locaux, ou mettre en commun les résultats engrangés.
Avec cet internet quantique, la Chine a peut-être trouvé son premier champ de compétence où le marché est encore à prendre. 

Le risque est qu’aux Etats-Unis, la NSA parvienne à développer un ordinateur quantique assez rapide pour craquer le cryptage du système… En tout cas, pour reprendre l’avis de R. Laflamme, à la tête d’un centre de recherches en informatique quantique à Waterloo (Canada), « en communication quantique, les Chinois avancent à vitesse incroyable. Aucun pays au monde n’a de programme aussi ambitieux ».


Hong Kong : C.Y. Leung, patron de Hong Kong, récompensé

«  La tempête révèle l’herbe solide et l’émeute, la loyauté du ministre ». En récitant ces vers de l’Empereur Taizong (ère Tang) à l’APEC, Xi Jinping apporta à C. Y. Leung, patron de Hong Kong, son soutien ferme face aux manifestations des étudiants, réclamant d’ici 2017 le suffrage universel complet. 

Pour le n°1 chinois, Hong Kong doit apprendre « à fond et sans erreurs » le fonctionnement du principe « un pays, deux systèmes », et développer la démocratie en ses murs « selon la loi ». En même temps, comme pour l’aider à avaler sa déception, Xi octroie à la ville une compensation : l’interconnexion partielle des places boursières de Shanghai et de Hong Kong, au 17/11. Par ce mécanisme, 568 sociétés continentales (valorisées 2 trillions de $) peuvent vendre leurs parts au HKSE, tandis que les agioteurs chinois peuvent sortir de Chine une partie de leur bas de laine estimée à 8 trillions de $. 

L’accès aux deux bourses est ouvert à quiconque, mais pas -encore– à volonté : les Hongkongais peuvent acheter pour 2,1 milliards de $ par jour à Shanghai, et 1,7 milliard de $ au HKSE, avec des plafonds respectifs de 49 et 40 milliards de $. D’ici 2015, croit BNP-Paribas, ce mécanisme devrait enrichir le HKSE de 38%, et quand les deux places seront intégrées, elles deviendront la 3ème place mondiale, valorisée 5,6 trillions de $. Depuis l’annonce du projet en avril, l’opérateur du HKSE, HK Exchange & Clearing a vu son titre s’envoler à +34,1% tandis que Shanghai progressait de 14,8%, inversant 5 ans de recul lui ayant fait perdre 25%. 

Initialement prévue pour le 27/10, l’interconnexion avait été reportée pour cause du mouvement étudiant. Aujourd’hui, sa réalisation est implicitement présentée comme un signe de confiance envers C.Y. Leung et une récompense à la ville pour avoir tenu bon face à l’anarchie. Elle est aussi un « prix de consolation » pour la jeunesse de l’île : à défaut de démocratie rapide et complète, elle obtient une bouffée de prospérité, un avenir un peu plus assuré…


Aviation : Salon de Zhuhai – L’avion chinois en plein looping

C’est devenu la règle : le Salon aéronautique biennal de Zhuhai (11-16/11) apporte toujours des surprises. La présence d’ Obama à Pékin au même moment, APEC oblige, peut avoir inspiré le leadership à dévoiler un appareil ultrasecret, comme un message que l’APL rattrape en performances les meilleures armées du monde. Aussi le J-31 furtif (cf photo), d’ AVIC-Shenyang, était le clou du salon. Mais sa démonstration en vol n’a pas convaincu les experts : quoique non armé et équipé de réacteurs étrangers (des Klimov russes), le chasseur semble poussif et à ce stade, l’APL elle-même ne l’a pas intégré à sa flotte de combat. 

<p>Très impressionnant au sol, l’Y-20, d’AVIC-Xi’an, est un appareil de transport inspiré du C17 de Lockheed Martin (Etats-Unis), capable de décollage et atterrissage sur terrain court et accidenté – le complément logistique d’une force de déploiement rapide. Mais là aussi, l’appareil manque de puissance. On l’aura compris : le gros problème de l’aéronautique chinoise est dans la motorisation, et même la Russie, son partenaire militaire n°1, n’atteint pas les performances euro-américaines.

Une autre surprise, à ce salon incontournable, fut l’annonce d’un futur concurrent de l’A350 (dernier né de chez Airbus). Co-production sino-russe COMAC et VAC, le C929 vise la certification pour 2023. Contrairement à ses aînés ARJ-21 et C919 (ce dernier, toujours en développement, avec plus d’un an de retard), il serait partiellement en matière composite, pour les ailes. Au demeurant, la grande majorité de l’appareil, moteurs, avionique, alimentation électrique et électronique viendraient de l’industrie occidentale, faute pour les partenaires de maitriser ces technologies. Le volume de production global, 1000 appareils, semble modeste, limité aux marchés intérieurs russe et chinois. Bien sûr, ce projet est avant tout stratégique : il s’agit d’alléger la dépendance russo-chinoise envers Airbus et Boeing alors que d’ici 2033, la Chine sera 1er marché du monde avec 6020 avions commerciaux achetés. 

Airbus, qui a livré en 2014, 125 avions, veut doubler en Chine ses achats de pièces d’ici 2020, à 1 milliard de $. De même pour Boeing, à 2 milliards de $. Thales et Safran viennent de signer une JV (11/11) avec AVIC, respectivement d’avionique d’hélicoptère et de moteurs turbopropulseurs. Ne pas croire cependant que la Chine reste sur la touche des marchés mondiaux. AVIC vient de vendre 111 turbopropulseurs Y-12F de 20 places, à une firme californienne de logistique— un avant-goût des choses à venir.


Société : Au bonheur des célibataires…et des autres aussi !

Le 11/11 à 00h, à l’occasion de la fête « des Célibataires », des dizaines de millions de Chinois se jetèrent sur les galeries commerçantes sur internet. Datant de 2009, ce concept de Daniel Zhang, marketeur de génie chez Alibaba, était parti d’un gag d’étudiants 10 ans plus tôt. En effet, les barres du chiffre « 1 » de cette date du « 11/11 » ressemblaient un peu aux « branches sèches » (光棍, guanggun), les jeunes de plus de 30 ans et encore non mariés. Forcément malheureux, il fallait les aider à se « mettre en ménage », et donc les inciter à « s’équiper » via de forts rabais ce jour-là sur tout produit en ligne. Auprès d’une société chinoise adorant les jeux et internet, le succès fut fracassant : Alibaba breveta le logo.

<p>Depuis le 11 novembre 2010 où Alibaba amassa 1,62 milliard de $, le chiffre atteignait cette année 9,3 milliards de $ – un record, et 75% du marché ! Un pic fut enregistré vers 18h00 – dès la sortie du travail, chacun faisait ses achats sur son smartphone ! Xiaomi, l’étoile montante de l’électronique, écoula en seulement 12 heures, 720.000 smartphones, engrangeant 163 millions de $. 

Pour faire face à la ruée, les 27.000 vendeurs et les services connexes (logistique, marketing…) se préparent au 11/11 des mois à l’avance. Dès début octobre, s’attendant à 20% de hausse de trafic, l’opérateur de livraisons Yunda (Shanghai) rajouta 1000 camions aux 20.000 qu’il possédait, et 10.000 employés temporaires à ses 80.000 permanents. Il ouvrit aussi des antennes aux Etats-Unis, en Corée du Sud et au Japon. 

Toutefois, certains commerçants doivent prendre de gros risques pour cette foire virtuelle d’un jour, qui souvent, fait leur saison. Par exemple, LeSportsac et ELLE ont dû recruter pour faire face à l’afflux de commandes et à leur acheminement. Ils versent aussi 3 à 5% de commission de ventes à Alibaba qui empoche les recettes de la publicité sur ses plateformes (Taobao & Tmall). Pour ces 24 heures, ELLE dépense 30% de son budget annuel marketing et pub, tandis que LeSportsac y investit 10% de son chiffre d’affaires annuel. Cette opération lui coûte donc cher, mais comme il réalise 30% de son chiffre sur internet, il n’a pas d’alternative. De plus, d’autres avantages sont à attendre : les commandes drainent de nouveaux clients et renforce l’image de marque. Ce qui, pour une PME n’a pas de prix !


Transports : Tous les chemins (de fer) mènent en Chine

Par un phénomène où le hasard n’avait nulle place, le sommet de l’APEC (05-12/11) fut dense en rebondissements, à propos du TGV chinois. La veille du sommet avait vu le Mexique attribuer à un consortium sino-mexicain (seul candidat à l’appel d’offres) la construction d’une ligne de train à grande vitesse à 4,3 milliards de $. Deux jours après, à la surprise générale, Mexico dénonça le contrat, suite à des plaintes d’autres groupes ferroviaires mondiaux pour « irrégularités ». Cependant, la Chine a porté plainte et l’affaire suit son cours. 

De son côté, la NDRC annonça le 08/11 un plan d’infrastructures doté de 113 milliards de $, notamment pour construire 16 lignes ferroviaires à travers le pays.
Le même jour vit le lancement du 1er tronçon de la ligne Lanxin (Lanzhou-Xinjiang), 530km de Urumqi jusqu’à Hami. Le second tronçon, Hami-Lanzhou, suivrait en décembre. Complexe, cet axe stratégique a dû franchir un col de 3600m à Qilianshan (Gansu), et un désert rude où un sirocco à 60m/seconde fit dérailler un train en 2009. 462km de murs ont été dressés, contre le vent et les attentats. Toute la ligne est d’ailleurs sous caméras. Coût total, 23 milliards de $. 

Le 09/11, à l’ouverture formelle de l’APEC, Xi Jinping lançait un mot d’ordre inattendu : celui d’un « rêve de la région Asie Pacifique », accompagné d’un fonds voué à financer des infrastructures. Joignant l’acte à la parole, Xi dotait ce fonds dit «  Route de la Soie », d’une mise de départ de 40 milliards de $. Une des priorités de cet outil financier international, sera le déploiement de lignes de chemin de fer à travers 60 pays. Deux axes doivent suivre une « route de la soie » au nord (via l’Asie Centrale), une « route de la soie maritime » au sud (via l’ASEAN, Inde et Pakistan, Moyen et du Proche-Orient). De fait, pas par hasard, la ligne Lanxin était inaugurée à temps pour l’ APEC : comme 1ère étape de la nouvelle « route de la soie » avant de poursuivre (selon l’espoir annoncé des constructeurs et politiciens chinois) via Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan, Iran et Turquie, jusqu’à la Bulgarie. 

Lanxin Railway Opened 8'11Au demeurant, le « rêve d’ASEAN » de Xi Jinping a été précédé depuis plusieurs années sur la route maritime par une série de ports en milliards de dollars, entre Birmanie, Pakistan, Sri Lanka, Maldives, permettant de désenclaver ces pays pauvres, tout en les liant à la Chine… 

La dimension stratégique de ces chantiers n’échappe à personne. Au sommet de l’APEC, Xi accélère le pas pour tenter de supplanter en influence les Etats-Unis d’Obama. Pour Xi, le moment est idéal : malmené aux dernières élections, ayant perdu la majorité aux deux Chambres du pays, Obama est paralysé pour ses deux dernières années de mandat. 

Cette main tendue de Xi permet de combattre la stratégie de « pivot » des Etats-Unis, tentant de fédérer sous leur ombrelle les petits pays de la zone pacifique contre l’expansion chinoise en mer de Chine. Mais la Chine s’avère capable d’assister ces mêmes pays (ou bien au contraire, de s’en abstenir) dans leur développement. Le message est clair : « le développement, c’est par la Chine qu’il passe », à commencer par le TGV, qui a pour effet secondaire de libérer instantanément le trafic de marchandises. Car au Xinjiang, une fois la nouvelle ligne TGV en place, l’ancienne sera réservée au fret, permettant d’en tripler le trafic à 200 millions de tonnes par an. À tous ces pays d’Asie Centrale comme d’Asie du Sud-Est, anxieux de s’équiper en infrastructures mais impécunieux, des accords sont proposés à conditions imbattables et sous des formules souples, telles le prêt bonifié ou le remboursement en matières premières. 

Le chemin de fer donc, surtout le TGV, devient un fer de lance de l’expansion chinoise dans le monde , par l’offre d’équipements d’avant-garde, à prix cassé. Mais ce réseau ferré n’a qu’un terminus : la Chine. Tous les chemins (de fer) mènent non pas à Rome, mais à Pékin ou Shanghai, créant une nouvelle circulation des biens et des personnes, entre le continent eurasien et l’Empire du Milieu, ce qui est une source de richesse pour tous, et de pouvoir politique pour la Chine. 

En fin de compte, la Chine devient ainsi usufruitière de cet investissement chez ses voisins, ce qui justifie qu’elle offre de le subventionner. Ce train, comme ces ports deviendront son instrument d’influence sur la région asiatique, voire le monde entier, pour des siècles à venir !


Petit Peuple : Zhenyang – Wang Shengli, un Robin des Bois des temps chinois (Partie 1)

Fils de banlieue de Zhumadian (Henan), au début des années ‘80, Wang Shengli était du bois dont sont faits les mauvais garçons.
Etait-ce la violence d’un père alcoolique (d’ailleurs vite disparu du foyer), ou son propre caractère languide et jouisseur ? Dès l’enfance, il faisait l’école buissonnière, oubliait leçons et devoirs. Sur son carnet de liaison, ses notes restaient invariablement médiocres, ponctuées d’avertissements, puis de renvois.

En apprentissage où au prix d’efforts héroïques, sa mère parvenait à le placer, ses séjours se déroulaient selon un scénario immuable : il se retrouvait vite à la rue, pour absentéisme, insolence ou chapardage.
C’était plus fort que lui : il n’aimait que boire et jouer au poker avec d’autres vauriens. Et plus sa mère en pleurs l’adjurait de se ressaisir, plus il feignait la colère, partait en claquant la porte, cachant mal son sourire aux lèvres – ravi de rejoindre ses compagnons de ribaude. Au début, il mendiait. Mais vite, il préféra voler les portefeuilles à la tire, ou bien le soir en bande, détrousser les attardés dans les ruelles.

Un soir de 2003 dans un tripot, il rencontra une fille qui se donna à lui la nuit-même, et l’éblouit par ses talents. Dès le lendemain, il l’emmenait, tambour battant, au bureau des mariages. Mais très vite, l’amour tourna à l’aigre. Lui reprochant sa liberté perdue, il accablait de reproches souvent infondés, la pauvre fille qui n’en pouvait mais. Ou bien se disputait avec ses beaux-parents chez qui ils habitaient. Au bout d’un mois, sortant du bureau des divorces et plantant là son ex-femme sous le choc, il sifflotait de soulagement : « enfin seul » !

En 2005, il se mit pour de bon au travail : lâchant la petite délinquance minable qui risquait gros sans rien rapporter, il se lança dans le fric-frac des agences municipales d’organismes nationaux, Bureau du Planning ou Office de l’eau, entre Shangcai et Runan (Henan). Très malin, il avait constaté que ces officines rurales, mal surveillées, regorgeaient de taxes qu’elles prélevaient sur l’habitant. Aveuglément confiants dans la peur des citoyens envers le régime, les ronds-de-cuir protégeaient mieux leurs maisons que leurs bureaux. Aussi la nuit tombée, sur une cible repérée à l’avance, Shengli forçait la porte au pied de biche, débranchait l’alarme rudimentaire, perçait à la scie et à la perceuse un coffre datant de l’empereur Kangxi, avant de prendre la poudre d’escampette avec la recette du jour. Il tint ainsi jusqu’en 2007, où l’imprudence de trop lui valut ses premiers trois ans de prison. 

C’était la tuile, bien sûr. Mais une fois passée la phase du désespoir, le néo-taulard ne tarda pas à constater que ce séjour en fait, était pour lui une bénédiction, université du crime et bourse du travail délinquant. Dans la cellule, les codétenus l’initièrent aux arcanes de la cambriole, lui apprirent quels gogos plumer en priorité, comment tutoyer les différentes serrures, alarmes et portes blindées, quels symptômes révélaient les mouchards et balances. 

Dans la cour d’exercices, il eut loisir d’observer les détenus, d’évaluer leur trempe : parmi ce hit-parade des malfrats, tenant compte de leurs dates de libération, il recruta sa bande. De la sorte, quand il sortit le 30 décembre 2010 à l’aube, avec pour tout bien sa valisette de toile défraichie, il était prêt à lancer l’opération délinquante la plus dure à craquer pour la police chinoise aux temps modernes. Au mitard, il avait peaufiné la méthode, qui devait faire école. 
Avant tout coup, il s’imposait des mois de repérage de sa victime, afin de tout savoir sur son train de vie, ses habitudes-quand son logis était désert et sans défense. 

Un soir de mai 2011, à quatre, ils fracturèrent la porte-fenêtre du salon de Zhao Xinghua, Secrétaire du Parti de Zhenyang, patron des destinées de 760.000 âmes. Un cinquième était dehors à faire le guet. Au volant d’une fourgonnette volée, le dernier restait moteur en marche, prêt à démarrer. C’était leur baptême du feu. Terrorisés, ils sentaient leurs cœurs cogner dans leurs poitrines, au point que « le corps ne suive pas l’âme » (hún bù shǒu shè, 魂不守舍) - de s’oublier dans leurs pantalons. Mais quand ils repartirent deux heures plus tard, ils avaient des sacs de cash, de lingots d’or, de pierreries et de cartes de débit bien lestées – cadeaux de corruption discrets et fort prisés. Le souffle court, jubilant, ils contemplaient ces richesses, plus précieuses qu’ils n’en avaient jamais vu. 

A vrai dire, ce premier casse faillit mal tourner. De retour d’une soirée de plaisirs, dans la nuit noire , le secrétaire Zhao découvrit ses tiroirs brisés, ses cassettes forcées, ses statuettes disparues. Tapant sur son portable, il réveilla fébrilement son chef de la police, qui arriva ventre à terre en un temps record, suivi de cinq as de la brigade, prêts à ratisser la villa dévastée en quête d’indices. Plus d’un million de yuans s’étaient volatilisés. Aussi dès l’ouverture des bureaux, Zhao appela Pékin pour se plaindre : au bout du fil, ses chefs jurèrent de faire coffrer les coupables sous huit jours, histoire de leur apprendre à narguer la toute-puissance du Parti.
Pourtant, malgré ces débuts incertains, Shengli avait visé juste : ses prochaines années ne seraient pas celles de la prison, mais celles de la gloire…
Si vous souhaitez savoir comment et pourquoi, la suite au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 17 au 23 novembre 2014
Semaine du 17 au 23 novembre 2014

16-21 novembre, Shenzhen : China Hi-Tech Fair et Elexcon, Salons de la Hi-Tech et de l’industrie électronique

20-22 novembre, Pékin : CIAME, Salon et Forum mondial de l’innovation, technologie et équipement de l’industrie automobile

20-22 novembre, Shanghai : Fresh Produce China, Salon des fruits et légumes

20-23 novembre, Canton : Auto Guangzhou

21-23 novembre, Chengdu : CITF, Salon international du voyage de Chengdu

21-24 novembre, Canton : Salon du Thé, et Salon du Café

25-28 novembre, Shanghai : BAUMA, Salon international des machines et matériaux de construction