Géopolitique : Le torchon brûle (à nouveau) entre Pékin et Manille

Le torchon brûle (à nouveau) entre Pékin et Manille

Depuis quelque temps, la zone philippine de la mer de Chine méridionale est le théâtre d’un regain continu de tensions. Il y a deux semaines, les Philippines ont accusé les garde-côtes chinois d’avoir installé une « barrière flottante » d’environ 300 mètres de long, les empêchant de pêcher dans cette zone contestée qui se trouve pourtant dans leur zone économique exclusive (ZEE). Deux jours après, les garde-côtes philippins, sous l’ordre du président Marcos Junior, l’ont enlevé pour retrouver accès à leurs zones de pêches. Ce sur quoi, Pékin a répondu en avertissant Manille de ne pas « provoquer de troubles » et en réaffirmant sa « souveraineté et droits maritimes sur l’île de Huangyan ». Le 10 octobre, un éditorial du Global Times a joint la provocation à l’insulte en raillant la faiblesse des Philippines : « un porte-parole des garde-côtes chinois a déclaré dans un communiqué qu’une canonnière de la marine philippine avait fait irruption dans les eaux adjacentes à l’île chinoise de Huangyan, ignorant les avertissements répétés […]. Les garde-côtes chinois ont réagi avec fermeté au bateau qui provoquait les Philippines. L’armée philippine a eu recours au déni […] affirmant que rien ne s’était passé. Cela a pleinement révélé le bluff et les fanfaronnades des Philippines, exposant leur véritable visage, fort extérieurement mais faible intérieurement. » Un petit rappel juridique et historique est nécessaire pour comprendre la situation.

Une zone économique exclusive (ZEE), telle que prescrite par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, est une zone maritime dans laquelle un État souverain possède des droits exclusifs concernant l’exploration et l’utilisation des ressources marines, y compris la production d’énergie à partir de l’eau et le vent. Elle s’étend de la limite extérieure de la mer territoriale (12 milles marins, soit 22 km, à partir de la ligne de base) jusqu’à 200 milles marins (soit 370 km) de la côte de l’État en question. La différence entre la mer territoriale et la ZEE est que la première confère la pleine souveraineté sur les eaux, tandis que la seconde n’est qu’un « droit souverain » qui fait référence aux droits de l’État côtier sous la surface de la mer. Le différend provient de ce que la carte chinoise en neuf traits (ou dix si on inclut Taïwan) mord sur l’ensemble des ZEE de tous les pays limitrophes de la région (cf carte).

Dans la mer de Chine méridionale, la Chine revendique toutes les îles, eaux et ressources situées dans sa ligne à neuf traits, ce qui équivaut à environ 85,7 % de la zone maritime de la mer de Chine méridionale. Les navires des garde-côtes chinois sont autorisés, en vertu de la nouvelle loi chinoise sur les garde-côtes, à tirer sur des navires étrangers et à démanteler de force des structures qui empiètent sur les revendications chinoises en neuf traits. Ainsi, les structures érigées par d’autres États sur les îles revendiquées par la Chine, comme le BRP Sierra Madre de la marine philippine volontairement échoué dans le récif d’Ayungin dans les îles Spratley, peuvent être démolies par les navires des garde-côtes chinois en vertu de cette nouvelle « loi ».

Ce nouveau texte légistalif constitue une menace de recours à la force contre d’autres États demandeurs en mer de Chine méridionale, en violation flagrante de la Charte des Nations Unies (CNUDM). En vertu de celle-ci, tous ces différends entre États doivent être réglés pacifiquement par la négociation, la médiation, l’arbitrage, le règlement judiciaire ou d’autres moyens pacifiques. Selon l’article 121 de la CNUDM, on peut identifier deux catégories d’îles : celles qui sont capables de soutenir leur propre habitation humaine ou leur propre vie économique et, par conséquent, peuvent avoir une mer territoriale, une zone contiguë, une ZEE et un plateau continental ; et celles qui sont incapables de soutenir une habitation humaine ou une vie économique propre, et sont donc traitées comme de simples « rochers ».

En 2012, Pékin s’est emparé du récif de Scarborough et a forcé les pêcheurs philippins à voyager plus loin pour des prises plus modestes. Pourtant, le récif en question se trouve à 240 kilomètres à l’ouest de l’île principale des Philippines, Luzon (donc dans sa ZEE), et à près de 900 kilomètres de la grande masse continentale chinoise la plus proche, Hainan (donc en dehors de la ZEE chinoise). Or, la Chine revendique un contrôle souverain sur le récif de Scarborough, en vertu de « droits historiques ». 

Dès 2013, le gouvernement philippin s’est adressé à la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye, déposant une plainte contre le récent accaparement de terres par Pékin. Trois ans et demi plus tard, les arbitres du tribunal de la CPA ont donné raison à l’unanimité aux Philippines. Ils ont conclu qu’il n’y avait aucune preuve que la Chine avait historiquement exercé un contrôle exclusif sur ces eaux, et qu’il n’y avait donc « aucune base juridique permettant à la Chine de revendiquer des droits historiques » sur la ligne à neuf traits. Le tribunal a conclu que la Chine n’avait pas dûment tenu compte des droits souverains des Philippines en matière de pêche dans sa zone économique exclusive. En conséquence, la Chine a manqué à ses obligations au titre de l’article 58(3) de la CNUDM.

Pourtant, la Chine n’a pas cessé depuis de harceler les pêcheurs philippins, d’artificialiser les rochers et dégrader les récifs coraliens en contravention du droit international. Ces dernières semaines, les bateaux chinois ont multiplié les incursions « illégales », tirs de canons à eau et manœuvres dangereuses dans la zone contestée. Pas étonnant que les Philippines se tournent vers les Etats-Unis qui ont récemment engagé 80 millions de $ d’investissements dans les infrastructures des cinq bases militaires actuelles à Palawan, à Pampanga, à Nueva Ecija, à Cebu et à Mindanao. En outre, les États-Unis ont demandé l’accès à de nouvelles bases dans les provinces d’Isabela, Zambales et Cagayan, toutes situées sur l’île de Luzon, face au nord de Taïwan, et à Palawan, au sud-ouest, près des îles Spratley. Il ne faut pas oublier que depuis 1951, Philippines et États-Unis sont liés par un traité de défense mutuelle.

Pourtant, l’éditorial du Global Times suggère à la Chine de jouer la stratégie de l’usure pour pousser les Philippines à la faute et leur faire porter la responsabilité d’un affrontement : « Laisser la partie philippine semer le trouble et perdre la face à chaque fois est en fait une meilleure façon de résoudre le problème lentement et progressivement. » Même si le détroit de Taïwan occupe tous les esprits, il n’est pas sûr que la zone du prochain conflit engageant les Etats-Unis et la Chine dans la région se trouve du côté de Formose.

Par Jean-Yves Heurtebise

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