Meituan, start-up technologique spécialisée dans les services par smartphone, apparaît selon le cas, « Jean qui rit » ou « Jean qui pleure ». Réservations d’hôtels, de places de cinéma, ou de vélos partagés (il vient de racheter Mobike), son cœur de métier est la livraison de repas cuisinés. Ce groupe filiale de Tencent employait en 2018, 2,7 millions de livreurs, 22% de plus qu’en 2017. Les migrants de 20 à 30 ans constituent 77% de son personnel, souvent à temps partiel. Depuis 2011, Meituan a réalisé 28 milliards de transactions pour un chiffre d’affaires de 34 milliards de $. En moyenne, il livre des repas à 350 millions de clients trois fois par semaine, et a ratissé 4,2 milliards de $ en bourse de Hong Kong en septembre 2018, meilleur score mondial en 4 ans, pour une firme de services internet.
Le problème est que depuis sa fondation, il n’a pas fait de bénéfices, dans sa course d’investissements pour atteindre la masse critique qui lui permettra enfin de gagner de l’argent. Il perdait 2,8 milliards de $ en 2017, puis encore 626 millions au 1er semestre 2018 et 497 millions au 3ème trimestre. Des mauvais résultats qui faisaient déraper son cours de 14% en novembre : avertissement au groupe d’inverser la vapeur, ce qu’il faisait en s’imposant une cure sévère de restructuration.
Les employés en découvrirent les effets après le nouvel an chinois : « Avant, 40 à 50 livraisons me garantissaient un revenu de 230¥ par jour. Mais avec les nouvelles règles, je ne fais plus que 130¥ à peine », déclare un livreur à Linyi (Shandong). Dès lors, depuis le 18 février, des grèves se poursuivent, entre Shandong, Zhejiang et Guangdong. Les manifestants affichent sur leurs motos des appels à ne pas prendre de commande, y compris à leurs collègues de Ele.me, groupe concurrent, filiale de Alibaba qui ne va guère mieux, et pratique le même genre d’économies féroces. On attend la réaction de l’Etat, hostile au syndicalisme libre, mais soucieux d’éviter l’explosion sociale. Déjà Pékin, en messagerie de colis, a imposé aux employeurs un règlement-cadre portant sur les conditions de travail des convoyeurs. Un autre texte serait imminent, dans la livraison de repas.
Enfin, la dernière nouvelle a dû être douce aux oreilles des patrons de Meituan. Le 1er mars, le groupe est sacré champion mondial 2019 de l’innovation, loin devant Apple (17ème). C’est le signe d’un groupe déterminé à assurer l’avenir, en prenant tous les risques, pour s’imposer sur tous les fronts.
Sommaire N° 9 (2019)