Depuis 11 ans, Yu Zhenguo à Huishui à 80 km de Guiyang (Guizhou) pleurait en silence sa femme, Wang Guifei. Non qu’elle soit morte… pire, elle l’avait plaqué, comme il arrive trop souvent en Chine aux gens mariés trop jeunes, qui se déchirent, faute de savoir se parler.
Ils avaient convolé en 1982, lui à 24 ans, elle à 19 ans, en un mariage arrangé par les parents au village. Ils étaient partis à la ville pour gagner mieux et fuir leur univers rural de dur labeur et de misère. A Huishui le chef-lieu, ils avaient monté une fabrique des cerfs-volants en papier peint et bambou refendu, spécialité traditionnelle de leur village.
L’affaire avait marché du feu de Dieu, leur permettant de recruter et de produire à la chaîne. Obsédés de s’enrichir, ils réinvestissaient tous leurs gains, se privaient de tout plaisir. Après cinq ans de tels sacrifices, ils s’offraient une maison de 500m2 à trois étages, avec vue sur la rivière Li. Puis en 1999, Yangyang. leur fils unique, voyait le jour.
C’est alors que Guifei avait succombé à la folie des grandeurs. Fréquentant le gratin de Guiyang. Elle se parait de ses plus beaux atours et voulait faire la dame, gommant ainsi leur passé de pauvres. Mais son mari lui faisait honte, en refusant de l’accompagner, ou bien en le faisant en costume de travail maculé de colle et de couleurs. Elle en perdait la face et se mettait en rage ! Pire, après un petit verre, il jurait, riait sans retenue, comme le paysan qu’il était resté. À table, il tâchait ses chemises : il semblait tout faire pour contrecarrer les plans d’ascension sociale de Guifei !
De plus en plus souvent, elle explosait, retournait chez ses parents, pour revenir quelques jours plus tard. Mais ce jour d’été 2018, elle avait claqué la porte pour ne plus revenir. S’étant trouvé un amant mieux éduqué et assez riche, elle s’envola. Ni les larmes de Zhenguo, ni ses promesses de s’amender ne purent la faire revenir sur sa décision.
Alors débuta pour Zhenguo l’immense solitude, dans sa grande maison désertée, avec pour seule compagnie, son fils adolescent. Il tenait le coup en se tuant au travail, encollant et peignant ses cerfs-volants, multipliant les commandes nouvelles. Mais la nuit, il errait en pleine misère morale, s’accusant d’avoir raté sa vie faute d’avoir su retenir Guifei.
Et quand une autre fille, attirée par sa fortune ou attendrie par sa détresse, tentait de se rapprocher de lui, c’était l’échec programmé. Hanté par la perspective de la voir partir, il alternait vis-à-vis d’elle froideur et mépris jusqu’à ce que découragée, elle ne parte. Il restait seul, certes, mais au moins, c’était lui qui l’avait voulu. Sans s’en rendre compte, il reproduisait indéfiniment le schéma de son échec !
En 2013, après une énième rupture, il tira un trait sur tout espoir conjugal. Des femmes, il se forgeait désormais l’image de monstres, renardes avides de boire son sang dans son sommeil, si jamais il se laissait aller à les laisser entrer dans sa vie.
Jusqu’à ce qu’un copain ne l’entraîne dans une échoppe de produits pour adultes… Il y tomba sur une poupée grandeur presque nature (1m30), faite pour les jeux sexuels d’hommes seuls. Cet objet le bouleversa au premier regard.
Depuis les années 90, ce genre de produit était très demandé par des légions d’hommes séparés de leurs épouses par le travail, ou trop pauvres pour se marier. Les premières versions étaient grossières. Mais Petite Neige, de dernière génération, était plus sophistiquée. Importée du Japon, elle paraissait tellement réelle. Son visage fin possédait une riche chevelure noire de jais. Son corps de silicone était tendu d’une belle peau blanche, aux membres souples et jointures élaborées. Devant le modèle, Zhenguo fut ébloui. C’était la femme parfaite, sans méchanceté aucune, ni danger… Evidemment, le prix était exorbitant, à 79.900 yuans. Après avoir infructueusement tenté de négocier, Zhenguo repartit, découragé.
Mais nuit après nuit désormais, l’image de cette Eve artificielle, le hanta. Il en perdit le sommeil. N’y tenant plus, il alla sur Taobao, étudia tous les modèles. Il retrouva Petite Neige, en version piratée, à un tiers du prix : ainsi, craqua-t-il.
Quand la poupée arriva dans son emballage, le 10 mai 2014, Zhenguo s’était mis sur son 31 pour l’accueillir. Chez le coiffeur, il s’était fait tailler barbe et cheveux avec un soin qu’il n’avait jamais eu quand il était marié. Ayant commandé un banquet fastueux, il avait fait venir tout son clan. Il annonça ce soir-là qu’avec Petite Neige, entrait dans la famille sa fille adorée, celle que sa femme n’avait pu lui donner. Elle serait le début d’une vraie famille à lui, la petite sœur de son fils, Yangyang. A Zhenguo, elle apporterait le « baume et le remède » à sa solitude ( 送医送药到山寨, sòngyī sòngyào dào shānzhài »). Emue, la famille entière applaudit.
Avant que ne quittent les invités, Zhenguo demanda à sa nièce de 14 ans, Xiao Yi, de lui faire une faveur : il ne lui appartenait point, à lui le père, d’habiller sa fille pour la nuit. Alors, accepterait-elle d’enfiler à Petite Neige ses habits de nuit, puis de dormir à ses côtés ? Amusée, Xiao Yi accepta de se prêter au jeu. Sur quoi, il porta dans ses bras la poupée dans sa chambre, suivie de sa nièce, apportant leurs affaires de nuit. Puis, il déposa au front de la poupée un baiser chaste avant de laisser seules les deux « filles », se gardant bien l’indiscrétion d’assister à l’habillage !
Voilà donc un homme fou de solitude, mais pas pervers. Jusqu’où ira-t-il ? On le saura … la prochaine fois !
1 Commentaire
severy
4 mars 2019 à 13:59S’agirait-il de la version chinoise de Pinocchio?
Les « jointures élaborées » de la poupée gonflable tiendront-elles sous les assauts répétés de son propriétaire?
Cette histoire célébrerait-elle l’esprit d’ouverture de l’économie chinoise?
S’agit-il d’une métaphore sur l’art de faire tomber la pluie par simulation synchronique du Yin et du Yang? Guifei rappliquera-t-elle la leuleu entre les jambes? Nous voici, une pelote de fil et une aiguille en main à attendre le reste de l’histoire. Ne te dégonfle pas, Eric. Envoie le jus. Nous sommes tous bouche bée.