Hong Kong : Le dilemme sanitaire hongkongais

Le dilemme sanitaire hongkongais

Il y a encore quelques semaines, Hong Kong affichait un bilan sanitaire à faire pâlir bon nombre de grandes villes internationales. La stratégie « zéro Covid » importée de Chine continentale avait fait ses preuves et l’administration de Carrie Lam espérait convaincre Pékin de rouvrir la frontière.

C’était sans compter sur une redoutable 5ème vague qui s’est abattue sur la région administrative spéciale (RAS) fin décembre et dont la sévérité a été accentuée par les célébrations du Nouvel An lunaire. La cheffe de l’exécutif parle de « raz de marée » : au 17 février, près de 12 000 cas ont été recensés. Les experts, eux, prédisent 28 000 infections par jour d’ici mars. Au total, 250 000 Hongkongais pourraient contracter le virus durant les prochaines semaines, selon des chercheurs de CityU.

Cette croissance « exponentielle » du nombre de contaminations et l’obligation de mise en quarantaine de tous les cas positifs mettent le système de santé hongkongais à rude épreuve : les hôpitaux sont en manque de lits, les centres de quarantaine affichent un taux d’occupation de près de 100% et les laboratoires de dépistage sont dépassés par l’ampleur de la tâche (leur capacité est seulement de 100 000 tests par jour).

À la frontière avec Shenzhen, des centaines de personnes se pressent chaque jour pour espérer trouver refuge sur le continent, sauf que de ce côté-là aussi, les « hôtels » de quarantaine affichent complet. Les premiers « fugitifs » (dont deux cas positifs) ont déjà été arrêtés à Zhuhai.

Cet engorgement du système de soins a poussé l’administration à faire marche arrière sur certaines de ses mesures sanitaires. Jusqu’à présent, tous les cas confirmés étaient hospitalisés. Dorénavant, les cas asymptomatiques et légers sont envoyés dans les centres de quarantaine « officiels » qui accueillaient hier les cas contacts, renvoyés chez eux pour s’isoler. Les voyageurs étrangers, eux, voient leur quarantaine dans des hôtels désignés réduite à deux semaines au lieu de trois : un ajustement lié à la période d’incubation réduite d’Omicron, se justifient les autorités locales.

Pékin surveille de près la situation à Hong Kong et n’a aucun intérêt à laisser les choses déraper, particulièrement depuis que la RAS est censée être « gouvernée par des patriotes » et qu’elle devrait élire son prochain chef de l’exécutif le 8 mai, après un report de six semaines.

Chose rare, le Président Xi Jinping a transmis ses instructions, sans qu’elles soient reprises par les médias de Chine continentale, de crainte que l’opinion publique ne se dresse contre Hong Kong. « L’administration hongkongaise doit sincèrement assumer ses responsabilités et faire du contrôle épidémique sa priorité (…) les autorités doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population et assurer la stabilité sociale de la RAS », a mis en garde le 1er Secrétaire du Parti, visiblement agacé par le manque de préparation du gouvernement hongkongais. Après Wuhan, c’est la seconde fois que Xi Jinping envoie personnellement ses consignes.

Il faut lire entre les lignes : l’administration de Carrie Lam n’a pas su prendre les mesures qui s’imposaient et cela risque de nuire aux intérêts de la ville, de susciter le mécontentement de la population, et d’affecter le développement économique de la nation en retardant la réouverture de la frontière et donc le projet d’intégration de la région de la « Grande Baie ».

Jusqu’à hier, le gouvernement hongkongais excluait une mise en quarantaine de la ville entière ; une méthode régulièrement employée dans les villes chinoises, mais jugée inadaptée à la RAS et ses capacités actuelles. Cependant, les autorités locales envisageraient désormais un dépistage obligatoire de ses 7,5 millions d’habitants sur deux semaines début mars. Une stratégie jamais employée en Chine sur un foyer épidémique de cette taille.

Xi Jinping a également appelé à une mobilisation « de toutes les forces et de toutes les ressources » pour venir en aide à Hong Kong. C’est ainsi que la RAS a obtenu 100 millions de kits de dépistage, l’envoi d’experts et de personnel médical, et de l’assistance dans la construction d’un hôpital « temporaire » semblable à ceux qu’on avait vus à Wuhan début 2020.

Face à de telles pressions, il n’est pas question pour les autorités hongkongaises de dévier de la stratégie « zéro Covid ». « Déposer les armes face au virus n’est pas une option », a d’ailleurs affirmé Carrie Lam, tout en renouvelant ses excuses à la population pour cette flambée épidémique et les interminables files d’attente.

Cependant, l’impopulaire cheffe de l’exécutif sait pertinemment que maintenir cette approche sanitaire face à Omicron va nécessiter beaucoup plus d’efforts et de sacrifices de la part des habitants…

En attendant, Hong Kong se retrouve prise en étau entre la « tolérance zéro » imposée par Pékin et l’approche qui consiste à « cohabiter avec le virus », pratiquée ailleurs dans le monde. De nombreux habitants blâment d’ailleurs cet « entre-deux » comme la cause de cette 5ème vague, tout comme certains politiques pro-Prékin qui dénoncent les méthodes trop « occidentales » du gouvernement local.

Conséquence : Hong Kong ne peut pleinement bénéficier des avantages de l’une ou de l’autre des stratégies, puisqu’elle n’arrive ni à répondre aux exigences sanitaires de Pékin depuis deux ans, ni n’ose se « rouvrir » sur l’étranger. Elle reste donc isolée de la Chine et du reste du monde.

Or, pour la première place financière d’Asie, cette situation équivaut à une lente asphyxie économique. Début février, Fitch Ratings a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le territoire en 2022 de 3% à 1,5% : une performance parmi les plus faibles des 120 économies mondiales ciblées par l’agence de notation.

D’après un rapport de la Chambre de Commerce Européenne à Hong Kong, il faudrait attendre 2024 pour observer une évolution de la politique sanitaire à Hong Kong, ce qui correspondrait à l’introduction en Chine d’un vaccin à ARN messager. D’ici là, l’ex-colonie britannique pourrait assister au plus large exode des expatriés que la ville aie jamais connu, et avec eux, les multinationales qui la chérissaient tant.

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