Editorial : Une Chine qui voit (plus) loin ?

Une Chine qui voit (plus) loin ?

« 15ème plan quinquennal », « société modérément prospère », « Made in China 2025 », « une armée de classe mondiale en 2027 », « Vision 2035 », « neutralité carbone 2060 »… Que ce soit sur des années, des décennies, voire des siècles, Pékin a un goût prononcé pour la planification, outil hérité de l’ère soviétique pour assurer une bonne répartition des ressources productives et contrôler les masses. Ces grands plans reflètent aussi l’ambition chinoise de rattrapage en tout domaine, mais également le besoin du Parti de mettre en valeur ses réalisations auprès de sa population, en un effort propagandiste. Chaque nouvel objectif est ainsi perçu comme le fruit d’une intense réflexion de la part des meilleurs experts du pays qui, tels des joueurs de go, ont envisagé tous les angles et scénarios possibles. Cette projection à long terme suscite l’admiration de certaines démocraties qui ont souvent du mal à voir au-delà du prochain cycle électoral. Mais ces grands plans chinois sont-ils si méthodiquement calculés ?

Le meilleur exemple est peut-être le projet des « nouvelles routes de la soie » : lancé par le Président Xi Jinping en 2013, désireux de laisser sa marque dans l’histoire, il a été renommé « One Belt, One Road » (OBOR), puis enfin baptisé « Belt & Road Initiative » (BRI) deux ans plus tard. Ce cafouillage autour du nom du projet, parfois qualifié de « plan Marshall » chinois, n’était pas le dernier. Aujourd’hui encore, impossible de savoir véritablement quels sont les projets labellisés « BRI ». S’agit-il de tous les investissements chinois à l’étranger ou seulement ceux financés et réalisés par des firmes d’État ? S’agit-il uniquement de chantiers réalisés dans certains pays le long d’un tracé spécifique ? Sa définition restant floue, le terme « BRI » est désormais brandi tel un gage de caution politique dans presque tous les projets de coopération impliquant un partenaire étranger… Faute de critères et de standards bien définis, l’initiative BRI a été rapidement accusée d’être un « piège de la dette », une stratégie « préméditée »par la Chine pour récupérer à bon compte des actifs stratégiques dans des pays étrangers. Même si ce n’est pas nécessairement le cas, la cession à un consortia chinois pour 99 ans du port de Hambantota par Colombo (Sri Lanka), croulant sous les dettes, lui a valu très mauvaise presse et a sensiblement décrédibilisé l’initiative…

La Chine de Xi Jinping a également hérité de politiques de long terme, dont les implications ont été mal évaluées. La stricte application du planning familial, limitant les naissances à un enfant par couple pendant des décennies, a creusé un fort déséquilibre démographique qui la menace aujourd’hui. Cependant, faire marche-arrière s’avère plus difficile que prévu : les parents ne veulent plus d’un deuxième enfant.

Dans certains cas, le gouvernement chinois met abruptement un terme à ces grands principes : c’est le cas d’« un pays, deux systèmes », négocié en 1984 et entré en vigueur en 1997, qui devait garantir à Hong Kong un « certain degré d’autonomie » jusqu’en 2047. Craignant de perdre le contrôle, n’ayant pas anticipé que la jeunesse hongkongaise prenne goût aux principes démocratiques, Pékin a préféré dynamiter cet accord en imposant une loi de sécurité nationale. La formulation du dernier plan quinquennal ne laisse d’ailleurs plus aucun doute sur ses intentions, mentionnant l’exercice d’une « gouvernance complète » sur la région administrative spéciale d’ici cinq ans. « Un pays, deux systèmes » devait pourtant servir de modèle pour la réunification avec Taïwan, mais en y mettant un terme, Pékin enterre tout espoir d’un rapprochement pacifique avec Taipei. Ce faisant, la Chine s’est tiré une balle dans le pied.

Dans la même idée, la « diplomatie coercitive » que pratique Pékin depuis plusieurs années lui a valu plusieurs crises majeures avec des pays tels que la France, la Norvège, la Suède, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, les États-Unis et maintenant l’Australie. Les « loups combattants », ambassadeurs en poste l’étranger qui profèrent des menaces à peine voilées, n’arrangent rien, marquant une rupture avec la « montée en puissance discrète » que prônait Deng Xiaoping. Résultat : l’image de la Chine dans ces pays est en chute libre. Pékin peut bien prétendre n’en avoir que faire et blâmer les médias étrangers. Pourtant, les conséquences sont claires : les gouvernements étrangers à qui il restait peut-être un peu de bonne volonté se retrouvent contraints de durcir le ton afin de s’aligner avec leur opinion publique. Et les entreprises chinoises comme Huawei, que les diplomates espéraient défendre en sortant les crocs, en paient le prix… La Chine s’enferme donc dans un cycle contreproductif.

Tous ces exemples laissent à penser que si la Chine aime se projeter à long terme, ses initiatives sont souvent trop vite mises sur pied, trébuchent par mauvaise mise en œuvre, ou sont avortées prématurément pour des motifs internes. Sous cette lumière, il est particulièrement éclairant d’observer les programmes à court terme et les rétropédalages de dernière minute (comme la suspension in extremis de l’entrée en bourse d’Ant), en particulier lorsqu’ils contredisent les grands plans ou révèlent au grand jour leurs fragilités.

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