Petit Peuple : Wuli (Jiangxi) – La quête de l’enfant perdu (3ème partie)

Wuli (Jiangxi) – La quête de l’enfant perdu (3ème partie)

En 1998, Li Guoming et Li Fen apprennent que Mengyuan, leur fille de cinq ans, a été cédée à leur insu en adoption aux Etats-Unis…

Durant les années qui suivirent, jamais le père et la mère ne cessèrent de se sentir coupables pour la perte de leur fille. La nuit, Guoming rêvait de sa fille maltraitée par une famille sans amour. Parfois au contraire, il retrouvait sa fille – mais elle les rejetait, lui et Fen : blessée, Mengyuan restait de glace, insensible aux bras qu’ils tendaient vers elle.

Sous de tels remords, bien des couples auraient sombré. Fen et Guoming eux, se retrouvèrent dans l’épreuve trempés comme l’acier, refusant de baisser les bras. « Je vais la retrouver », jura Guoming à sa femme.

Ils commencèrent par un geste extravagant, dont se moquèrent bien des gens : aux bureaux du planning du village, puis du district, ils déclarèrent la perte de Mengyuan. Ils n’avaient aucune chance de se la voir restituée. Au contraire, ils furent réprimandés, durent écrire une autocritique et payer une lourde amende. Mais Fen et Guoming ne doutaient pas qu’elle reviendrait ! A cet effet, Guoming déposa partout son numéro de portable– et durant 25 ans, n’éteignit plus l’appareil.

Il quitta Wuli pour travailler au loin.  Partout, il allait voir les journalistes et déposait ses pamphlets. Il encollait aux murs et aux poteaux des rues des affichettes. Quand il avait le sentiment d’avoir fait le tour de la ville, il reprenait son baluchon pour la prochaine étape.

En 2005, au bout de sept ans, son corps lui signala qu’il était temps d’en finir avec sa vie d’errance – à 43 ans, sa santé le lâchait. Alors il souscrivit un emprunt et ouvrit un car wash au village. C’était un nouveau support à leur recherche : pas un chauffeur, local ou de l’extérieur, touriste ou homme d’affaires n’échappa à sa question sur Mengyuan. Certains ricanaient en retour : « si tu veux une fille, t’as qu’à te servir au temple » – le sanctuaire bouddhiste d’à côté, hébergeur notoire de ribambelles d’enfants, chiens perdus sans colliers. Le soir, Guoming retournait désemparé, mais Fen lui redonnait courage : « Y a pas de mal à chercher son gosse… allez, on continue ! »

En 2010, les affaires prospérant, le couple acquit pour 10 000 yuans de tenues 1-5 ans, qu’il remit à l’orphelinat de Jiujiang. C’était, pour ce dernier une donation-record. Aussi pour la première fois, Guoming fut admis en ses murs. Il y rencontra un médecin qui, à titre vénal, lui proposa de détourner la fiche de sa fille. Le lendemain, pour 1 000 yuans, il avait en main une photocopie, qui lui ouvrait des pistes en Amérique. Après 13 ans de quête infructueuse, c’était une première victoire !

Tous les jours, Guoming se mit à surfer parmi les forums des jeunes sino-américains adoptés recherchant le bercail natal. Il lui fallut malgré tout sept ans pour trouver dans l’Utah, Longlan Stuy, directrice d’une ONG de réunification des familles. Et celle-ci fit merveille, remontant jusqu’à Mengyuan – qui à présent s’appelait Jiangli- puis obtenant d’elle un test ADN, preuve de sa filiation biologique. On était alors en décembre 2017.

Mais alors que se dénouait près d’un quart de siècle d’obscurité, s’ensuivit chez Jiangli un troublant silence : sans aller jusqu’à rompre, elle faisait la morte. C’était pour elle trop lourd. Elle avait vécu toute sa jeune existence certaine d’avoir été rejetée de son pays et de sa famille. Elle croyait que la cause était en elle, une honteuse tare, une monstrueuse incapacité – autant de fantasmes sur lesquels elle était bien sûr incapable de mettre un nom, mais qui la rendaient coupable même si, par force, c’était à ses parents qu’elle en voulait pour l’avoir reniée. Elle en restait ainsi blessée à cœur, inhibée par une malédiction qui lui coupait les ailes avant même l’envol pour la vie d’adulte.

Mais voilà qu’à présent l’atteignait une autre petite musique, qui infirmait ses croyances de toujours : ses parents biologiques l’avaient cherchée, et retrouvée… Aussi l’a priori de toute sa vie était nul et non avenu… Il lui fallut du temps pour digérer la nouvelle. Ce ne fut qu’en mai 2018 à 23 ans, que Jiangli en pleurs appela Longlan : « est-ce bien vrai que mes parents m’ont aimé, ont passé leur vie à me chercher ? » Ça changeait tout : dès lors elle pouvait vivre, libérée de ce fardeau.

Elle reprit donc contact, mais non sans mal, avec sur son chemin de multiples ornières. Son mandarin était faible. Elle était américaine de culture, déjà au travail et avec son réseau d’amis, sans compter sa vieillissante mère d’adoption qu’elle ne pouvait envisager de quitter. Autant d’arguments qui lui interdisaient de changer de pays. Aussi le grand « happy ending » n’eut pas lieu : à ce jour, Jiangli s’est refusée à retourner à Wuli, voir ses parents biologiques.

Au début, Guoming et Fen ont été choqués. Mais le soulagement l’a vite emporté. Elle était vivante, heureuse. Apprendre qu’elle avait été aimée et recherchée, avait colmaté chez elle la blessure de la séparation, comme le fait de la retrouver l’avait fait chez eux-mêmes – c’était l’essentiel. Et il ne faudrait plus longtemps avant qu’un des deux bords n’aille vers l’autre, attiré par l’aimant irrésistible de l’instinct d’amour, franchissant les 20 000km à travers le Pacifique : « repoussant les montagnes et retournant les mers » (排山倒海, pái shān dǎohǎi) !

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