Petit Peuple : Wuli (Jiangxi) – La quête de l’enfant perdu (2ème partie)

Wuli (Jiangxi) – La quête de l’enfant perdu (2ème partie)

En 1993, Li Guoming et Li Fen ont eu un deuxième enfant (une petite fille nommée Mengyuan) puis, pour éviter la délation, ils l’ont confié à 8 jours à une famille d’accueil présentée par Guihua, le frère de Fen… 

A peine Mengyuan délivrée au chef du village à 100 km de là, Guoming et Fen prirent le bus de Foshan (Guangdong), pour n’en pas revenir. Il fallait échapper aux sbires du planning familial qu’ils croyaient sur leur piste. Une fois hors de leur province, on n’irait plus les chercher. Ils partirent avec Fangfang, leur aînée de trois ans, prendre un poste dans une usine textile – en mal de personnel, elle était peu regardante sur l’origine de ses ouvriers.

Une fois sur place, ils refirent leur vie. La petite Fangfang passa ses jours à la crèche de la compagnie. Après quelques mois passés en dortoirs séparés, le couple reçut un studio minuscule, mais suffisant pour la famille. Avec leurs salaires cumulés, ils pouvaient commencer à préparer les retrouvailles avec « Rêve splendide », que signifiait « Mengyuan ». Guoming avait ainsi choisi ce nom à titre prémonitoire. Après cette grossesse illégale, le jeune père ne se faisait pas d’illusion qu’ils allaient devoir la tenir au loin, au moins un temps. Depuis, il rêvait souvent qu’elle disparaissait « durant son sommeil ». Mais comme par l’entremise d’une bonne fée, elle reviendrait « à son réveil ». Ce qui signifiait entre autres, que tant qu’elle serait au loin, leur vie à eux Guoming et Fen, ne serait qu’un songe, en hibernation.

Et c’est exactement sous cette lumière bleue et blafarde que leur apparut leur nouvelle vie dans la halle textile à Foshan. Sous l’abrutissant vrombissement des centaines de machines à coudre, entrecoupé du sifflement strident des robots, ils travaillaient penchés sur leurs ouvrages à la chaîne et s’observaient épuisés, pantins désincarnés, absents, privés de l’être cher. Ils comptaient les jours jusqu’à la fin du mois, le moment où ils toucheraient leurs salaires et où ils pourraient appeler Guihua le frère de Fen qui avait trouvé la famille d’accueil. Impossible d’appeler directement le chef de village ayant accueilli leur enfant : Guihua leur refusait le numéro sous prétexte qu’on ne pouvait pas déranger cet homme aux lourdes responsabilités ! Au demeurant, la petite allait comme un charme, pas de soucis. Il fallait juste attendre !

En septembre 1998, les époux Li retournèrent au pays : le danger était passé ! Signe encourageant : leur maison n’avait pas été démolie après leur fuite par la police des berceaux ! Pour le grand retour, ils s’étaient ruinés en cadeaux. Pour Mengyuan, ils rapportaient toute une panoplie d’élégantes tenues de fillette, une poupée sud-coréenne, un jeu électronique. Pour le chef du village, ils avaient prévu des biscuits artisanaux frits au sésame, un canard fumé aux feuilles de lotus, une jarre de vin jaune, et autant pour Guihua. Comme convenu, ils se rendirent d’abord chez ce dernier, qui voulait leur donner les dernières nouvelles. Et c’est là que le ciel leur tomba sur la tête lorsqu’ils apprirent que depuis très longtemps, Mengyuan avait quitté la famille d’accueil. 48h après leur départ, le chef du village l’avait remmenée et déposée à l’orphelinat de district, à Jiujiang. « La gamine pleurait tout le temps, bredouilla le beau-frère, et refusait de manger… la femme du chef du village a explosé, et exigé son départ. Il n’a rien pu faire… »

« Mais toi-même, reprit alors Guoming d’une voix blanche, trop catastrophé pour se mettre en colère, tu ne pouvais pas nous avertir ? Tu nous as prétendu toutes ces années que tout allait bien ».

« J’aurais voulu vous alerter, répliqua Guihua, le nez dans ses chaussures, mais j’ai dû d’abord vous protéger. Vous étiez vous-mêmes en danger : vous prévenir, vous faire revenir aurait été vous précipiter dans la gueule du loup ».

Ayant découvert la trahison de Guihua, Guoming et sa femme se précipitèrent à l’orphelinat. Mais là, un garde leur barra fermement l’entrée : aucun parent n’était admis ici. Une fois l’enfant déposé, il n’y avait pas de marche arrière, les parents perdaient tout droit sur lui. Guoming perdant le contrôle de lui-même tenta de forcer l’entrée. Mais alors quatre forts à bras apparurent comme par enchantement, l’empoignèrent sans ménagement et le jetèrent à la rue.

Bouleversé, le couple s’en retourna chez lui pour méditer sur ses options. Le lendemain à l’aube, Guoming retourna à l’orphelinat, se campa devant le porche, et arrêta quiconque entrait ou sortait, implorant des nouvelles – la plupart se détournaient sans répondre. Au bout de huit jours, son manège finit toutefois par attirer l’attention : un cadre sortit lui demander le nom de sa fille ainsi que sa date de naissance. Quelques minutes après, il était de retour avec sa réponse : adoptée aux Etats-Unis, la petite y vivait « 10 000 fois mieux qu’ici ». « Vous feriez mieux de tourner la page », ajouta l’homme peu charitable, « et de refaire votre vie ». Entendant ces mots, Li Guoming en resta « cœur effrayé, âme bouleversée » (惊心动魄, jīngxīn dòngpò). Quant à Fen, lorsqu’il les lui rapporta, elle s’évanouit.

Pour le couple Li, le malheur est à son comble. Mais ont-ils dit leur dernier mot ? On le saura bien sûr, la semaine prochaine, pour la suite et fin de cette saga.

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1 Commentaire
  1. severy

    Les « États-unis », serait-ce le nom d’une entreprise locale employant une main d’oeuvre composée d’enfants mineurs? Ou alors, ce prétexte n’est-il qu’une démarche dissimulatrice pour éloigner le géniteur bipuéril?
    Une fois de plus, le diabolique auteur de ce récit brontëesque posant sur le visage de l’épilogue le masque opaque du suspense, le lecteur doit faire preuve d’une patience toute covidienne. Pour savoir la vérité, ce dernier en est réduit à se ronger les ongles jusqu’aux coudes et à manger des fruits confits car, comme le dit le fameux proverbe gapençais, « jamais fruit confit ne ment ».

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