Technologies & Internet : La censure 2.0

Par rapport à ses prédécesseurs, le Président Xi Jinping tient le plus fermement au contrôle de l’internet. Les 16-19 novembre 2016 à Wuzhen (Zhejiang) devant la 3ème Conférence mondiale de l’internet, il revendiquait le droit de tout pays à limiter, voire même de couper le réseau en urgence. Depuis des décennies, cette exigence a été facilitée par la coopération de leaders mondiaux étrangers, tels Microsoft, Yahoo, Cisco et d’autres : leurs équipements et services ont permis à la Chine de déployer ce que l’on appelle la « Grande Muraille de feu », qui limite ou bloque l’accès à tout contenu non autorisé.

Le 8 mai, Pékin renforçait cette barrière, révisant son cadre réglementaire de l’information sur internet. S’y trouvent inclus tous les services nés depuis 12 ans—sites, portails, applications, forums, blogs, microblogs, comptes publics, messageries instantanées, streaming. Dès le 1er juin, les fournisseurs de contenu devront avoir obtenu leur enregistrement en Chine et leur permis de l’Administration du cyberespace. Leurs rédacteurs en chef devront avoir la nationalité chinoise. Avant diffusion, toute émission devra avoir été visée, script ou enregistrement, par un « éditeur agréé ».

A peine ce cadre publié, la tutelle a expurgé certains programmes des plus grands portails de l’internet (Sina, Tencent, Netease, iFeng, Phoenix TV), traitant de toute l’actualité, y compris internationale ou militaire, et considérés comme « non-conformes au nouveau cadre, sans affiliation à un organe de presse autorisé ».

Des manœuvres de ce type avaient déjà été constatées par le passé : en 2013, la tutelle SARFT ordonnait aux 250.000 journalistes du pays de suivre des cours de marxisme et passer un « examen unifié », pour voir leur carte de presse renouvelée. En 2014, un règlement « temporaire » imposait des licences aux fournisseurs de contenus sur WeChat et autres réseaux sociaux. En 2015, plusieurs portails se voyaient amputés de leurs rédactions autonomes.

Entre la tutelle et les sites/portails, il y a donc guérilla permanente – inévitable, en raison de la demande.  680 millions d’internautes, dont 80% sur smartphones, dévorent du contenu jour et nuit. Toutiao, portail d’intégration, offre 200.000 articles et vidéos par jour, œuvre de 4000 fournisseurs. Le client « est roi » – et zappe vers le contenu le plus créatif et amusant. L’enjeu de ce marché, pour les fournisseurs, est une course effrénée pour des dizaines de milliards de yuans.

Les compagnies productrices, souvent proches du Parti, sont prises  entre les deux feux de la discipline politique et du profit. Mais sur un marché concurrentiel, elles n’ont pas vraiment le choix, et doivent chercher avant tout à contenter le public. 

Comme alternative à la liberté de création, l’Etat propose de valoriser la « propagande positive », comme  des émissions sur les succès du socialisme et les priorités du régime. Même hors de Chine, en langues étrangères, pour renforcer son image de « soft power ». L’exemple le plus récent est cette série vidéo proposée par China Daily en anglais. Destinée aux enfants à l’heure du coucher, elle raconte la saga de l’initiative nationale « une ceinture, une route » (BRI). Réminiscence de la revue multilingue « la Chine en construction » d’il y a 50 ans, elle chante les ports, les lignes ferrées bâties par la Chine aux quatre coins du monde. « BRI est une initiative chinoise, rappelle la vidéo sur internet, mais elle appartient au monde, et tous les pays peuvent y participer ». Cependant le succès du programme auprès des tout-petits et de leurs parents, reste à évaluer…

Le dernier cadre du cyberespace chinois, a donc pour effet de resserrer encore un des filets de l’internet les plus étroits au monde. Au palmarès 2017 par Reporter sans frontières de la liberté des médias, la Chine se classe 176ème sur 181 nations.

Une question se pose : que compte faire le régime, après le XIXe Congrès d’octobre ? À cette date, les plus conservateurs des 7 leaders du Comité Permanent, adversaires de Xi Jinping mis en place en 2012 par Jiang Zemin, doivent partir en retraite. Dès lors, le n°1 chinois n’est plus forcément obligé de s’astreindre à un conservatisme rigide. Avec sa liberté de manœuvre élargie, il aurait loisir de  déployer les réformes foncières, financières et de taxation promises depuis 2012 par lui et son n°2 Li Keqiang. Et une libéralisation des médias pourrait s’expliquer  : l’information libre étant un vecteur démontré de croissance. Pour la Chine, elle serait le moyen de rattraper les sociétés occidentales en matière (par exemple) d’excellence universitaire, de créativité industrielle et de concurrence. Hélas, le renforcement actuel des contrôles publics, remise ces espoirs au casier des vœux pieux. À l’évidence, Xi Jinping ne crée pas cette nouvelle censure pour quelques mois seulement.

Cela pourrait surprendre, mais ce qui dérange le plus la rue chinoise, est moins la censure des émissions TV ou de l’internet, que celle de leurs forums de discussion sur Weibo ou WeChat. Les armées de « wumao » (censeurs payés 0,5¥ par suppression en ligne) n’ont besoin que de quelques secondes pour éliminer de la toile un message non conforme : cette rapidité est ressentie par beaucoup comme insupportable.

Ironie : le 6 mai, une boutade sur les réseaux sociaux se moquait de l’interdiction temporaire de WeChat en Russie pour « cause administrative ». Ainsi, pour certains, voir WeChat bloqué hors frontières est un juste retour des choses : le peuple voit ses libertés bridées en Chine, et le brideur chinois voit les siennes bridées à l’étranger.

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1 Commentaire
  1. severy

    Censure… censure…! Tout le monde sait bien que schtroumpher ce qu’on pense sur les réseaux sociaux équivaut à s’exposer aux foudres des régimes schtroumphignolesques au pouvoir. Ca ne doit pas empêcher les courageux Schtroumphs qui veulent vraiment schtroumpher ce qu’ils pensent de le faire au nez et à la barbe des affreux Schtroumphs qui les gouvernent.

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