Petit Peuple : Xi’an — Les noces contrariées de Xiao Liu (1ère partie)

En ce 30 avril 2017, dans cet hôtel 3 étoiles de Xi’an, les premiers invités se présentèrent dès 11h30, à la porte de la grande salle de bal. Depuis 6h30, les sœurs de Xiao Liu, la future mariée, étaient déjà à pied d’œuvre. Elles étaient allées au marché aux fleurs, puis à l’hôtel, aider le personnel à décorer les tables rondes,  afficher les photos de mariage (cf photo) à l’entrée, et tapisser le chemin nuptial de pétales de roses…

Arrivée à 11 heures de chez le coiffeur en tenue de ville, Xiao Liu était passée dans la chambre servant au maquillage, à l’habillage. En robe à traîne blanche de location, elle aurait dû être impérialement heureuse. Mais elle exprimait par les tics du visage, une nervosité, attendant Wang Xianhun, l’imminent mari, pour ce plus grand jour de leur vie – un moment qu’ils préparaient depuis six mois. Elle avait 24 ans et lui 27.

Mais dans cette fête, tant de mystères semblaient lui échapper… Pourquoi donc Wang ne lui avait-il jamais présenté ses parents, alors qu’il connaissait les siens de longue date ? Depuis 3 ans qu’ils sortaient ensemble, son père et sa mère l’avaient adopté, séduits par ses manières douces et bien élevées… Il était reçu comme un gendre.

Mais tout ce que Wang avait daigné lui confier sur les auteurs de ses jours, était de vagues allusions au passé d’un père aujourd’hui retraité, ancien édile à la mairie, tandis que sa mère aurait été professeure dans un collège. Sur son travail, Wang se disait « dans les affaires »… Généralement parlant, Xiao Liu n’avait pas à se plaindre de lui, toujours attentionné, passant régulièrement la prendre pour l’emmener en de longues promenades, au café ou au restaurant, dont il réglait les additions rubis sur l’ongle.

Pour autant, sous des prétextes dilatoires, il avait toujours reporté le moment de l’amener chez lui, tout comme il avait éludé sa demande de lui présenter ses ami(e)s. Ses cercles et les siens étaient trop différents, justifiait-il, ils risquaient de n’avoir pas les mêmes centres d’intérêts… Or Wang ne voulait aucune ombre inutile à leur amour. Mais que Xiao Liu ne se fasse pas de soucis, tous ses copains, elle les découvrirait le jour du mariage, et ses parents aussi !

Tandis que Xiao Liu, avec sa famille et ses amis, amenait 40 invités, Wang en annonçait 200 « et encore, avait-il ajouté, j’ai dû me restreindre et faire une sélection sévère ».

A 11h40, le voilà enfin, arrivant en costume noir, gominé, en sueur – il avait couru, évidemment. Il serrait Xiao Liu dans ses bras, morte d’angoisse. Il la gratifiait d’un sourire nerveux avant de lui demander l’état des préparatifs. « Mais tes parents, où sont-ils, faisait-elle en guise de réponse, et lui de fournir une réponse évasive : « t’inquiète, ils sont en chemin », avant de se détacher d’elle pour retourner à l’entrée, saluer ses amis à grandes démonstrations de joyeuses plaisanteries…

Mais à midi, alors que les premières entrées froides commençaient à être servies, aucun couple de sexagénaires ne s’était encore présenté, vers qui Wang aurait dû se précipiter pour les accueillir, les présenter à la belle famille, et les installer aux places d’honneur. La mariée sentit la moutarde lui monter au nez, se penchant vers ses deux sœurs, elle leur demanda discrètement de se renseigner auprès des invités de Wang sur leurs liens exacts avec l’homme de sa vie.

La question était d’autant plus légitime, qu’ils étaient étrangement habillés pour cette cérémonie : pas même repassées, les chemises faisaient très négligées… Pas une cravate, ni un nœud papillon… Sans compter qu’aucun « hongbao » (enveloppe rouge de contribution aux frais) n’avait été déposé de leur part !

Donc, Xiao Lian et Xiao Yu, son aînée et sa cadette, allèrent faire leurs amabilités parmi les tables, buvant ensemble un gorgeon de bière et posant adroitement aux invités leurs petites questions. Dix minutes plus tard, les enquêteuses firent un rapport hélas dévastateur : pas un ni une seul(e) des prétendus amis de Wang n’étaient capable de détailler leur relation avec lui – ils ne semblaient pas même se connaître. L’un d’eux, avait même fini par cracher le morceau : simple chauffeur de taxi de son état, il avait été recruté par Wang moyennant 80¥. Attiré par la perspective d’un gueuleton à l’œil, il avait même fait venir cinq gens de son bourg de banlieue.

Dévastée, Xiao Liu contemplait le désastre de son mariage raté. Elle le voyait bien, « le yin manquait, et le yang était faux » (阴差阳错, yīn chā yáng cuò). Elle agrippa alors le téléphone que lui tendait sa sœur et composa le 110, numéro de la police, laquelle arriva au bout de dix minutes.

Dans la salle de bal où le service était interrompu, le désordre était à son comble. Les proches de la mariée criaient leur colère, essuyaient une larme. De table en table, une équipe de TV arrivée d’on ne sait où, interviewait les faux invités, et constatait les identités de ces soi-disant « amis » : des paysans, chômeurs, étudiants fauchés, tous avaient reçu 80 à 100 yuans par WeChat pour venir manger et faire de la figuration. Mais quelle catastrophe… se disait Xiao Liu, comment avait-elle pu en arriver là, avec ce garçon en qui elle avait toute confiance ?

Le dénouement au prochain numéro !

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1 Commentaire
  1. severy

    Alors là, cher Eric, ce gorgeon de bière me fait me pâmer. Ce n’est pas à l’Académie des sciences d’outremer que tu aurais dû entrer, mais à l’Académie française.

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