Editorial : La patience de Shanghai atteint ses limites

La patience de Shanghai atteint ses limites

Il y a d’abord eu le « zéro Covid », qui signifie qu’un rebond épidémique est considéré comme maîtrisé lorsque plus aucun cas de Covid-19 n’est détecté. Puis le « zéro Covid dynamique », qui consiste à identifier, tracer et isoler les cas au plus vite, afin d’éviter que le virus ne se propage à grande échelle. Voici le « zéro cas de transmission dans la communauté », c’est-à-dire que tous les nouveaux cas doivent déjà avoir été placés en quarantaine avant que les mesures de confinement de la zone concernée ne soient levées. 

C’est l’objectif que Shanghai poursuit sans relâche depuis près d’un mois. Alors que près de 12 millions d’habitants avaient été autorisés à sortir dans l’enceinte de leur résidence voire de leur quartier, les autorités locales ont finalement annoncé le 22 avril que les restrictions resteraient en place, même dans les districts où la chaîne de transmission a été interrompue. Pire, des barrières ont été érigées devant les portes de certaines résidences au nom du « confinement dur ». Et pour la énième fois, de nouveaux dépistages de masse ont été décrétés… au grand désespoir des 25 millions de résidents, qui voient leur patience s’amenuiser. Certains parlent de « révolution culturelle 2.0 » dont les personnels de santé en combinaison PPE (大白 ; dàbái) sont les nouveaux gardes « blancs ».

Sans surprise, les manifestations de mécontentement se multiplient : enregistrements audios et vidéos (regroupés dans un montage devenu viral prénommé « The Voice of April » ; 四月之声 ) ; refus collectif de se faire dépister ; cris de désespoir aux fenêtres ; lettres ouvertes adressées aux dirigeants de la ville ; registre en ligne sécurisé recensant les personnes décédées non pas à cause de la Covid, mais des restrictions sanitaires… Autant d’initiatives vite censurées (erreur 404, page introuvable). Même les hashtags anti-américains lancés par les médias officiels sur Weibo, n’arrivent plus à détourner l’attention du public… Il n’en fallait pas plus pour que certains évoquent un second moment « Li Wenliang », du nom du médecin-lanceur d’alerte décédé du Covid-19 en février 2020. 

En effet, ce n’est pas la première fois que la stratégie « zéro Covid » suscite l’exaspération. À travers le pays, ils sont plusieurs dizaines de millions à en avoir fait les frais : les habitants de Wuhan bien sûr, et plus récemment ceux de Xi’an et de Jilin. Cependant, lors des confinements précédents, la colère populaire visait davantage les autorités locales que le pouvoir central. Cette fois-ci, le fait que la presse officielle souligne que le Président Xi Jinping est l’instigateur du « zéro Covid » peut inciter les habitants à questionner les choix du leadership.

Plusieurs analystes suggèrent même que l’intransigeance avec laquelle les mesures sanitaires ont été mises en place par les cadres locaux à Shanghai cachent une tentative délibérée de l’ancienne garde politique de déstabiliser Xi Jinping avant le XXème Congrès de novembre et de nuire à l’avancement de ses protégés, comme Li Qiang, secrétaire du Parti de la municipalité, et Gong Zheng, maire de la Perle de l’Orient.

Quoi qu’il en soit, le risque de « contagion » de ce mécontentement à travers le pays est faible, car il reste très localisé. Seuls les Chinois qui se retrouvent victimes de cette intransigeante politique sanitaire sont susceptibles de nourrir un certain ressentiment. Pas d’élan de solidarité donc envers ces Shanghaiens, souvent considérés comme des privilégiés par le reste du pays. Le chacun pour soi reste la règle, tout en espérant ne pas être les prochains sur la liste…

En fin de compte, cette fuite en avant sanitaire illustre bien les écueils d’un système autoritaire qui a du mal à recalibrer ses politiquessurtout lorsqu’elles ont eu du succès hier – et encore plus à reconnaître ses torts. Au mieux, le leadership peut consentir à remettre à plus tard ses décisions (réforme de la taxe foncière, concept de « prospérité commune »…). Au pire, il s’enferre dans des positions intenables – sanitaires, diplomatiques ou économiques – au risque de s’aliéner une partie de sa population et certains de ses partenaires. C’est le prix à payer pour avoir érodé le système de collégialité instauré par Deng Xiaoping et avoir donné « carte blanche » à un seul dirigeant. 

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