Diplomatie : « Dialogue de sourds » entre Pékin et Bruxelles

« Dialogue de sourds » entre Pékin et Bruxelles

« Des points de vue clairement opposés », « un dialogue de sourds », voilà ce qu’il est ressorti du côté européen à l’issue du 23ème sommet Chine-UE qui s’est tenu le 1er avril entre la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen, Charles Michel, le président chinois Xi Jinping et son premier ministre Li Keqiang. À Pékin, les communiqués officiels ont préféré mettre l’accent sur les intérêts communs et le potentiel de coopération entre le Vieux Continent et l’Empire du Milieu. Même si la rencontre virtuelle n’a abouti à aucune avancée concrète, elle a permis à chacun d’exprimer ses positions, notamment au sujet de la guerre en Ukraine. Un sujet incontournable aux yeux de Bruxelles, mais que Pékin aurait préféré éviter...

N’y allant pas par quatre chemins, les dirigeants européens ont clairement laissé entendre qu’il y aurait des conséquences sur les investissements européens en Chine si Pékin se décidait à apporter son soutien à Moscou. Il en va de la réputation de la Chine, a averti Ursula von der Leyen. Sans menacer ouvertement Pékin à la manière de Washington, les dirigeants européens n’ont néanmoins pas manqué de rappeler que l’Union est le premier partenaire commercial de la Chine, devant les États-Unis. De fait, l’UE absorbe 15% du « made in China » contre seulement 2,4 % pour la Russie, soit un volume quotidien de 2 milliards d’euros d’échanges contre 340 millions avec Moscou.

Malgré cette tentative de rallier la Chine à la cause européenne, Pékin ne s’est engagé ni à user de son influence auprès de Moscou pour mettre un terme à la guerre, ni à ne pas aider la Russie à amortir le choc des sanctions occidentales.

Ce n’est pas surprenant. Deux jours plus tôt, le ministre des affaires étrangères Wang Yi, déclarait de concert avec son homologue russe Sergueï Lavrov, que Pékin et Moscou sont « déterminés » à développer la relation bilatérale « à un niveau supérieur », en ligne directe avec le partenariat « sans limites » conclu entre les Présidents Xi Jinping et Vladimir Poutine le 4 février.

Li Keqiang a cependant assuré que son pays contribuerait à promouvoir la paix « à sa façon » tout en estimant que plutôt que de lui demander de prendre parti, l’Union Européenne a les moyens d’agir elle-même. Mais cela nécessiterait de ne pas se laisser entraîner dans un conflit dont les États-Unis seraient la cause, d’après Pékin. « La Chine souhaite voir l’UE poursuivre une politique chinoise indépendante », a répété Xi Jinping. En d’autres termes, Pékin ne veut pas que Bruxelles aligne sa stratégie chinoise sur celle de Washington.

Seulement, en partant du principe que les Vingt-Sept ne font que suivre aveuglément les politiques américaines, Pékin se méprend : l’Union a ses propres préoccupations, parfois distinctes de celles des États-Unis.

Cependant, force est de constater que l’invasion de Poutine n’a fait que renforcer la coordination transatlantique, voire redonner un nouveau souffle à l’OTAN. Or, c’est précisément ce que la Chine voulait éviter.

Avant même la guerre en Ukraine, l’UE s’était lentement résolue à durcir sa position vis-à-vis de la Chine. En 2019, l’Union la qualifiait de « partenaire, concurrent stratégique et rival systémique » et déployait un mécanisme de filtrage des projets d’acquisition d’entreprises stratégiques par des groupes étrangers (notamment chinois). À ces thématiques commerciales, se sont ajoutés des sujets bien plus sensibles, comme le recul des libertés à Hong Kong et les violations des droits de l’Homme au Xinjiang. Les sanctions frappant plusieurs personnalités politiques, chercheurs et think-tank européens viendront enterrer début 2021 l’accord d’investissement (CAI) conclu après sept ans de négociations. Enfin, les mesures de rétorsion économiques prises par Pékin à l’encontre de la Lituanie, qui a eu « l’audace » d’accorder à Taïwan un bureau de représentation, ont rappelé à Bruxelles le besoin d’établir un instrument anti-coercition au plus vite.

Les évènements des dernières semaines en Ukraine et le refus de Pékin de condamner l’agression russe n’ont fait qu’accélérer ce durcissement. Malgré la neutralité de façade que la Chine tente de maintenir tant bien que mal, l’opinion publique du Vieux continent n’est pas dupe et pourrait contraindre les dirigeants européens à se montrer beaucoup moins complaisants vis-à-vis de la Chine.

Si Pékin semble encore nourrir l’espoir de revenir au statu quo avec ses partenaires européens, ce scénario semble de moins en moins probable avec le temps. Toute décision en lien avec la Russie, aujourd’hui considérée comme la menace n°1 pour la sécurité européenne, pourrait bien définir la relation entre Pékin et Bruxelles pour les années à venir. En somme, l’aventurisme militaire de Poutine a fini de convaincre l’Europe de la nécessité d’adopter une nouvelle stratégie chinoise.

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1 Commentaire
  1. severy

    Très bon article qui résume bien les choses. L’Union européenne voit d’un très mauvais oeil la façade du soutien que semble accorder à la dictature russe la dictature-soeur chinoise. Entre tyrans, faut s’entraider, pourrait-on dire. Pas sûr que les populations concernées apprécient cette entraide le pot-aux-roses découvert.

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