Géopolitique : « Les nouvelles routes de la soie »

« Les nouvelles routes de la soie »

Pas un jour ne passe en Chine sans une annonce sur les « Routes de la soie », politique nouvelle qui intrigue le monde. Mais que désigne-t-elle ? 

Devant un parterre de consortia publics, le 06/04, le 1er ministre Li Keqiang, déclara qu’après avoir servi le pays durant 30 ans, l’actuel modèle commercial était périmé. Les Routes de la soie serviraient à « exporter des biens d’équipement, forger des coopérations internationales industrielles, et réorienter le commerce extérieur de la quantité à la qualité ». 

Pékin médite (cf carte) 5 voire 6 « Routes de la soie », combinant selon les cas chemins de fer (TGV/fret), autoroutes, aviation, navigation (fluviale/mer), lignes à haute tension et à fibre optique, ponctuées de zones industrielles. Le financement sera chinois et étranger, public ou privé. Les banques, BRICS, AIIB entre autres, contribueront. 

Au nord (2), l’axe ferré Yu’ Xin’Ou (渝新欧) relie depuis 5 ans Chongqing à Duisburg (Allemagne) via Urumqi et l’Asie Centrale : en 17 jours, en 50% du temps du bateau, pour 50% du coût de l’avion. L’axe vise la croissance du Xinjiang, en synergie avec Kazakhstan et autres pays de la zone.

Cap ouest (3), le corridor BCIM (Bengladesh, Chine, Inde, Myanmar), dit Route de la soie du Sud, de Kunming à Calcutta, équipera en emplois et infrastructures un territoire d’1,65 millions de km² enclavé par les montagnes et l’histoire. Il veut arracher à la misère 440 millions d’âmes, réduire le temps et coût de transport de 30%, et prouver à l’Inde la fiabilité d’un partenariat avec la Chine. En Birmanie, plusieurs projets sont déjà réalisés tel le port de Kyaukpyu (possible port de départ pour la Route de la soie maritime n°5), et un oléoduc et un gazoduc de 800km vers Kunming. En projet, une voie ferrée attend de relier ces mêmes villes, au coût de 20 milliards de $. 

En dernière minute, Pékin annonce d’ici 2020 la prolongation de sa ligne ferrée Qinghai-Tibet, de 540km jusqu’à Katmandou (Népal), passant par l’Everest. Cette route a évidente vocation de poursuivre vers l’Inde (à environ 1000km de Delhi comme de Calcutta).

Vers le sud (4), se prépare le plus long axe ferré d’Asie (1500 km), Kun-ming-Singapour (en 10h !) via Laos, Thaïlande, Malaisie. Cette liaison à 180 puis 240km/h ouvrira après 2020. Mais on voit ici une difficulté de ce concept de « Routes de la soie ». Pensé par les seuls Chinois, il ne prend pas toujours en compte les sensibilités riveraines. Bangkok veut conserver la gestion du réseau, et du prêt chinois de 10,5 milliards de $. 

Vers le sud/sud-ouest (5), depuis un parmi 15 ports de la côte chinoise, la Route de la soie maritime (海上丝绸之路), cabote vers Moyen-Orient et Europe. Au Sri Lanka, la Chine a déjà lancé de gros chantiers sur les ports de Colombo et Hambantota (ce dernier au sud de l’île). Mais ici aussi, on voit le sable dans l’engrenage. Colombo, depuis ses dernières élections, gèle les travaux. Il se rappelle du nom initial des « Routes de la soie », à savoir le « Collier de perles » autour de l’Inde dans l’Océan indien, et dans des pays tels Sri Lanka ou Pakistan. C’était l’intérêt de Pékin, pour « ceinturer » l’Inde. Mais le Sri Lanka, lui, tout en attirant investissements et technologies low-cost chinoises, ne peut se permettre de se mettre mal avec l’Inde, son grand-frère de toujours… Il peut redouter aussi que sa coopération avec la Chine ne fasse de lui un pion au service d’ambitions géostratégiques mondiales, une rampe d’accès chinois vers les mondes arabe et européen. 

C’est sans doute pour cela que la Chine, récemment, a donné à tout ce plan un dernier nom, « une ceinture, une route » (一带一路).Ce titre est plus proprement chinois que « Route de la soie » (persan) et moins provoquant que le « Collier de perles ». 

Des chainons encore manquants 

Au final, les « Routes de la soie » apparaissent l’expression d’un besoin pour la Chine de poursuivre sa croissance chez ses voisins, une fois son propre sol équipé. Ces projets ouvriront de nouveaux marchés pour ses excédents d’aciéries, verreries, cimenteries. Mais avant que le circuit ne démarre, bien des outils théoriques manquent encore, indispensables pour des échanges équitables et durables : sous quelles lois fonctionneront ces échanges ? Quels traités commerciaux ? Quelles exemptions commerciales ? Quelle différence entre une « Route de la soie » et un traité multilatéral de libre-échange ? Et qui sera propriétaire, et gestionnaire des infrastructures ? 

D’autres questions concernent les règles de gouvernance, et de monnaie : les investissements seront-ils protégés ? Sous quelle loi ? Le yuan sera-t-il convertible ?
Enfin, ce projet ne peut fonctionner que par la confiance : est-il compatible avec l’expansion de la flotte chinoise en Mer du Sud, sa construction à toute vapeur d’îles stratégiques dans des eaux aussi revendiquées par des pays riverains ? 

Un dernier problème est l’endettement des provinces et des consortia publics chinois. Peu rentables, ces derniers sont puissants à l’intérieur des frontières, grâce aux multiples protections dont ils jouissent. Mais sur les Routes de la soie hors frontières et face aux groupes experts mondiaux, feront-ils le poids ?

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