Le Vent de la Chine Numéro 14-15 (XX)

du 11 au 17 avril 2015

Editorial : Qingming et Pâques, rencontre d’outre-tombe

Le 1er week-end d’avril 2015 vit la rencontre de deux fêtes : la lumière pure (清明, qingming) et la résurrection (复活节 fuhuojie), c’est-à-dire Pâques. Entre ces célébrations, l’une confucéenne, l’autre chrétienne, le parallèle était aussi dans la thématique : Pâques marque la résurrection du Christ trois jours après sa mise au tombeau, tandis que lors du Qingming, la famille vient nettoyer la dernière demeure des parents. Ces fêtes évoquent donc la mort entremêlée à la vie (c’était aussi, jour de pleine lune, moment du bourgeonnement de floraison des fruitiers), et un des plus vieux fantasmes de l’homme, occidental comme chinois, celui du cycle vital éternel. 

Au cimetière shanghaïen de Songhe, étaient disséminées parmi les foules de sépultures athées (ou plutôt discrètement muets sur leur croyance), nombre de tombes chrétiennes. Des centaines de familles se pressaient pour brosser les stèles. Puis, dans un bac de fer fourni par les employés, ils brûlaient des masses de faux billets de banques ou fausses sapèques d’argent (la « mon-naie de l’enfer »), et allumaient encens et cierges rouges. Certains offraient aussi des repas en barquettes, riz, poissons, fruits, bouquets de fleurs. Or la fleur, sur les tombes d’Asie, n’est pas traditionnelle. Elle répond à la demande des autorités d’épargner l’air en renonçant à cette tradition pyromane sur les lieux des morts, afin de préserver les vivants. 

Détail cocasse tranchant avec cette ambiance austère : à peine les familles s’éloignaient, le personnel venait se saisir des offrandes pour les jeter pêle-mêle dans des tombereaux. Tous ces biens déposés pour les défunts étaient détruits. En effet, sans l’intervention des employés, avec des milliers de visiteurs dès 6h du matin, les travées du sanctuaire se seraient vite muées en dépotoir. Autres lieux, autres mœurs à Wuhan, où enfants et rôdeurs volent ou mangent les fruits, revendent fleurs et bougies ! 

Un détail marquant est l’énorme différence des classes sociales, jusque dans la mort. Les plus riches pavanaient dans des petits mausolées de 3m², à 1,2 million de ¥, richement engravés et dotés d’arbustes rares. Puis les travées se succèdent, aux lots de plus en plus petits, de moins en moins décorés, pour finir aux niches d’un mur du columbarium. Sur la plaque, la famille suspendait un bouquet ou une simple cigarette (allumée). 

Dans les allées, la compagnie funéraire célébrait ses promotions et services par haut-parleurs. Car la mort paie : un cimetière pékinois a fait 230 millions ¥ de profits en 2014, +38%. Les prix des tombes ont triplé en 3 ans. Les 10 millions de morts chinois de 2014, doubleront d’ici 2025 et la terre disparaît pour les accueillir : en 2030, les 34 cimetières de Pékin seront pleins. Alors les concessions, pour 6 ans, ne seront plus renouvelées, ou à prix d’or. Pour rendre hommage aux ancêtres, la solution peut passer par internet avec des plateformes (www.tiantang6.com) permettant d’ajouter photo, musique, offrandes à une stèle virtuelle. Après tout, pourquoi pas ? Entre le virtuel et l’au-delà, il n’y a qu’un pas…


Géopolitique : « Les nouvelles routes de la soie »
« Les nouvelles routes de la soie »

Pas un jour ne passe en Chine sans une annonce sur les « Routes de la soie », politique nouvelle qui intrigue le monde. Mais que désigne-t-elle ? 

Devant un parterre de consortia publics, le 06/04, le 1er ministre Li Keqiang, déclara qu’après avoir servi le pays durant 30 ans, l’actuel modèle commercial était périmé. Les Routes de la soie serviraient à « exporter des biens d’équipement, forger des coopérations internationales industrielles, et réorienter le commerce extérieur de la quantité à la qualité ». 

Pékin médite (cf carte) 5 voire 6 « Routes de la soie », combinant selon les cas chemins de fer (TGV/fret), autoroutes, aviation, navigation (fluviale/mer), lignes à haute tension et à fibre optique, ponctuées de zones industrielles. Le financement sera chinois et étranger, public ou privé. Les banques, BRICS, AIIB entre autres, contribueront. 

Au nord (2), l’axe ferré Yu’ Xin’Ou (渝新欧) relie depuis 5 ans Chongqing à Duisburg (Allemagne) via Urumqi et l’Asie Centrale : en 17 jours, en 50% du temps du bateau, pour 50% du coût de l’avion. L’axe vise la croissance du Xinjiang, en synergie avec Kazakhstan et autres pays de la zone.

Cap ouest (3), le corridor BCIM (Bengladesh, Chine, Inde, Myanmar), dit Route de la soie du Sud, de Kunming à Calcutta, équipera en emplois et infrastructures un territoire d’1,65 millions de km² enclavé par les montagnes et l’histoire. Il veut arracher à la misère 440 millions d’âmes, réduire le temps et coût de transport de 30%, et prouver à l’Inde la fiabilité d’un partenariat avec la Chine. En Birmanie, plusieurs projets sont déjà réalisés tel le port de Kyaukpyu (possible port de départ pour la Route de la soie maritime n°5), et un oléoduc et un gazoduc de 800km vers Kunming. En projet, une voie ferrée attend de relier ces mêmes villes, au coût de 20 milliards de $. 

En dernière minute, Pékin annonce d’ici 2020 la prolongation de sa ligne ferrée Qinghai-Tibet, de 540km jusqu’à Katmandou (Népal), passant par l’Everest. Cette route a évidente vocation de poursuivre vers l’Inde (à environ 1000km de Delhi comme de Calcutta).

Vers le sud (4), se prépare le plus long axe ferré d’Asie (1500 km), Kun-ming-Singapour (en 10h !) via Laos, Thaïlande, Malaisie. Cette liaison à 180 puis 240km/h ouvrira après 2020. Mais on voit ici une difficulté de ce concept de « Routes de la soie ». Pensé par les seuls Chinois, il ne prend pas toujours en compte les sensibilités riveraines. Bangkok veut conserver la gestion du réseau, et du prêt chinois de 10,5 milliards de $. 

Vers le sud/sud-ouest (5), depuis un parmi 15 ports de la côte chinoise, la Route de la soie maritime (海上丝绸之路), cabote vers Moyen-Orient et Europe. Au Sri Lanka, la Chine a déjà lancé de gros chantiers sur les ports de Colombo et Hambantota (ce dernier au sud de l’île). Mais ici aussi, on voit le sable dans l’engrenage. Colombo, depuis ses dernières élections, gèle les travaux. Il se rappelle du nom initial des « Routes de la soie », à savoir le « Collier de perles » autour de l’Inde dans l’Océan indien, et dans des pays tels Sri Lanka ou Pakistan. C’était l’intérêt de Pékin, pour « ceinturer » l’Inde. Mais le Sri Lanka, lui, tout en attirant investissements et technologies low-cost chinoises, ne peut se permettre de se mettre mal avec l’Inde, son grand-frère de toujours… Il peut redouter aussi que sa coopération avec la Chine ne fasse de lui un pion au service d’ambitions géostratégiques mondiales, une rampe d’accès chinois vers les mondes arabe et européen. 

C’est sans doute pour cela que la Chine, récemment, a donné à tout ce plan un dernier nom, « une ceinture, une route » (一带一路).Ce titre est plus proprement chinois que « Route de la soie » (persan) et moins provoquant que le « Collier de perles ». 

Des chainons encore manquants 

Au final, les « Routes de la soie » apparaissent l’expression d’un besoin pour la Chine de poursuivre sa croissance chez ses voisins, une fois son propre sol équipé. Ces projets ouvriront de nouveaux marchés pour ses excédents d’aciéries, verreries, cimenteries. Mais avant que le circuit ne démarre, bien des outils théoriques manquent encore, indispensables pour des échanges équitables et durables : sous quelles lois fonctionneront ces échanges ? Quels traités commerciaux ? Quelles exemptions commerciales ? Quelle différence entre une « Route de la soie » et un traité multilatéral de libre-échange ? Et qui sera propriétaire, et gestionnaire des infrastructures ? 

D’autres questions concernent les règles de gouvernance, et de monnaie : les investissements seront-ils protégés ? Sous quelle loi ? Le yuan sera-t-il convertible ?
Enfin, ce projet ne peut fonctionner que par la confiance : est-il compatible avec l’expansion de la flotte chinoise en Mer du Sud, sa construction à toute vapeur d’îles stratégiques dans des eaux aussi revendiquées par des pays riverains ? 

Un dernier problème est l’endettement des provinces et des consortia publics chinois. Peu rentables, ces derniers sont puissants à l’intérieur des frontières, grâce aux multiples protections dont ils jouissent. Mais sur les Routes de la soie hors frontières et face aux groupes experts mondiaux, feront-ils le poids ?


Société : La retraite à 65 ans dans 30 ans ?

Un sujet qui angoisse, dans les ministères –car il les concerne tous– est celui des pensions. Comment faire face au vieillissement social, quand le fonds national est ric-rac et des systèmes non intégrés voire disparates doivent soutenir 200 millions de vieux citadins et paysans, cadres et ouvriers publics, et entrepreneurs privés ? Chaque mois, le fonds verse des retraites fort inégalitaires, en moyenne 2000¥ au retraité des villes, et… 70¥ à celui des champs. Pour l’heure, la ressource suffit encore à la tâche : en 2014, d’après Caixin, la revue financière, le fonds a collecté 2,6 trillions de ¥ en cotisations salariales et patronales, et reversé 2,1 trillions. 

Mais ce bel équilibre approche de la fin, avec le tsunami aux cheveux blancs qui pointe à l’horizon : les 15% de sexagénaires (ou plus) de 2014, friseront les 40% en 2020. Et sous l’actuel système de répartition, les 3 cotisants qui s’épaulent pour soutenir la vie d’un pensionné, ne seront plus qu’1,3 en 2050 – la charge sera dès lors insupportable ! 

Seule solution, changer de système et comme partout au monde : reculer l’âge de la retraite. D’autant qu’en Chine, le système hérité de Mao Zedong assure le départ de la femme (urbaine) à 50 ans et celui de l’homme à 60 ans. Au passage, pour « la moitié du ciel », le deal n’est pas si avantageux qu’il n’y parait : à 50 ans, la femme déjà salarialement défavorisée à tâche égale par rapport à l’homme, est remerciée par l’entreprise avec une pension amputée de 10 ans de cotisation. Ces 10 années les plus fructueuses en terme de salaire, laissent à la néo-retraitée, une pension squelettique par rapport à celle de son compagnon.
Enfin, le système n’est pas viable. Dès 2014 Ma Kai, vice-Premier, annonçait que par rapport aux versements, la courbe de croissance des recettes s’était infléchie l’année d’avant de 5,3% : « si nous ne changeons pas vite d’organisation, concluait-il, nous n’échapperons pas à un très gros décalage ! » 

Cette année, déclare Yin Weimin, ministre de la Sécurité sociale, un plan sera rédigé, soumis au Conseil d’Etat en 2016. Il pourrait s’inspirer d’une proposition de la CASS, qui vise pour l’ensemble du monde du travail la retraite à 65 ans en 2045, au moyen d’un compte à rebours où chaque femme devrait travailler un an de plus tous les 3 ans, et chaque homme tous les 6 ans.
« Les gens doivent se préparer », déclare Xiao Wen, professeur à Stanford. « On ne peut dire à un homme de 55 ans, un pied à la retraite, qu’il devra travailler 10 ans de plus. Mais on peut dire à un quadra s’attendant à la pension à 60 ans, qu’il l’aura à 62 ».


Monde de l'entreprise : Schindler, la remontée fantastique
Schindler, la remontée fantastique

Après 141 ans, Schindler, le groupe helvétique d’ascenseurs et d’escalators doit se battre pour son existence – en Chine. Son 1er rang mondial en escalators est solide, mais en ascenseurs, il souffre depuis 20 ans.

Première société étrangère à établir une JV en 1980 au pays de Deng Xiaoping, les 10 premières années l’avaient vu caracoler. Mais en 2015, il n’est plus que 5ème derrière des concurrents tels Kone, Otis ou Shanghai Mitsubishi. Schindler a pâti d’un mauvais partenaire étatique, qu’il a mis des années à écarter. Toutefois, il a aussi souffert d’une incapacité propre à surfer sur la dynamique des années ‘90. 

Pour les dirigeants actuels dont le lucernois Thomas Oetterli, l’heure du bilan approche. Faute de réaction immédiate, le retard pris en Chine peut devenir mondial, vu l’importance du marché chinois (65% de la demande mondiale en ascenseurs et escalators). Selon Oetterli, « sous 10 ans, quand la vague d’équipements en Chine sera passée, les positions des groupes sur ce marché, se répercuteront à travers le reste du globe ». Aussi depuis 2013, la course contre la montre est engagée chez Schindler-Chine avec l’ambition non dissimulée de reconquérir la 1ère place.

Schindler veut d’abord mieux dialoguer avec les clients, gros développeurs publics ou semi-publics bâtissant pour les mairies, provinces ou consortia. Le maître-mot ici est d’adhérer au marché, pour percevoir en temps réel l’évolution des besoins. Le groupe de Lucerne s’est aperçu que certains modèles très avancés, conçus en et pour l’Europe, ont fait un flop lors de leur introduction au Céleste Empire. Exemple, l’ascenseur sans cage de machinerie au sommet de la tour, s’y est avéré mal adapté. Compliqué à poser et à maintenir, il a été maudit par des promoteurs, anxieux de livrer vite les appartements, être payés et obtenir de nouveaux emprunts. Par ailleurs, ces constructeurs avaient besoin d’ascenseurs plus larges et performants, destinés à transporter toujours plus de passagers. 

Pour se donner une chance de satisfaire plus vite le client, Schindler s’est donc astreint à réduire le temps de développement d’ascenseur (design, prototype, tests…), de 7 ans (en 2013) à… 37 jours.
Dans le même esprit de renforcement, le développement de produits pour la Chine, jusqu’alors l’apanage d’un service R&D à Lucerne, a été déplacé à Shanghai. De même quelques milliers d’emplois de production, ventes et maintenance seront créés sous 5 ans, en sus de 5000 existants. 

Autre investissement, Schindler se dote à Jiading (Shanghai) d’un QG à 190 millions d’euros. D’ici 2016, il concentrera la production d’ascenseurs et escalators, la R&D Chine et Asie-Pacifique (800 ingénieurs), la finance… C’est un pari risqué, forçant des milliers d’employés à 3h ou 4h de transport par jour, sur autoroute congestionnée ou en métros bondés. Des services tel le marketing pourraient gagner à être plus proches de leurs clients au centre-ville. Toutefois, la direction a fait ce choix pour que ces métiers, en échangeant, réalisent plus vite de meilleurs produits. 

Aux abords du QG, se dresse une étrange tour, étroite, haute et sans fenêtres : c’est la « test-tower », qui fera faire leurs 1ers voyages aux nouveaux modèles, sur 240m dont 40m sous terre. 

Flambant neuve, l’usine d’escalators est un modèle du genre. Sur deux chaînes de montage, de poste en poste, des équipes de 6 déplacent et montent les escalators de 10m à 20m de long (cf photo). Chaque 16 minutes sur chaque chaîne, un escalator sort, prêt à partir pour les provinces, ou l’étranger (25%) : Inde, Amérique Latine, Europe… Aujourd’hui à 60 unités par jour, la production sera bientôt augmentée à 20.000/an (à 90 par jour), une fois en fonction la 3ème chaine. La montée en puissance est rapide : début 2015, l’usine ne tournait encore qu’à 60% mais aujourd’hui, elle est à plein régime. 

Schindler EscalatorsL’ambition est aussi de multiplier les sites. Construire « ex nihilo » de nouvelles usines est possible, mais l’expansion la plus rapide est de loin le rachat de l’une ou l’autre des 380 usines d’ascenseurs ou d’escalators existantes en Chine, la plupart d’investissement local. Schindler semble s’y préparer. Le défi ici, est de faire le bon choix d’établissement, sous l’angle de sa position géographique, de son équipement et du potentiel d’amélioration, en personnel comme en matériel. 

Finalement, la relocation de la R&D et la concentration des compétences sont la réponse stratégique apportée par le groupe pour se réinventer et regagner sa position de leader sur ce marché-clé. D’autres « vieilles » compagnies européennes ou américaines ont déjà usé de ce stratagème pour conquérir l’Empire du Milieu. Ainsi, la remontée de Schindler risque d’être intéressante à suivre, les années qui viennent.


Industrie : Parc chimique de Caojing – l’intégration verte

A Caojing (sud de Shanghai), se dresse en bord de mer un complexe métallique hérissé de citernes et cheminées. Des dizaines de pipelines suivent la route, telle une portée musicale pour le bal des semi-remorques. Partout, caméras et postes de garde rappellent que la zone est sous haute surveillance : c’est le SCIP, éco-parc chimique de Shanghai, créé en 2001. 

L’emplacement du SCIP, sur 30km² en baie de Hangzhou, à moitié reconquis sur la mer, a été choisi en zone marécageuse, peu peuplée, limitant ainsi les risques. Autre atout, les vents de terre, prêts à disperser des effluents vers le large, en prévention d’accidents.

Lors de la phase de conception, des experts furent envoyés aux parcs chimiques les plus avancés, d’Anvers, du Texas, de Singapour, pour en capter les meilleures idées.
L’objectif était de connecter sur un même site, 40 groupes industriels chimiques chinois et mondiaux, pour leur faire échanger leurs sous-produits. Avec un tel circuit, le « rebut » de l’un devenait ainsi la « matière 1ère » de l’autre. 

Par rapport à la génération précédente de parcs chimiques, ce « cercle vertueux » faisait reculer les risques et gaspillages. De la sorte, les profits étaient maximisés et les déchets minimisés.
L’intégration permet de produire les produits dangereux et de les recombiner immédiatement, sautant les étapes du stockage et du transport. Le phosgène par exemple, le « gaz moutarde » de sinistre mémoire, est produit sur un site, puis acheminé par pipeline vers un autre site de la zone où il est transformé en polyuréthane inoffensif. En France par contre, il doit être stocké et transporté en des conditions de sécurité lourdes et onéreuses.

Une autre règle du parc, est de disposer sur tout site de bassins retenant les eaux de pluie au moins 15 minutes le temps de les analyser. En cas de pollution, les autorités peuvent les canaliser vers la station d’épuration (JV de Suez Environnement), évitant la pollution du système aquatique. Une fois les bassins pleins, et après analyse par le producteur, les autorités autorisent le déversement en mer – après avoir vérifié la pureté, par leur propre, second test. 

Dans le même souci de protection de l’air, des capteurs sont postés à travers le parc, reliés à un PC central qui peut détecter en temps réel des émissions d’effluents. A la moindre alerte, même bénigne, le PC contacte le site responsable. Et au cas fort théorique (ce n’est encore jamais arrivé) où l’industriel resterait silencieux, quelques minutes suffiraient pour que le parc bloque tous ses circuits, pompes, fours ou tours de distillation. En cas de crise sérieuse, trois casernes de pompiers de la zone et l’hôpital de proximité sont en alerte permanente, prêtes à intervenir. 

Les normes sont même plus strictes qu’en Allemagne. Chaque année, des exercices de sécurité sont lancés pour vérifier la réactivité des groupes à tout type d’accident. Chacune des usines est aussi auditée par une armée de 20 inspecteurs, douaniers, policiers, bureaux des transports, de l’environnement… C’est la tolérance zéro, où tous les équipements et les documents sont épluchés.

Scip Eco Park1Ce qui n’empêche le parc, après 14 ans d’existence, d’afficher complet : une des rares zones encore vide, est réservée au déménagement en 2018 d’un parc désormais trop à l’étroit, Waigaoqiao. Déjà installée au SCIP, une JV BP-Sinopec craque 900.000 tonnes d’éthylène par an (volume énorme, suffisant aux besoins d’une nation moyenne européenne) aux côtés de Bayer (polycarbonates, polyuréthanes) ou Dupont (pesticides), BASF, entre autres. 

On peut s’étonner du titre d’éco-parc octroyé au SCIP : il est dû à ses exigences en émissions d’effluents, mais aussi à un projet très articulé de partager ici l’espace entre nature, ville et industrie. Lors du design du SCIP, les experts ont constaté dans les parcs chimiques mondiaux de l’époque, la montée inévitable après quelques années du mécontentement des riverains. La cause de cette grogne était toujours la même : en grandissant, la ville venait grignoter le sol aux portes de la zone chimique. Aussi pour prévenir ces conflits de voisinage, le parc a acquis des zones « tampon » autour de son périmètre, et les a interdites pour tout usage, sauf pour jardinets et potagers (pour ceux-ci, il cède gratuitement des lopins aux citadins et paysans), golf et promenades. 

Combiné à l’incroyable sévérité en termes de rejets polluants, le résultat est inattendu : ni smog, ni odeurs fétides, et un écosystème prospère de grenouilles, canards, larves, hérons et autres migrateurs. Bassins et voies d’eau sont si poissonneux, que les autorités ont été obligées, pour protéger la faune, de placarder « pêche interdite », comme si elles étaient un parc de loisirs. Un comble, pour un parc industriel chimique !
Le portrait peut sembler idyllique. Mais il faut se rappeler qu’on est à Shanghai, métropole à la pointe de la technologie et de la finance. En chimie comme en d’autres secteurs, la « tête du dragon » ne vise rien de moins que le leadership mondial. On peut douter que les 51 autres parcs chimiques du pays puissent se mesurer au SCIP.

La suite de ce reportage la semaine prochaine : « Survol de SITA, une zone produits dangereux »


Environnement : Catastrophe de Zhangzhou : réveil au tocsin

La semaine passée, l’incendie de la centrale de Zhangzhou (Fujian) devint un des plus graves accidents en 10 ans. 

Au départ (06/04), une fuite de pétrole qui s’enflamma, provoqua une explosion perçue 10 km à la ronde. De forts moyens déployés (au pic de la lutte, 131 camions rouges et 781 pompiers), ne purent empêcher trois redéparts de feu. Pour cause, le paraxylène (PX) produit par cette grosse usine du groupe taïwanais Xianglu, s’enflamme naturellement au-delà d’une certaine température. Aussi, dès que la couche de mousse carbonique des pompiers s’épuisait dans les 4 citernes touchées, plus de 40.000 tonnes de PX repartaient en flammes. Les dégâts sont gigantesques. Deux camions de pompiers ont été détruits, 14 pompiers blessés, et malgré les assurances des autorités, des infiltrations en sous-sol ne sont pas à exclure.
L’usine à 2,3 milliards de $ est évidemment pour longtemps hors d’usage. 29.000 riverains furent évacués en urgence, et des petites fermes d’aquaculture marine perdirent leur production. 

Forte consommatrice de PX (14 millions de tonnes en 2014, dont 51% importées), la Chine va voir sa dépendance extérieure s’alourdir. Mais le pire est la perte de confiance de la population envers les pouvoirs locaux. En 2007, la mairie de Xiamen avait voulu forcer l’implantation de cette usine à 7 km de son centre-ville. Elle avait dû y renoncer sous la farouche résistance des citadins. Ma Jun, de l’Institut national de l’environnement, rappelle qu’à l’époque, les services publics avaient certifié la centrale « sans danger ». Mais à peine installée à 80 km plus à l’ouest, elle avait déjà connu dès 2013 un premier accident. Ainsi partout en Chine, les populations sont sous le choc, qui trahit des fautes de planification et de maintenance. 

Et nombreuses sont les critiques sur la toile, appelant à résister collectivement aux projets locaux. Ce serait même parfois l’unique option, vu l’épée de Damoclès que l’impéritie des cadres fait peser sur la santé des gens. 

Pas sans lien avec cette catastrophe, le 6 avril, jour de l’accident, une violente manifestation de 10 000 citoyens se déroula à Luoding (Guangdong) contre un projet d’incinérateur. Il y eut des blessés et des arrestations. Trois voitures de police furent lapidées. Le 8 avril, battant en retraite, la mairie publiait sur son site internet l’abandon du projet. 

Paradoxalement, les déboires des provinces pourraient fort bien convenir à Pékin, voire, être un atout aux mains de Chen Jining , le nouveau ministre de l’Environnement. En général, ministères et agences du Conseil d’Etat rivalisent d’initiatives pour tenter de se faire obéir des niveaux locaux qui n’en font qu’à leur tête. 

Mais Zhangzhou permet de pointer du doigt un manquement manifeste, où pouvoir central ET population doivent pâtir des fautes de quelques décideurs trop obnubilés par la croissance à tout crin et leur propre avancement. Or Chen, ancien président de l’université Tsinghua et de sa faculté environnementale, semble décidé à arracher son ministère à son apathie originelle. Aussi, il prend des mesures rigoureuses, et fait feu de tous bois. 

Il vient de sabrer Xiaonanhai (Chongqing), projet de barrage sur le Yangtzé, projet coûteux (4 milliards de $) et d’un intérêt aléatoire, dont les permis avaient été arrachés par Bo Xilai avant sa chute.
Chen annonce aussi pour avril un plan strict de protection de l’eau, à 3 objectifs qui changeront la donne à travers le pays : 

– rentabiliser les sociétés de recyclage, dont 30% (selon An Xin Securities) travaillent à perte. Dans les métropoles riches, dès 2015, l’eau courante augmentera par tranches graduelles de prix, pour inciter à l’épargne ;

– plafonner la consommation d’ici 2020 à 670 milliards de m3 ;

– réduire d’ici 2017 les effluents chimiques ou engrais. Et, par voie d’écotaxation dissuasive, ramener les cours d’eau de classe « 6 » (« impropre à tout usage ») à celle « 5 »
(« toxique au derme humain mais apte à l’irrigation »). Un tel plan semble bien ambitieux, quand on sait que 30% des réseaux aquatiques et 60% des nappes phréatiques sont contaminées, de source officielle. 

Enfin, sur la pollution aérienne, Chen travaille à renforcer la bourse d’échange des crédits carbone, dits CCER, où des droits d’émission de CO2 sont reconnus, en échange d’investissements menant à des coupes d’émissions équivalentes. Les CCER permettent aux firmes ayant fait ces investissements « bas carbone », de revendre leur reliquat de quotas d’émission et aux autres, de les racheter pour respecter les leurs. 
A ce jour, 14 millions de tels titres ont été émis, mais trop généreusement, faisant qu’en bourse, les cours planent bas. Pour y remédier, Chen vient de faire rejeter plus de la moitié des 54 projets récemment déposés, de demande de validation de CCER. C’est le signal que les règles, désormais, seront plus strictes et que les CCER devront se mériter. C’était pour Chen Jining, la seule manière de donner à ce système encore au berceau, une chance de réussir. 


Société : Une réinvention de l’altruisme en Chine ?
Une réinvention de l’altruisme en Chine ?

Au World Giving Index, indice mondial de référence pour la charité, la Chine arrive avant-dernière en 133ème position. Et en 2010, quand Bill Gates et Warren Buffett invitèrent plus de 200 milliardaires chinois de l’époque à venir rejoindre leur fondation philanthropique, ils trouvèrent porte de bois. Ceci n’est pas forcément signe de manque de générosité, mais plutôt un problème de regard politique du régime sur l’action charitable – séquelle idéologique de la Révolution culturelle qui y voyait une pratique bourgeoise et inutile, l’Etat, le Parti devaient suffire à régler tous les problèmes de la société. De ce fait, les organisations caritatives sont muselées et ne collectent leurs fonds que par porte-à-porte, internet, ou par de rares actions publiques. 

De plus, étant noyautées, elles ont aussi des problèmes de gestion de leurs avoirs : on y détourne à foison. En mars, l’université Beida a constaté que sur 93 organisations, seulement 8 étaient capables d’assurer un bilan comptable sérieux. En 2011, un scandale avait défrayé la chronique. Une jolie fille un peu délurée, « secrétaire générale de la Croix Rouge chinoise », posait sur internet en Gucci, près de bolides aux prix insensés. Ceci permettant de comprendre les réticences des Chinois à financer ce type d’organisation. 

Mais Pékin veut changer les choses. Depuis décembre, un projet de loi de la charité est déposé au Parlement, qui renforcerait la capacité légale des organisations en permettant leur enregistrement direct auprès du ministère des Affaires civiles. Jusqu’à présent, elles doivent se trouver un « organisme public de tutelle », une responsabilité qu’aucun ministère ne veut assumer. Selon la proposition, même les œuvres caritatives étrangères pourraient s’enregistrer, quoiqu’en une sibylline « association avec une charité locale » (JV ? Tutelle ?). De même, elles recevraient plus de latitude à lever des fonds et plus d’exonérations fiscales. Tout ceci, sous réserve d’inventaire : la date du vote n’est pas fixée. 

De façon insolite, ce projet apparaît en même temps que l’autre projet de loi des ONG, plutôt en régression et qui inquiète ces dernières. Mais que sont les associations de charité sinon des ONG ? Ces 2 sons discordants sur un sujet unique, semblent révéler une absence de cohésion au sein du régime.


Petit Peuple : Chengdu : la seconde vie de Dai Dali (1ère Partie)

En 2008 à Chengdu (Sichuan), Dali Dai, 58 ans, employée dans une librairie étatique, s’épuisait depuis un quart de siècle à porter des piles de livres en tous genres, du traité de chimie en trois tomes à l’atlas universel en cinq, de la méthode d’anglais aux œuvres complètes du dernier leader. 

Elle s’ennuyait à attendre le choix d’une cliente indécise, à lui expliquer les différences littéraires entre tel ou tel auteur, à grimper sur de vertigineux escabeaux pour aller quérir des volumes hors d’âge.

Au fil des années, les inventaires saisonniers, les changements de rayonnage, avaient eu raison de son dos et de ses reins, la contraignant à transbahuter des journées entières des caisses de bouquins d’un étage à l’autre, sous le regard inquisiteur d’un chef de rayon 20 ans plus jeune qu’elle. 

Le pire était de porter les achats à la caisse. Alors, elle devait emballer les titres choisis par le professeur décrépit ou l’étudiante en droit. La poussière qui volait du papier quand elle plaçait ces tomes au milieu du rectangle de papier grège, lui donnait la nausée. Chaque jour, elle sentait un peu plus sa force quitter ses bras, faisant souffrir ses poignets perclus d’arthrite. Et chaque soir, ses épaules tremblaient d’épuisement. Plus d’une fois, elle avait fait tomber son fardeau, s’attirant les rudes remontrances du chef de service, et parfois même la perte de sa maigre prime. 

Nonobstant tous ses efforts, son patron ne voulait rien savoir de son passage à la retraite, qu’elle aurait dû obtenir dès 2005. C’était un magasin à l’ancienne, déficitaire et qui cherchait à tout prix à faire des économies, souvent sur le dos du personnel. Et par malheur pour elle, Dai Dali était de l’espèce si courante en Chine : endurante aux rudoiements qu’elle acceptait implicitement, éternelle victime « honteuse et confuse de sa condition inférieure » (自惭形秽,zìcán xínghuì) qui ne se plaignait jamais, et souffrait sans chercher à se défendre.

Enfin arriva, fin 2008, le jour de la délivrance, où le chef, faute de pouvoir différer davantage, lui annonça sa liberté prochaine, santé minée, mais retraite complète. Après un pot de départ réduit à sa plus simple expression – thé, crackers, et un discours sans inspiration – Dali rendit son tablier pour s’en aller vivre auprès de sa fille, Zhang Fan. 

Après quelques semaines, elle entreprit de réaliser un humble rêve : par l’exercice quotidien, évacuer les douleurs accumulées par ses décennies sédentaires.
Tous les matins à l’aube, elle filait au parc, pour tâter de la danse gymnique gratuite de l’une ou l’autre des troupes volontaires.
Elle commença par la danse des « cinq animaux » (Wuqinxi), mimant le tigre, le singe, l’ours, le cerf et la grue – après trois mois, elle sentit que la discipline pseudo-antique ne lui convenait pas.
Elle passa au Taijiquan, sport du « grand souffle méridien », où elle tint presque un an.
Le sabre la retint deux saisons : ce sport lui sembla pécher par expression trop virile et même violence.
Puis, lorsqu’elle eut épuisé tout l’éventail des activités, elle changea de parc et s’essaya alors à l’éventail de soie rouge, 80cm d’envergure en déployé, que les femmes mouvaient avec force sourires et contorsions gracieuses. Là, elle se força à faire taire ses objections, à rester. Dai Dali se languissait de trouver sa place. 

Son dos, son torse avaient depuis longtemps cessé de la faire souffrir. Insensiblement au fil des mois, ses abdominaux s’était retendus et les rhumatismes n’étaient plus qu’un souvenir. Seuls ses poignets et ses avant-bras gardaient leur faiblesse. Mais ce qui la dérangeait, était ses compagnons, ces femmes et ces hommes avec qui elle se dépensait : par leur conformisme diaphane, ils ressemblaient comme deux gouttes d’eau à ses anciens collègues, sans nulle originalité à faire valoir. Par un esprit de contradiction germant à leur contact, elle se découvrait un désir de créer un monde à elle selon ses émotions, de trouver une voie qui lui soit propre—que cela plaise aux autres ou non. Au parc cependant, sans malice, tous s’efforçaient de suivre les instructions, d’obéir aux ordres. Et à 61 ans, à les voir, Dali sentait bien qu’elle cherchait autre chose : elle s’ennuyait. 

En 2009, elle découvrit la danse moderne. L’improvisation, avec partenaires, lui apporta un flash par sa liberté de figures. Mais elle n’eut qu’un temps.
Le paso doble, et plus encore le tango lui porta un aiguillon de plaisir ambigu, par l’aspect émoustillant, les pointes d’émois physiques, l’audace des couples. Toutefois, une tentative maladroite de séduction du partenaire lui fit prendre la fuite. Elle était telle le vilain petit canard du conte d’Andersen, mais n’ayant plus comme lui l’excuse de l’adolescence. 

À 65 ans, Dai Dali se sentait mal en toute activité et en tout groupe : mais n’y aurait-il pas pour elle, de chance de seconde vie, après la présente qui s’achevait et dont elle cherchait en vain le fruit ? 

Retrouvez la suite de la quête spirituelle de Dai Dali la semaine prochaine !


Rendez-vous : Semaine du 13 au 19 avril 2015
Semaine du 13 au 19 avril 2015

10-12 avril Shanghai : Grand Prix de F1

9 – 11 avril, Qingdao : Rubber & Tyre Expo, Salon international de l’industrie du caoutchouc et des pneus

9 – 11 avril, Shenzhen : CEF, China Electronic Fair, Salon chinois de l’électronique

9-12 avril, Shanghai : Boat Show, Salon du nautisme et du yacht, équipements et services 

9-12 avril, Shanghai : Expo Leisure, Salon des sports motorisés, des activités aquatiques et de plein air

9-12 avril, Shanghai : Expo Lifestyle for Luxury and Excellence, Salon des produits de luxe

14-16 avril, Shanghai : Automotive Logistics Asia Conference

14-16 avril, Shanghai : Salon du cuir synthétique

14-16 avril, Shanghai : IT&CM China, Salon de création d’événements en Chine

14-16 avril, Shanghai : Real Estate Investment World China, Conférence consacrée au secteur de l’immobilier et des investissements 

14-17 avril, Shanghai : SINOCORRUGATED, Salon de l’emballage ondulé

14-16 avril, Shanghai : Luxe Pack Shanghai, Salon du packaging des produits de luxe

15-17 avril, Shanghai : China Interdye, Salon de la teinture et de l’impression textile

15-18 avril, Canton : CAEF – Canton Appliances Electronics & Lighting Fair, Salon de l’électroménager, électronique et éclairage

15 avril – 5 mai : Foire de Canton