Petit Peuple : Changsha, les crêpes du beau gars

En mars, nous évoquions l’étrange destinée de Xilige, un clochard poussé -contre tout pronostic- en les sphères de la mode. Or voici un autre enfant de la balle, lui aussi propulsé sous les feux de la rampe par son joli minois. deux sorts qui n’ont en fait qu’un moteur unique, qu’une bonne fée si l’on ose dire, la femme new-look, éduquée, en pleine éclosion : la 1ère chose qui l’intéresse, qu’elle détecte à 100 lieues à la ronde, est le beau gars !

Pour Bao Jianbin, de Xinyang (Henan), la vie débute mal en 2005, à 19 ans : des suites d’un mal qui a ruiné la famille, sa mère meurt. Depuis 2 ans il «séchait» les cours, pour aider la malade ou gagner de l’argent. Après sa mort, il décide de quitter les études pour aller trouver du boulot à Nankin.

Sur place, la paie est nulle: pour faire loufiat, coursier ou factotum, 200-300¥/mois, juste de quoi survivre. A Xinyang, les créanciers restent à vibrionner autour de son père et de Bao Yun sa soeur, qui à son tour lâche l’école pour le travail. Elle décide alors de rejoindre Jianbin et d’aller ensemble, à Changsha, retrouver, un vieil oncle patron de PME. Une fois sur place, celui-ci leur donne des conseils pour monter une affaire, et plus précieux encore, un pécule pour se lancer.

Jouxtant le quartier des facs, Changsha compte une artère mal famée par toute une faune interlope, tire-laines, ribaudes et badauds: faune venant y combler ses humbles besoins dans ses bouibouis, puces, cybercafés. Baptisée par un maire mégalo « voie commerciale et culturelle du mont Lu », la foule l’appelle plus justement «rue de la décadence». C’est là que Jianbin loue un box de 2m² pour y poser sa plaque de fonte d’occasion, la bonbonne de gaz, la pâte, les oignons tranchés et bouts de lard grillés. Objectif : vendre des crêpes, au moins 100/jour, seuil de rentabilité.

Mais tout début est difficile. Jianbin et Yun portent au visage les stigmates de l’inexpérience. Pire, ce mets pourtant si courant en Chi-ne n’est pas encore connu à Changsha. Résultat, à une crêpe la 1/2h, on n’a parfois même pas de quoi acheter la farine du lendemain…

Vient le miracle, en chair et en os : les petites étudiantes qui surgissent coquettement attifées en collants, shorts et sandales de plastique moulées fluo. Louchant sans en avoir l’air, elles font le tour de la boutique, disparaissent subjuguées, réapparaissent pouffant de rires nerveux, commandent. Bouche pleine, elles repassent le mot à d’autres filles par portable, s’enhardissent à demander à Jianbin son n° de téléphone – il ne refuse jamais.

Le voilà déjà sur internet, de face, trois quart et profil, avec commentaires croustillants sur ses crêpes « à croquer», « fondant sous la langue» etc. A ce régime, il ne faut que quelques semai-nes pour que l’affaire démarre, franchissant à plein gaz le cap des 400 crêpes/jour (11h à 23h), au prix de 1,5 à 3,5¥ (pour la complète). Ce qui regarnit la caisse. Com-me la rue de la décadence va passer sous les bulls du même maire (jaloux qu’on ait foulé aux pieds le nom de lui choisi), Jianbin déménage rue Denggao (bien plus convenable) où il prend non un, mais deux sites. Il fait imprimer les enseignes, les cartes de visite au logo créé par ses pom-pom-girls : son propre nom, celui de l’affaire («la crêpe du beau gars») et une petite pub promettant en plus de la crêpe, quelques secondes du temps de l’amphitryon, sa signature et son sourire, le tout pour 2,5¥ – c’est donné, non ?

A mesure qu’il oublie le temps des vaches maigres, remonte un rêve d’adolescence : se faire mannequin, avec son 1m83 et sa taille de guêpe. Mais il le sait bien, il est 10 ans en retard, côté études et métier.

On ne réussit que par la persévérance, la course à l’expertise. Jianbin renonce, au nom du proverbe 织当访婢 (zhī dāng fǎng bì): « si c’est à ravauder, c’est pour la cousette». En Belgique, cela ce dit « le savetier ne va pas plus haut que le talon » : pour vivre heureux, il faut accepter sa propre condition !

 

 

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