Petit Peuple : Jiangyin : un tiroir-caisse à la place du coeur

A 48 ans Yang Juan, négociante en textiles est une femme qui a réussi : son flair et son goût du risque ont fait d’elle une des notables de Jiangyin (Jiangsu), sa ville natale.

Le soir après le travail, elle observe en son miroir son corps encore désirable, mais qui se fane. C’est alors qu’elle a l’intuition d’avoir raté quelque chose, dans cette existence étouffante où elle n’échange rien depuis longtemps avec son mari indolent, sa fille ado insolente. Alors, elle ressent l’appel lancinant des sens, la velléité de dynamiter cette vie mal réglée.

Par le plus grand des hasards l’occasion survint en mai 2008, au salon de coiffure. Sous les ciseaux du figaro, elle vit à côté d’elle un homme mince et bronzé, d’une nonchalance virile à couper le souffle. Cet homme- là, décida-t-elle en un souffle, il le lui fallait ! Durant les trois mots échangés, bien sûr, pas question, dès la 1ère fois, d’échanger les adresses – on est en Chine. Mais Jiangyin est petit et le cercle d’amis de Yang est à la mesure de sa fortune : elle n’eut aucun mal à retrouver la trace du jouvenceau,et fit une découverte jubilatoire: ce trentenaire tirait le diable par la queue, sans emploi fixe pour nourrir sa famille. Un peu d’argent arriverait à point, pour mettre du beurre dans les épinards. 

Quelques jours après, sur l’oreiller, elle lui dicta ses conditions. Un contrat fut même signé. A 2000¥/mois, il serait à sa disposition quand elle le sonnerait. Mais la réciproque à lui, lui serait interdite : il ne fallait pas confondre les rôles, et l’affaire ne devait pas s’ébruiter ! C’est ainsi que, comme dans la chanson de Polnareff, «pour un peu d’argent, elle se payait son corps », indifférente au fait qu’ « une autre ait son coeur »…

Zeng fut d’abord ravi de ce gagne-pain facile et plaisant. Mais il déchanta vite, le temps de réaliser qu’il n’était pas «amant», mais gigolo. Et qu’à ce maigre prix, il devait satisfaire cette mante religieuse, et en plus, mentir à sa femme, sur cette double vie non choisie !

Puis Yang Juan, non contente de violer l’homme, écorna le contrat : en guise des 2000¥ promis, elle se mit à lui glisser  après chaque rencontre 2 ou 3 billets de 100¥ pour tout potage, ce qui lui faisait la moitié de son dû. Puis elle partait satisfaite, le laissant au lit, à fumer son mégot et sa rage.    

Au bout de 4 mois, en août, la coupe fut pleine. Zeng alla à Suzhou voir l’ami Zhang Liang, tenancier d’une petite maison de jeu. Zhang lui avait dit qu’il s’y entendait à faire cracher les mauvais payeurs. Après réflexion, il suggéra ceci. Puisque la matrone refusait de casquer, il fallait l’enlever, à l’aide de Gao Hai Qiang, 3ème larron, et de quelques uns de ses croupiers.

Le matin du 7 septembre, Yang, appelée par Zeng, tomba dans le piège. Puis son mari reçut, par téléphone, la deman-de de rançon. Mais les apprentis-gangsters avaient eu bien tort de parier qu’il leur obéirait et n’appellerait pas la police ! Dès la 1ère minute, les limiers subodorèrent qu’ils avaient affaire à des amateurs : ils n’exigeaient que 50.000¥, somme ridiculement basse pour ce ty-pe de délit à haut risque. De plus, les instructions données à la famille, sentaient les nigauds à plein nez : au guichet de banque où ils étaient venus toucher leur magot, les inspecteurs n’eurent aucun mal à les alpaguer. Notre gigolo, lui, se fit serrer devant l’ATM, où il retirait son dû avec la carte de la captive. Les policiers constatèrent alors son honnêteté relative : il n’avait pris que les 9000¥ qu’il  estimait avoir gagnés à la sueur de son front, en quatre mois et demi.

Et voilà ce beau monde sous les verrous. Ils prendront entre 5 et 7 ans à l’ombre, selon le cas. Tandis que la richarde s’en tire indemne, et même sans remords. Yang n’a qu’un regret, s’être dévoilée à tout Jiangyin, dont elle est devenue la risée : la ville vibre de lazzis sur la rombière qui mégote pour la chair fraîche, et a cherché à aimer sans payer. Pour avoir cru qu’avec de l’argent, elle pouvait « harnacher même le diable à son moulin » (有钱能使鬼推磨, yǒu qián néng shǐ guǐ tuī mò), mais à force d’avarice, le diable s’est libéré, et c’est lui qui la fait danser, à présent !

 

 

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