Transports : Chantiers navals et armateurs chinois en eaux troubles

Dans le secteur de la construction navale, la crise a frappé en Chine plus dur qu’ailleurs : 1600 chantiers (dont 800 moyens ou grands) y emploient 1,4 million d’ingénieurs, soudeurs et monteurs. Jusqu’en 2008, les riches provinces chinoises subventionnaient leurs chantiers, leur permettant de guerroyer entre elles sur les marchés internationaux à prix cassés, causant un suréquipement des compagnies maritimes. De la sorte, d’innombrables chantiers à faible technicité pouvaient survivre. 

En 2016, les choses changent : l’endettement extrême des provinces et la volonté affichée par Pékin de traquer les « firmes zombies », permettent d’espérer une consolidation de la construction navale. 

Il était temps ! Cette politique du prix bas empêche depuis 40 ans (!) la Chine de rattraper la Corée du Sud sur les marchés mondiaux, en volume comme en chiffre d’affaires. Faute de savoir-faire et d’investissement en outils performants, près des 2/3 des chantiers chinois se cantonnent à la construction de minéraliers. En 2015 (janvier-novembre), ils engrangeaient 32,6 millions de TJB (tonnes de jauge brute) de commandes, 28,7% du marché mondial. Mais sur la même période, la Corée, experte en porte-conteneurs, gaziers, frigorifiques, transport de fruits ou d’automobiles, en empochait 38,8%. Le chiffre chinois pouvait faire illusion—mais en réalité, il accusait une chute de 62% par rapport à 2014. Et encore, un tel résultat n’avait pu être atteint, que moyennant des rabais jusqu’à 50% par rapport à 2014. 

Traditionnellement, plus de 90% des navires neufs chinois vont à l’export. En 2014, ils rapportaient 24 milliards de $ – beaucoup d’argent en apparence, mais en réalité, une chute libre comparé à 2011, où le score atteignait 44 milliards de $. Fin 2014, le tonnage neuf faisait 142 millions de TJB. Mais en 2016, il ne fera plus que 80 millions, annonçant ainsi chômage et faillites pour beaucoup… 

Dès maintenant, parmi les principaux acteurs, on voit 30 faillites, presque toutes dans le privé. Parmi celles-ci : Mingde, Daoda (Jiangxi), Zhuangqi et ZhengHe (Zheqiang). Depuis mars 2015, Rongsheng(Shandong), l’ex-n°1 est en redressement avec 20 milliards de ¥ de dettes – agonisant, mais sa faillite est différée par peur d’une choquante « casse » sociale. 

Le 5 janvier voit la mise en liquidation d’un premier chantier d’Etat, Wuzhou (Zhejiang), avec 534 millions de yuans d’actifs pour 911 millions de dettes. Invendues, ses dernières créations—un porte-conteneurs, deux barges, un remorqueur – seront vendues à l’encan. 

Pourquoi les chantiers d’Etat se portent-ils mieux que les privés ? Parce qu’ils ont meilleur accès au crédit, en banque et en bourse de Hong Kong ou New York. Ils peuvent aussi compter sur les commandes publiques, civiles et militaires. Deux grands chantiers, CSSC (China State Shipbuilding) et CSIC (China Shipbuilding Industry) ont de 2008 à 2011, levé 1,4 et 2,93 milliards de $ de fonds étrangers, et produit frégates ou corvettes pour la marine nationale, voire celles bengladeshie ou uruguayenne. 

Wuzhou n’est que le premier chantier public à capoter. Depuis septembre, ceux du Fujian au Jiangxi voient se suivre les manifestations de métallos réclamant leur chèque, et en décembre, Sainty Marine et Wuhu appelaient à l’aide, à l’agonie… 

Le secteur-frère des constructeurs, celui de la navigation va tout aussi mal, naviguant depuis des années à perte et en eaux troubles avec tarifs inférieurs aux coûts. En transport de vrac par exemple, l’indice mondial du « Baltic Dry », après avoir atteint son pic en 2008 à 11.993, retombait en décembre 2015 à 471. Des exportateurs vers l’Amérique affirment même qu’à condition de passer commande en Chine, ils obtiennent le transport gratuit – payé par l’usine.
Aussi début janvier selon les agences expertes, 60% des armateurs chinois de vrac sec (minerai, charbon…) risquent le dépôt de bilan, à la suite de celui du groupe public Winland Ocean.

Cette situation est une des raisons incitant la NDRC et la SASAC– les super-tutelles du management de l’économie et des consortia publics – à tenter d’imposer fusions et consolidations. Ainsi, CSCL doit se retirer du trafic des conteneurs : vendre ses terminaux, louer ses navires à l’ex-rival COSCON. Il en résulterait une méga flotte de 288 porte-conteneurs (dont 84 de plus de 8000 TEU), une capacité d’1,6 million de TEU, soit le quatrième armement mondial, voire le troisième, si 14 autres transporteurs venaient s’ajouter. Mais quand la fusion a été annoncée en bourse le 13 décembre, les actionnaires loin de l’entendre de cette oreille, l’ont saluée par des reventes massives, exprimant la certitude que cette course au gigantisme n’apportait nulle garantie de meilleur management. Du coup, après avoir perdu 900 millions de $ ou 30% de la valeur des titres, le Conseil d’Etat a retiré le projet. Le 9 janvier, une nouvelle mouture a été approuvée, supposée mieux prendre en compte la valeur actuelle des deux groupes. 

Entretemps, les ténors mondiaux de la navigation comme Evergreen ou CMA-CGM commandent à tout-va des navires géants à prix ultrabas, anticipant la reprise, une fois éliminées les surcapacités de compagnies mal gérées par leurs propriétaires publics. Signe que pour la marine marchande comme ailleurs, la roue tourne.

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