Petit Peuple : Changchun (Jilin) – La passion canine de Wang Yan (2ème partie)

Résumé 1ère partie : à l’hiver 2012, à Changchun (Jilin), Wang Yan, jeune entrepreneur qui avait fait fortune dans la sidérurgie, a perdu Beibei, son labrador, volé et sans doute vendu pour sa viande. Mais l’abattoir canin qu’il a visité lui jure n’avoir pas vu son protégé…

Les semaines suivantes, malade du spectacle de toutes ces agonies canines auquel il avait dû assister, Yan cessa de se rendre à son bureau.


Durant ce temps de deuil de son plus fidèle compagnon, le jeune homme sentit émerger en lui un sentiment nouveau et étranger : une critique fondamentale de son mode de vie passé, de ses goûts superficiels, comme l’apparition fulgurante d’une lacune morale. 

A prendre la vie avec désinvolture, et à courir après l’argent, il se sentait responsable de la mort de Beibei, qu’il n’avait pas su protéger. Face à un tel échec, que valait sa propre existence ?
Heureusement Wang Yan était d’une trempe énergique, peu enclin à se complaire dans la morosité. Après quelques jours de souffrance mêlée de réflexion, il dissipa d’un revers de main tous ces états d’âmes et repassa à l’action. L’objectif, désormais, était de venger Beibei. Sans plus tarder, il appela son avocat.

A neuf heures le lendemain, il était sur le site de l’abattoir, avec l’homme de loi. Reçu par les propriétaires, il leur faisait une offre qu’il leur était impossible de refuser. A dix heures tous étaient à la banque pour le transfert des titres : pour un million, l’abattoir changeait de mains, terrain, personnel et tables d’équarrissage. Les ex-patrons s’engageaient à ne pas rouvrir ailleurs en ville. A midi, le personnel ébahi apprenait son licenciement, moyennant indemnités. En échange d’une signature, les dernières enveloppes étaient distribuées par l’avocat, coupant ainsi court à toute velléité de poursuites. 

Yan dut dans la foulée trouver un refuge pour les cadors qui, déjà jappaient à qui mieux mieux dans l’abattoir désaffecté. D’un coup de téléphone, le jeune sidérurgiste confirma l’achat d’un atelier désert sur lequel il avait des vues. Il y fit transporter par camion les chiens survivants. A peine le portail ouvert, la majorité des bâtards jaillirent pour courir comme des fous à travers la cour, mais un nombre resta amorphe derrière les barreaux, ceux blessés ou traumatisés, manquant de confiance pour renouer un bail avec la vie. Au total, c’étaient presque 200 bêtes, en piteux état mais bien vivantes, dont Wang Yan reprenait les destinées…

Le lendemain à son retour, la troupe avait déjà entamé sa métamorphose. A peine une douzaine d’entre eux n’avait pas bougé, assoupis en convalescence ou grondant à la moindre approche. Tous les autres s’avancèrent vers le visiteur, battant de la queue et aboyant en guise de bienvenue, saluant instinctivement leur sauveur. 

Depuis ce jour, Yan a dédié son existence à l’accueil des chiens perdus sans collier. Dès réception, il les fait laver et soigner de leurs blessures, et par une diète appropriée, les tire progressivement de leur malnutrition.
Au refuge, il fit bâtir de nouvelles structures, un dispensaire vétérinaire, des cages de confinement. Par internet, il déploya son site de placement : le tout-Changchun cynophile vint choisir son animal de compagnie chez lui. Depuis, plus de 1000 canidés ont séjourné à son home, la plupart replacés – il lui en restait 215, fin novembre 2015. 

Mais il n’est de paradis éternel : cet investissement sans but lucratif a mis à mal sa fortune, et dilapidé trois millions de yuans qui constituaient toutes ses réserves. En vétérinaires et aliments, en équipements et en bakchichs, tout a été dépensé ! 

Non content de cesser de produire de l’acier, et de poursuivre les juteuses affaires comme il le faisait dans sa vie antérieure, Wang Yan depuis ce drame qui a changé sa vie, refuse de courir après la fortune, l’argent pour l’argent.
Sa nouvelle ferveur anticapitaliste est si vive que chaque fois qu’il place un protégé, il dédaigne fièrement tout dédommagement, mis-à-part parfois quelques brouettes de briques ou de ciment, quelques kilos d’abats de porc, de riz ou de carottes pour la pâtée de sa meute.

Son dénuement atteint désormais un tel degré qu’il a dû renoncer à faire vacciner les derniers arrivants contre la rage, au risque – incessant- de subir des morsures infectieuses. Heureusement pour lui, quand il s’est marié, en décembre, la belle-famille famille a réglé tous les frais « à crédit », dit-il, pour sauver la face. 

Constatant ses difficultés, ses rivaux et concurrents, dans Changchun, ont commencé à faire des gorges chaudes sur Wang Yan, pour s’être laissé désarçonner à la première difficulté, pour la simple perte d’un chien.
Mais de ces lazzis dans son dos, notre jeune homme se moque comme de sa première chemise, et d’abord parce que tous ses détracteurs vivent dans la peur de se faire épingler par la prochaine frappe anti-corruption, tandis que lui, appauvri pour la bonne cause, dort sur ses deux oreilles. 

En échange de ses comptes en banque bien étoffés, Yan a rencontré la gratitude sans limite de ces centaines de vies simples, reconnaissantes d’être sauvées et aimées. Avec sa nouvelle épouse, ce combat pour ses chiens et leur reconnaissance suffisent pour combler leurs vies. Qu’on le traite d’imbécile si l’on veut, mais d’imbécile heureux, comme on dit en chinois, «  痴人痴福 » (chī rén chī fú, aux idiots, le bonheur des idiots ) !

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