Politique : Li Keqiang – Un sourire contraint

Le 5 mars, lors de l’ouverture de l’ANP (Assemblée Nationale Populaire), ce qui frappe avant tout le  journaliste étranger dans la tribune de presse, est cette atmosphère  compassée qui règne sur l’hémicycle. Prononçant son rapport d’exercice du quinquennat (2013-2018), le 1er ministre Li Keqiang alignait records et succès, sous les salves de bravos disciplinés des 2980 élus qui (contrairement à l’an passé) ne se laissent plus surprendre à dormir ou à jouer sur leurs smartphones. L’ambiance devait être studieuse, souriante et rassurante. Certes Xi Jinping veut rester au pouvoir au-delà du mandat prescrit par la Constitution. L’ANP votera les 21 amendements pour bouleverser la Constitution de 1982, œuvre de Deng Xiaoping, qui prétendait s’opposer à toute tentative de retour du pouvoir solitaire. 

Li Keqiang a donc résolument placé son rapport sur un terrain moins  politique, concentré sur les avancées, et les projets économiques et sociétaux. Le nom de Xi Jinping n’apparaît que 12 fois, comme « noyau » du Parti ou auteur de sa pensée du « socialisme aux caractéristiques chinoises de la nouvelle ère ». Li garde un ton débonnaire, avare de menaces et d’avertissements à ceux qui enfreignent les directives ou les priorités de l’Etat : ceux qui enfreignent la propriété intellectuelle, et les séparatistes à Taiwan, Hong Kong ou au Xinjiang sont invités à changer d’attitude, dans l’harmonie heureuse de la nation.

Le crédit social (note individuelle qui fixera les droits du citoyen dès 2020) est évoqué en une courte phrase. La Commission nationale de Sécurité (agence surpuissante d’enquête et répression sur les cadres du Parti et le service public) est présentée comme une « initiative chinoise pacifique ». La Chine est une grande famille « où l’on vit en paix, en unité et en harmonie ». Aux milieux d’affaires, Li promet de bâtir « une relation, cordiale et propre » entre eux et le gouvernement.

Une volonté de consensus, entre un peuple, un Parti et un Etat, émane de l’allocution de Li. Mais on aurait tort de croire ce discours dénué de contenu : en filigrane, il affiche les chantiers législatifs de l’année. Profitant du recul de la protestation, le pouvoir veut avancer vite, sur tous types de réformes économiques et technologiques.

A 6,5%, le PIB restera au niveau de 2017. Il poursuit sa descente, loin des années 2000 à plus de 10%, pour rejoindre une croissance durable et écologique. Ce PIB doit aussi viser la « haute qualité » (terme cité 9 fois), pour moins de gâchis et de pollution.

En 2018, l’efficacité énergétique devra progresser de 3%. Le rôle du charbon baissera, suivant la tendance du quinquennat où il a baissé de 8% dans ce bilan énergétique, recul compensé par l’avancée de 6,3% des énergies renouvelables. En 2018, les petites mines et petites centrales continueront à fermer, économisant 150 millions de tonnes de charbon. De plus, 30 millions de tonnes de capacité sidérurgique devront disparaitre.

La croissance continuera à reposer d’abord sur l’intervention de l’Etat qui dépensera 21.000 milliards de ¥, donnant priorité (+10,9%) à l’Ouest et au Centre. L’inflation (conséquence des progrès des achats des ménages) augmentera de 3%. 11 millions d’emplois urbains devront être créés dans l’année pour absorber la masse des migrants. Le chômage urbain devra plafonner à 4,5% – incluant, c’est une première, les chômeurs irréguliers. Le déficit public baissera de 3% à 2,6% du PIB, à 2380 milliards de ¥.

L’autre moyen de soutenir le PIB sera la coupe des charges aux PME, de loin les premières créatrices d’emplois. Diverses taxes dont la TVA permettront d’alléger leur imposition de 800 milliards de ¥. Li annonce également une baisse des tarifs électriques, industriel et commercial (-10%), et de l’internet mobile (-30%), pour un allègement supplémentaire de 300 milliards de ¥.

En matière de monnaie, Li veut maintenir la guerre aux banques de l’ombre, aux levées illégales de fonds, surtout sur internet.

La lutte contre la pauvreté sera la plus haute priorité – avec un budget en hausse de 20%, avec l’objectif d’arracher dans l’année 10 millions de paysans à leur sort –dont 2,8 millions, en les déplaçant vers un habitat plus vivable. Si le régime réussit son pari, l’extrême pauvreté devrait être éradiquée en 2020.

L’environnement voit son budget augmenté de 18%. Ceci permettra un recul des émissions de dioxyde de soufre de 3%, et de celles de demande d’oxygène chimique de 2%. 6,67 millions d’hectares de forêts reverdiront, et les déchets étrangers devront trouver d’autres destinations que la Chine pour être recyclés.

La simplification des formalités administratives va de l’avant. Commençant à mieux maitriser les masses de données des entreprises, Pékin n’a plus besoin de soumettre n’importe quelle de leur activité à une licence ou un certificat. Il poursuit donc la fusion (entamée au tournant du siècle par Zhu Rongji, surnommé à l’époque « Mr-un- tampon ») de tous ces permis en une licence unique. C’est pour encourager la poursuite des créations d’entités d’affaires (usines, services) : depuis 2012, elles ont augmenté de 70%, atteignant un total de 98 millions.

La part du lion des investissements publics ira aux marchés liés aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle (IA). Le secteur se développe à toute vitesse, aboutissant à des applications diverses dans le contrôle social, la santé, le 3ème âge, l’éducation, le paiement mobile… Stimulées par des commandes publiques et les économies d’échelle, certaines de ces firmes sont devenues  des « licornes » au chiffre d’affaires en milliards de $ à travers la planète. De la sorte, la Chine vise la position  de n°1 mondial dans ces secteurs, espérant laisser les industries traditionnelles à l’Amérique, l’Europe ou le Japon.

 

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