Le Vent de la Chine Numéro 9 (2018)

du 12 au 18 mars 2018

Editorial : Une Chine en rose

Alors que se déroulent des événements politiques qui infléchiront sans doute la destinée du pays, cela n’a pas empêché la Chine de célébrer la journée mondiale des droits de la femme le 8 mars, en reconnaissance de « la moitié du Ciel ». Au Grand Palais du peuple, des discussions se poursuivaient au sein des deux Assemblées (两会 liǎnghuì), (Parlement et Conférence Consultative) autour de la condition féminine, de la natalité, du bien-être des enfants.

Trois propositions au moins étaient soumises aux édiles, sur le sujet très sensible du harcèlement sexuel : sur les réseaux sociaux, des mouvements  tels #WoYeShi (version chinoise de #MeToo), réclamaient une définition contraignante de ce délit. En fait, le pays dispose bien de deux lois ad hoc, sur la « protection des droits et intérêts de la femme » et la « protection des employées sur le lieu de travail ». Mais elles restent caduques, faute d’une définition juridique du harcèlement et d’une guidance aux juges sur les peines à prononcer. Des dizaines de millions de jeunes employées souhaitent voir la fin de l’impunité pour les propos indécents et attouchements, de la part des collègues ou patrons.

Côté natalité, il y a urgence : la Chine devient vieille avant d’être riche, et ne fait plus d’enfants. En 2016, de grands espoirs étaient placés dans l’assouplissement du planning familial à deux enfants : cette année-là, les naissances avaient augmenté de 7,15%. Mais dès 2017, le marasme reprenait, avec 630.000 naissances en moins. D’autres  mauvais signes s’accumulent, comme la baisse de fertilité, celle du nombre de mariage depuis 3 ans, et la hausse des divorces depuis 14 ans. Aussi Zhu Lieyu, avocat et élu du Guangdong, propose au Parlement deux actions publiques : porter le quota d’enfants par couple à trois, d’inclure les années de crèche et de maternelle dans l’éducation obligatoire, afin de pouvoir les subventionner, et que ces structures acceptent les petits en dessous de 3 ans. Ce qui supposerait, de la part de l’Etat un effort financier vu le déficit  en jardins d’enfants. A Shanghai, on ne compte que 14.000 places pour bébés de deux ans, pour 100.000 demandes.

Au moins pour certains jeunes enfants, le ciel s’éclaircit : ceux laissés au village seuls, ou à la garde de leurs grands-parents (dans 90% des cas), pendant que leurs parents travaillent en ville. Car depuis 2016, une crise de l’emploi urbain et la démolition forcée d’habitations illégales, contraint des millions de migrants à retourner chez eux. Ils étaient 4,8 millions en 2016 et 7 millions en 2017 à retourner au village et créer leur propre business (notamment dans le e-commerce) avec leurs petites économies. Bien sûr, pour leurs enfants, ce retour est positif : il met fin à leur traversée du désert affectif, qui les conduisait trop souvent à l’échec scolaire.

Un exemple de réussite est celui de Luo Zhaoliu, 34 ans, qui a quitté début 2017 son emploi d’ingénieur automobile à Shenzhen pour retourner au « pays » à Wan’an (Jiangxi), et relancer l’affaire de tofu fermenté qui constituait le gagne-pain de sa famille depuis plusieurs générations. Ayant pu emprunter 900.000 ¥ pour équiper son atelier artisanal, Luo a recruté 15 travailleurs entre 50 et 60 ans et s’est mis à produire à Wan’an des jarres de tofu parfumés à l’huile de thé et au vin jaune. Depuis Shenzhen, des mois à l’avance, Luo avait pris des contacts et préparé la distribution sur la plateforme  Taobao, sur  WeChat et via une chaîne de magasins. Le succès fut immédiat et en écoula 60.000 unités dans l’année sous la marque « Luo Doudou ». À présent, il envisage de d’agrandir l’atelier et de tripler le personnel. Il offre aussi à sa région l’exemple d’une chance saisie, de renaissance d’un village grâce à l’internet. Selon Alibaba, en 2017, on recensait à travers le pays 2118 villages et 242 communes, vivant de leur commerce sur Taobao, pour un montant total annuel de 120 milliards de yuans.


Politique : Li Keqiang – Un sourire contraint

Le 5 mars, lors de l’ouverture de l’ANP (Assemblée Nationale Populaire), ce qui frappe avant tout le  journaliste étranger dans la tribune de presse, est cette atmosphère  compassée qui règne sur l’hémicycle. Prononçant son rapport d’exercice du quinquennat (2013-2018), le 1er ministre Li Keqiang alignait records et succès, sous les salves de bravos disciplinés des 2980 élus qui (contrairement à l’an passé) ne se laissent plus surprendre à dormir ou à jouer sur leurs smartphones. L’ambiance devait être studieuse, souriante et rassurante. Certes Xi Jinping veut rester au pouvoir au-delà du mandat prescrit par la Constitution. L’ANP votera les 21 amendements pour bouleverser la Constitution de 1982, œuvre de Deng Xiaoping, qui prétendait s’opposer à toute tentative de retour du pouvoir solitaire. 

Li Keqiang a donc résolument placé son rapport sur un terrain moins  politique, concentré sur les avancées, et les projets économiques et sociétaux. Le nom de Xi Jinping n’apparaît que 12 fois, comme « noyau » du Parti ou auteur de sa pensée du « socialisme aux caractéristiques chinoises de la nouvelle ère ». Li garde un ton débonnaire, avare de menaces et d’avertissements à ceux qui enfreignent les directives ou les priorités de l’Etat : ceux qui enfreignent la propriété intellectuelle, et les séparatistes à Taiwan, Hong Kong ou au Xinjiang sont invités à changer d’attitude, dans l’harmonie heureuse de la nation.

Le crédit social (note individuelle qui fixera les droits du citoyen dès 2020) est évoqué en une courte phrase. La Commission nationale de Sécurité (agence surpuissante d’enquête et répression sur les cadres du Parti et le service public) est présentée comme une « initiative chinoise pacifique ». La Chine est une grande famille « où l’on vit en paix, en unité et en harmonie ». Aux milieux d’affaires, Li promet de bâtir « une relation, cordiale et propre » entre eux et le gouvernement.

Une volonté de consensus, entre un peuple, un Parti et un Etat, émane de l’allocution de Li. Mais on aurait tort de croire ce discours dénué de contenu : en filigrane, il affiche les chantiers législatifs de l’année. Profitant du recul de la protestation, le pouvoir veut avancer vite, sur tous types de réformes économiques et technologiques.

A 6,5%, le PIB restera au niveau de 2017. Il poursuit sa descente, loin des années 2000 à plus de 10%, pour rejoindre une croissance durable et écologique. Ce PIB doit aussi viser la « haute qualité » (terme cité 9 fois), pour moins de gâchis et de pollution.

En 2018, l’efficacité énergétique devra progresser de 3%. Le rôle du charbon baissera, suivant la tendance du quinquennat où il a baissé de 8% dans ce bilan énergétique, recul compensé par l’avancée de 6,3% des énergies renouvelables. En 2018, les petites mines et petites centrales continueront à fermer, économisant 150 millions de tonnes de charbon. De plus, 30 millions de tonnes de capacité sidérurgique devront disparaitre.

La croissance continuera à reposer d’abord sur l’intervention de l’Etat qui dépensera 21.000 milliards de ¥, donnant priorité (+10,9%) à l’Ouest et au Centre. L’inflation (conséquence des progrès des achats des ménages) augmentera de 3%. 11 millions d’emplois urbains devront être créés dans l’année pour absorber la masse des migrants. Le chômage urbain devra plafonner à 4,5% – incluant, c’est une première, les chômeurs irréguliers. Le déficit public baissera de 3% à 2,6% du PIB, à 2380 milliards de ¥.

L’autre moyen de soutenir le PIB sera la coupe des charges aux PME, de loin les premières créatrices d’emplois. Diverses taxes dont la TVA permettront d’alléger leur imposition de 800 milliards de ¥. Li annonce également une baisse des tarifs électriques, industriel et commercial (-10%), et de l’internet mobile (-30%), pour un allègement supplémentaire de 300 milliards de ¥.

En matière de monnaie, Li veut maintenir la guerre aux banques de l’ombre, aux levées illégales de fonds, surtout sur internet.

La lutte contre la pauvreté sera la plus haute priorité – avec un budget en hausse de 20%, avec l’objectif d’arracher dans l’année 10 millions de paysans à leur sort –dont 2,8 millions, en les déplaçant vers un habitat plus vivable. Si le régime réussit son pari, l’extrême pauvreté devrait être éradiquée en 2020.

L’environnement voit son budget augmenté de 18%. Ceci permettra un recul des émissions de dioxyde de soufre de 3%, et de celles de demande d’oxygène chimique de 2%. 6,67 millions d’hectares de forêts reverdiront, et les déchets étrangers devront trouver d’autres destinations que la Chine pour être recyclés.

La simplification des formalités administratives va de l’avant. Commençant à mieux maitriser les masses de données des entreprises, Pékin n’a plus besoin de soumettre n’importe quelle de leur activité à une licence ou un certificat. Il poursuit donc la fusion (entamée au tournant du siècle par Zhu Rongji, surnommé à l’époque « Mr-un- tampon ») de tous ces permis en une licence unique. C’est pour encourager la poursuite des créations d’entités d’affaires (usines, services) : depuis 2012, elles ont augmenté de 70%, atteignant un total de 98 millions.

La part du lion des investissements publics ira aux marchés liés aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle (IA). Le secteur se développe à toute vitesse, aboutissant à des applications diverses dans le contrôle social, la santé, le 3ème âge, l’éducation, le paiement mobile… Stimulées par des commandes publiques et les économies d’échelle, certaines de ces firmes sont devenues  des « licornes » au chiffre d’affaires en milliards de $ à travers la planète. De la sorte, la Chine vise la position  de n°1 mondial dans ces secteurs, espérant laisser les industries traditionnelles à l’Amérique, l’Europe ou le Japon.

 


Politique : Dans les coulisses des deux Assemblées

A Pékin, à la CCPPC (Conférence Consultative) et l’ANP (Assemblée Nationale) siègent 5000 édiles pour 15 jours. C’est cinq jours de plus que d’ordinaire, en raison du débat sur les amendements à la Constitution. Outre ce sujet crucial, tout est abordé, permettant de fréquentes envolées lyriques et –parfois– un reflet des soucis de la population.

Les édiles : issus d’un processus de recrutement non transparent, plus de 50% des membres de la CCPPC ont été renouvelés, et proviennent surtout du secteur de l’internet, de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies ou de la robotique. Parmi les nouveaux ténors, dans les deux assemblées, se distinguent Robin Li (moteur de recherche—Baidu), Lei Jun (électronique—Xiaomi) Liu Qiangdong (e-commerce—JD.com) ou  Liu Qingfeng (reconnaissance vocale—iFlyTek)….

En terme de richesse privée, les 100 édiles les plus fortunés des deux Assemblées dépassent 617 milliards de $, et leur pactole a progressé d’un tiers en 12 mois, bien plus vite que le PIB  de +7,1%. La palme revenant à Pony Ma Huateng, PDG de Tencent, disposant de 46 milliards de $.

En terme d’égalité des genres, l’ANP compte 24,9% de femmes (+1,5%)  – c’est mieux que la CCPPC qui n’en compte que 20%. Il reste encore du chemin à parcourir avant d’atteindre les 45% du Parlement suédois, ou les 39% du Palais Bourbon (France).

La suppression de la limite à 10 ans du mandat du Président est la question centrale. Li Keqiang assure que la proposition a été formulée sur demande « unanime » de la base. 2600 cadres provinciaux et des 8 mini-partis non communistes l’auraient plébiscité, selon Wang Chen, secrétaire général de la session. Zhang Donghe, édile du Hebei, renchérit : « quand on trouve un bon leader, on se le garde, pour toujours ». Un porte-parole ajoute que ce rallongement sine die du mandat serait devenu nécessaire « pour protéger l’autorité du Parti ». Et pourtant, avec infinie prudence, plusieurs politologues en fin de carrière, suggèrent que de telles déclarations explicitent l’existence de voix dissonantes que le Parti se sent obligé, par son tir de barrage, d’étouffer dans l’œuf.

Tibet : C’est la première voix un peu moins apprêtée, et elle est tibétaine. Guowa Jiamaoji, du Qinghai ose reprocher au leadership local son soupçon systématique de séparatisme envers tout Tibétain. Une telle discrimination est nuisible à l’unité nationale. A Pékin, les Tibétains se voient refoulés des hôtels. Sur le plateau tibétain, leur réseau téléphonique est bridé en 2G, et non au 4G pratiqué ailleurs. De plus, les cadres envoyés au Tibet, ne restent que 3-4 ans, et ne parlent pas la langue : « il faudrait nommer plus de cadres locaux : nos éleveurs et fermiers écouteraient plus les cadres, et moins les moines, si on leur parlait en leur langue » !

Budget : La diplomatie sourit : elle reçoit 60 milliards de yuans (19,45 milliards de $) – un budget en hausse 15,6% – afin de lui permettre d’accompagner l’initiative BRI (Belt & Road, «  Ceinture et Route »). Pour lancer en Afrique ou en Asie les routes, barrages ou zones industrielles projetés, il ne suffira pas d’envoyer les rails, les locomotives ou des sacs de ciment. Des diplomates, linguistes, juristes, ingénieurs, seront nécessaires. Il faudra aussi des hommes pour négocier un droit nouveau, des normes nouvelles. Dans cette perspective, Pékin accueillera le Forum de coopération Chine-Afrique en septembre, et Shanghai organisera la 1ère Foire mondiale BRI en novembre.

La diplomatie sourit, mais la défense rit jaune, voyant son budget en-dessous de la barre des 10% depuis trois ans. Pour 2018, il sera de 8,1%. Les 1100 milliards de yuans alloués ne représentent que 25% du budget de l’US Army. Or, rappelle l’analyste Zhou Chenming, sa capacité à financer sa modernisation a été freinée par le devoir de dédommager 300.000 soldats limogés depuis 2015.

Accès au marché : Ning Jizhe, n°2 à la NDRC le précise, l’Etat parachève un plan pour relever « fortement » les barrières à l’investissement étranger dans les services financiers marchés à terme, bourse, fonds de placement, pour mettre étrangers et Chinois sur pied d’égalité. C’est officiellement en réaction à un déclin  des investissements directs étrangers (IDE) de 9,2% en décembre. Implicitement, c’est bien sûr aussi dans l’espoir de prévenir la guerre commerciale avec les Etats- Unis, conflit auquel l’Europe se joindrait rapidement.

Chen Min’er, patron de Chongqing trouve que sa ville n’en finit pas de payer la note d’une gestion calamiteuse jusqu’en 2012 par Bo Xilai. La corruption de Bo et celle de son successeur Sun Zhengcai « n’étaient pas ordinaires mais politiques » et tous deux étaient un « danger majeur, caché » pour le Parti. Chen Min’er fait ainsi une nouvelle allusion à deux tentatives de coup d’Etat qui auraient été instiguées en 2012 et 2017. Heureusement, depuis que Chen est à la barre et grâce au « leadership correct du Secrétaire général Xi Jinping », tout est rentré dans l’ordre, Chongqing va de l’avant et l’avenir est assuré.

Spatial : Yang Liwei, N°2 technique du programme spatial, annonce l’accélération des fréquences des missions de cabines spatiales habitées, à deux par an. Le recrutement de spationautes, ingénieurs, monteurs ou pilotes, est imminent pour bâtir et faire fonctionner la future station permanente chinoise de 60 tonnes, sur orbite dès 2022. Le programme spatial chinois dispose depuis peu d’un nouvel outil : un drone, testé en janvier, mis sur orbite à 5 fois la vitesse du son avant de retourner à bon port à sa base de Jiuquan (Mongolie Intérieure).


Société : Des amazones en rupture de ban

La femme tient peut-être la moitié du ciel comme disait Mao, mais sa perception évolue selon les âges et les genres. C’est ce qui ressort d’un sondage mené à la veille de la journée internationale des droits de la  Femme (8 mars) par L’Oréal et LinkedIn—entreprises dont la clientèle féminine est un fer de lance pour leur succès en Chine.

58% des jeunes femmes de 22 ans (nées après 1995) rêvent « de carrière et d’autonomie financière », 19% se veulent « indépendantes et cool, non inféodées aux attentes des autres ». A l’opposé, seules 23% acceptent encore de se conformer à l’image d’Epinal de « mère aimante et épouse dévouée ».

Or, si l’on pose les mêmes questions à leurs aînées de 37 ans (nées après 1980), elles ne sont que 6% à se voir « indépendantes », et seulement 4,7% pour celles de 47 ans (nées après 1970). Entre les jeunes et leurs aînées, une rupture s’est donc  produite.

Les jeunes femmes revendiquent l’équilibre entre travail et famille : 50% ne sont plus prêtes à sacrifier leur carrière au futur enfant. Leur rapport à l’argent évolue aussi : elles ne sont plus que 60% à exiger que leurs époux aient un salaire plus élevé qu’elles, contre 80% chez celles de 37 et 47 ans.

Mais ce n’est pas tout : les garçons de 22 ans sentent le vent tourner et s’y préparent : 59% sont déjà prêts à donner les biberons et à assumer leur part des corvées du ménage.

Dans la tranche d’âge des 22 ans, filles et garçons voient leur vision diverger à propos de l’emploi. Pour les filles, il est outil libératoire, donc sacré : près de 50% sont prêtes à prendre sur leurs loisirs pour rendre un travail bien fait. Mais chez les garçons, la proportion tombe à 33%.

Enfin, garçons et filles partagent un rêve commun : créer une entreprise (80% des garçons, 73% des filles), dans la restauration, la santé, l’éducation ou les nouvelles technologies.

Ainsi se dessinent deux tendances, dans cette jeunesse de 2018. La femme revendique le pouvoir sur sa propre destinée. L’homme doit faire son choix, entre une exigence d’une femme au foyer, et l’acceptation d’une femme nouvelle, partenaire de vie et de travail. Réaliste, il est prêt à s’adapter – sentant bien que telle sera la condition d’une vie de couple. Cela suffira-t-il à enrayer la spirale des divorces, s’élevant à 4,2 millions en 2016 (+8,3%) ?  L’avenir le dira.


Diplomatie : Chine-USA – une relation entre gouffre et miracle

Entre Chine et USA, selon l’analyste américain Scott Kennedy, « les risques d’escalade sont forts, chaque bord prenant l’autre pour un tigre de papier ». Les signaux d’alarme se multiplient. Après avoir taxé les panneaux solaires chinois de 30% le 22 janvier, Washington vient d’imposer le 1er mars une taxe de 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium. Quoique peu concernée (elle ne détient que 2,9% du marché sidérurgique américain), la Chine promet déjà de se défendre « par tous les moyens appropriés » – question de face.

Les semaines à venir, Washington menace de brandir d’autres sanctions (tarifs douaniers, interdiction d’investissement) contre la Chine, pour vol et piratage de propriété intellectuelle et non-réciprocité d’accès sur son marché financier. Les analystes décryptent que Donald Trump, ayant perdu patience, ne rediscutera qu’une fois des concessions matérielles mises sur la table par Pékin. Pékin a déjà lancé ses contre-mesures, taxant le sorgho américain (marché d’un milliard de $), et préparant une taxe au soja US– marché à 12,4 milliards de $.

Pourtant, la Chine fait ce qu’elle peut pour éviter le clash. En  mission spéciale à Washington début mars, Liu He, bras droit de Xi, n’a pas pu être reçu par Trump, ni rencontrer un cadre expert du dossier. Pour cause : le Bureau aux Affaires chinoises, au Département du Trésor, est fermé depuis le départ de B. Obama. Manque aussi Jared Kushner le gendre de Trump, interdit d’accès aux dossiers classifiés par le FBI. Et suite à l’imposition des taxes sur l’acier, Garry Cohn, seul modéré dans l’équipe de Trump, s’est retiré. Il n’y a donc plus à la Maison Blanche que des « faucons » tel P. Navarro, Secrétaire d’Etat au Commerce. 

Cerise sur le gâteau de cette hostilité américaine, le porte-avions USS Carl Vinson mouillait les 5-9 mars à Danang – une première depuis la fin de la guerre du Vietnam – pour lui afficher son soutien, comme pour enrayer la progression chinoise en mer de Chine du Sud.

Dans ce contexte, arrive comme un miracle, LA bonne nouvelle : la Corée du Nord se dit prête à la paix, et D. Trump accepte l’invitation de Kim Jong-un à discuter « avant mai », à Séoul sans doute, d’un abandon de la bombe nord-coréenne, contre des garanties américaines pour la sécurité de son petit régime stalinien. C’est une victoire pour Trump ! Or la Chine y est pour quelque chose, et Trump le reconnait. Pour la Chine et les Etats-Unis, s’ouvre donc une fenêtre d’opportunités pour assainir et pacifier le contentieux commercial –à condition d’agir sans perdre de temps.

 


Petit Peuple : Chongqing – Wang Chengzhou, la loterie de la vie (1ère Partie)

Au village de Yiwu, près de Suining (Sichuan), naquit en 1969 le  troisième rejeton d’une famille pauvre, dont le père de santé fragile ne pouvait cultiver qu’un lopin de deux « mu ». Enfin un garçon, après deux filles : on le nomma Chengzhou, ou « Réussit-tout ». Suite à quoi Feng Jiafen, sa mère lui céda tous ses caprices et se saigna aux 4 veines pour payer son école—seul enfant du foyer à avoir ce privilège.

À sept ans, Wang Chengzhou vit décéder son père, des suites de sa maladie : Feng se retrouva à 34 ans seule, avec ses cinq enfants à charge – en comptant les petits derniers… 

Chengzhou vécut donc son adolescence en liberté sauvage, exempté des corvées du ménage que sa mère et ses sœurs faisaient à sa place. Passant bien trop de temps à traîner avec d’autres garnements, il ne brillait pas en classe : à 17 ans, il obtint son diplôme de fin d’étude « ric-rac », ce qui permit à Feng de lui obtenir un emploi à l’abattoir local.

C’était une tâche franchement désagréable : chaque matin tôt, il se retrouvait avec deux autres apprentis, avec 30 cochons à abattre. Heureusement de temps à autres, il pouvait s’en dispenser pour accompagner le camionneur à Chengdu, en livraison des carcasses: en faisant vite, il leur restait une ou deux heu-res pour s’amuser en ville, avant de rejoindre l’abattoir à la nuit, et remettre au chef qui attendait l’argent de la livraison.

Bientôt, Chengzhou en eut assez. Assommer, égorger les bêtes ne lui faisait ni chaud ni froid, mais il ne supportait plus l’odeur douçâtre, répugnante du sang. Un soir, de retour de Chengdu, il rendit au patron une enveloppe qu’il venait d’amputer de 100¥. Démasqué, il fut congédié, quoique jurant de son innocence, et gardant l’argent. C’était fait exprès : il avait assez à présent, pour prendre le bus pour la côte, Shanghai, goûter les lumières de la ville, son rêve de toujours.

Sur place dans la « tête du dragon », il décrocha d’abord un job de docker. Puis un autre, sur un chantier, monteur de poutrelles dans les tours en construction. La paie qui était bonne, lui faisait supporter en silence les insultes et lazzis du contremaître méchant et hautain.

Il resta 6 mois, le temps de prendre ses marques. Parfois, il voyait débouler le client, venu inspecter son bâtiment sortant de terre : pas sot, il trouvait toujours l’occasion de bavarder avec lui, de l’intéresser par son bagout culotté, comme s’il avait des années de métier. 

En 1988, il recruta quelques copains au village, leur promettant un petit salaire. Il commença à décrocher des chantiers à son compte. A Yiwu, il faisait la fierté de sa mère.

Chaque année, Chengzhou lui ramenait une promise – mais jamais la même – et pour cause : chaque fois que la fille lui parlait de mariage, il faisait la sourde oreille, finissant assez rapidement par lui faire perdre tout espoir : elle partait… En 1996, à Chongqing, Lihua, petite ouvrière aux traits de musaraigne, s’accrocha en dépit de tout. C’aurait pu être pour Chengzhou sa chance de passer sa gour-me, de trouver l’amour éternel « stable comme la mer, ferme comme la montagne » (海誓山盟, hǎi shì shān méng). D’autant qu’en 1999, pour ses 30 ans, elle lui donna une fillette qui devint instantanément le soleil de sa vie, lui insufflant une bouffée de reconnaissance envers Lihua. Seulement voilà, il restait congénitalement immature. En 2002, de retour au village chez sa mère avec la petite de 3 ans, il l’oublia s’amusant seule près de la mare aux canards—pour la retrouver noyée une heure plus tard…

Son monde alors s’écroula, et sa concubine perdit alors à ses yeux. Prudente, elle se gardait de lui faire des reproches, s’efforçant même de ne pleurer qu’à la dérobée. Mais bientôt, il ne supporta plus ce regard lourd de tristesse : il plaqua tout, sa femme, sa PME, pour aller diriger un chantier à Xi’an (Shaanxi). Pour affronter ses nuits blanches et amères, il buvait des bières, du baijiu, des années durant…

Ce qui devait arriver, arriva : en 2008, Chengzhou entre deux vins chuta d’un échafaudage, se brisant la cuisse. Etant inapte pour le service, il fut congédié, c’était la règle—même si son patron, bon prince, paya l’hôpital avec en sus, 50.000¥ de compensation. Il retourna donc chez Feng Jiafen, pour une convalescence sans s’arracher à son vice éthylique. Un soir, sa mère le retrouva ivre mort dans la rue et dut demander à un voisin de le charger sur son tricycle. Le lendemain, elle sermonna son fils : « tu as 40 ans—reprends-toi en main, vite ! » Il la rassura d’un bobard: «t’inquiète,  j’ai une piste – dans le Yunnan » !

Le lendemain, baluchon à l’épau-le, il prenait le train non pour le Yunnan (où aucune offre ne l’attendait bien sûr—il n’avait menti que pour sauver la face) mais pour Chongqing, la métropole tentaculaire où il avait plus de chances de trouver du travail, malgré son aspect minable et l’absence de recommandation. Mais il ne mit pas les meilleures chances de son côté, en passant sa journée sur la rive du Yangtzé à siroter sa bouteille de bai-jiu, au lieu de chercher du boulot…

Le soir venu, le cerveau embrumé,  il titubait sous la bruine. Il fallait s’abriter, passer la nuit au sec, mais il n’avait pas un sou vaillant… C’est alors que sous un échangeur enjambant le fleuve, il découvrit des marches descendant vers l’eau et dans la falaise de glai-se, un genre de terrasse vaguement meublé—un lit, des planches, une table de rebut : ce serait son domicile, désormais !

Chengzhou semble avoir sombré dans la déchéance mais contre toute attente, les projecteurs de la presse se braqueront sur lui. Comment et pourquoi ? Vous le saurez la semaine prochaine.


Rendez-vous : Semaine du 12 au 18 mars 2018
Semaine du 12 au 18 mars 2018

13-15 mars, Shanghai : SPINEXPO Shanghai, Salon international des fibres, fils, tricots et tissus tricotés

14-16 mars, Shanghai : CHIC China, Salon international de la mode, de l’habillement et des accessoires

14-16 mars, Shanghai : ELECTRONICA China, Salon international des composants électroniques, des technologies d’assemblage et de production

14-16 mars, Shanghai : INTERTEXTILE China, Salon international des tissus d’habillement

14-16 mars, Shanghai : IWF China, Salon international de la santé et du bien-être

14-16 mars, Shanghai : LASER PHOTONICS China, Salon international de la Photonique d’Asie

14-16 mars, Shanghai : DESIGN China, Salon international de la décoration et de l’architecture intérieure

14-16 mars, Shanghai : SEMICON China, Salon international de l’équipement et des matériaux pour les semi-conducteurs

15-18 mars, Tianjin :  CIRE, Salon international de la robotique industrielle

15-18 mars, Tianjin :  CIEX, Salon international de l’automation, de la robotique et de la machine-outil