Petit Peuple : Canton—Le chien volant de Mei Yunqi (2ème partie)

Résumé 1ère Partie : ouvrière à Yagang (Canton), Mei Yunqi est restée tétraplégique d’un chien reçu sur la tête du haut d’un immeuble – le chien s’est sauvé…

Averti du drame, le commissaire de Yagang y prêta oreille distraite. Il n’y avait pas eu mort de femme, et puis ses hommes étaient déjà débordés, avec dans la semaine 5 cas d’agressions. Sans se l’avouer, il avait du mal à prendre l’affaire au sérieux – un chien tombé du ciel, pensez donc ! C’était comme si le destin avait voulu que Yunqi soit atteinte… Contre la fatalité, inutile de se dresser ! Aussi l’enquête avait été bâclée. Deux inspecteurs s’étaient présentés sur le site. Ils avaient noté sans conviction trois vagues témoignages, puis étaient repartis faire leur rapport, aussitôt classé.

Le fils de Yunqi cependant bouillait d’une colère froide, frappé au cœur par cette catastrophe qui ruinait son plan de mariage pour s’arracher à la misère. Souvent, il retournait au poste de police, demander si l’on avait trouvé trace du canidé. Son collier ou sa puce électronique, pourrait permettre de remonter jusqu’à son maître.

Pendant ce temps, les soins à Yunqi apportaient chaque jour de nouvelles factures : hôtel, massage toutes les deux heures, consultations hebdomadaires.

Au bout d’une semaine, comprenant que la police se désintéressait et que les pistes refroidissaient, père et fils reprirent l’enquête. Peu éduqués, ils posaient des questions gauches et manquaient d’instinct pour deviner quand on leur mentait. Il faut bien admettre que la chute ayant duré trois secondes à peine, cela aurait été un hasard extraordinaire qu’un travailleur ou un locataire ait été témoin de la scène. Aussi nos novices étaient condamnés à faire chou blanc. 

En août 2018, quatre mois après les faits, le mari et le fils de Mei Yunqi avaient dépensé 100.000 yuans en soins, sans progrès. Désespérés, ils se tournèrent vers le tribunal en quête d’aide. Miraculeusement, un avocat accepta de prendre leur cas pro bono, sans honoraires : cette affaire hors norme, s’il pouvait la résoudre, lui procurerait du renom. Dès la première audience, l’homme de loi parvint à obtenir du juge une injonction de se présenter à « tout témoin en possession d’informations sur l’accident canin de Mme Mei Yunqi ». Mais c’était prêcher dans le désert : le propriétaire du cador savait pertinemment ce qu’il devrait payer s’il se faisait repérer. Il avait beau jeu d’attendre au chaud, dans l’ombre.

Une seconde audience en novembre vit la police témoigner – elle avait rouvert l’enquête, à seule fin d’éviter de se mettre en tort face au prétoire. Sous serment, le commissaire présenta l’hypothèse la plus probable, un chien en maraude qui se serait faufilé par l’escalier de service jusqu’au toit : déboulant sur un chantier comme un chien dans un jeu de quilles, il aurait été attrapé par les manœuvres qui s’en seraient débarrassés en le précipitant dans le vide, par jeu cruel, ou bien pour éliminer l’intrus qui mettait à risque le coulage du béton. Interrogés séparément, maçons, soudeurs et charpentiers avaient tous fait la même réponse—rien vu, rien entendu.

A ce stade, les inspecteurs, changeant de scénario, se demandèrent si tous comptes faits, le chien n’était pas tombé d’un appartement. On pouvait imaginer un animal de compagnie aux maîtres partis travailler, s’ennuyant « à mort », qui aurait tenté ainsi une désastreuse escapade par la fenêtre pour échapper à son spleen canin. Hélas, le propriétaire de l’immeuble jura ses grands dieux qu’aucun chien n’habitait à l’étage. S’il y en avait eu, il eût été en infraction, non déclaré et ne payant pas la taxe municipale. Sur le fond, le proprio déclinait toute responsabilité : il n’était que loueur, et n’avait aucune emprise sur la façon dont choisissait de vivre ses locataires !

Au 2ème étage, le patron de l’atelier électronique déclara n’avoir jamais autorisé en neuf ans d’exercice, l’entrée d’animaux : son enceinte hors poussière—c’était obligatoire dans son métier. Sur ces belles paroles, le juge conclut l’audience par une excuse vaguement hypocrite : il ne pouvait rien faire, faute de piste, de preuve, ou de coupable !

En décembre, la famille de Yunqi avait épuisé tout son patrimoine, 300.000 yuans en pure perte. Ruinés, le père et le fils étaient déprimés par l’égoïsme flagrant autour d’eux. Durant le procès, les clins d’œil des policiers, les lourds silences des résidents avaient à suffisance suggéré qu’ils avaient des choses à cacher. Il y avait conspiration du silence, et presque solidarité contre les victimes, coupables de pauvreté et d’incapacité à faire valoir leurs droits !

Alors en désespoir de cause, sur suggestion de l’avocat, père et fils osèrent une première dans l’histoire de la justice chinoise : ils déposèrent plainte contre un « X » collectif regroupant tous les occupants, habitants et travailleurs, présents dans l’immeuble ce jour-là.

Ce nouveau procès a déjà connu trois audiences, la dernière, en novembre 2018. Par son aspect insolite, la démarche a eu au moins le mérite de réveiller la presse. Une campagne sur internet a été lancée pour faire appel aux souvenirs, aux délations pour retrouver chien et maître. Le commissaire a reçu des centaines de nouveaux témoignages, tous en cours d’analyse : un coup de théâtre reste possible.

Hélas, en l’attendant, père et fils, nos héros sont condamnés à continuer à « manger le concombre amer » (吃苦瓜, chī kǔguā ), devant travailler dur pour payer des soins qui ne servent qu’à maintenir la mère en vie précaire, sans même pouvoir la ramener au village. L’espoir d’un terme à la déveine de Mei Yunqi reste donc mince. Mais avec la relance de son affaire sur la toile, sait-on jamais ? Dès qu’on en saura plus, on y reviendra, promis !

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1 Commentaire
  1. severy

    Je me demande si les autorités auraient fait autant de foin s’il s’était agi de la chute « accidentelle » d’un opposant au régime… Il n’en serait sorti tout au plus qu’un entrefilet dans la rubrique des chiens écrasés.

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