Le Vent de la Chine Numéro 8 (2019)

du 25 février au 3 mars 2019

Editorial : L’heure de vérité

La chronique publiée à Hong Kong le 19 février, au South China Morning Post, interpelle. L’économiste David Brown affirme qu’il est temps pour Pékin de cesser de prétendre que tout va bien et qu’une stabilisation de l’économie serait pour demain, sans avoir recours à une intervention radicale. Il accuse radicalement l’administration chinoise de contrevérités, et donne pour exemple le dernier indice de confiance de l’Office National Statistique, 113 points, chiffre s’approchant du « plus haut niveau depuis 25 ans ». Mais, objecte Brown, « les enquêtes indépendantes sur le même sujet obtiennent des résultats bien plus faibles, reflétant les soucis sur la guerre commerciale, l’insécurité de l’emploi et l’affaiblissement du pouvoir d’achat ». Le PIB peut-il réaliser l’objectif de croissance de 6% en 2019 ? La presse du régime l’assure, mais l’auteur en doute : si les projections des experts de l’Etat, qui demeurent secrètes, aboutissent à 4-5%, « il faudra sonner l’alarme ». Et si elles donnent 2-3%, il faudra « presser le bouton de panique ». Pékin, conclut Brown, peut encore redresser la barre, mais seulement en recourant aux bonnes mesures, et en admettant avec « honnêteté brutale » la gravité de la crise. Par sa franchise, un tel message est rare, surtout provenant du quotidien sous la houlette du groupe chinois Alibaba. Il reflète l’inquiétude des milieux d’affaires privés, voire ceux proches du sommet de l’Etat.
Que l’économie chinoise perde sa vapeur, s’illustre dans le secteur automobile : par rapport aux 12 derniers mois, il régressait en janvier de 17,7%, après avoir subi une contraction de 15,8% le mois précédent. L’acheteur appauvri, sevré de crédit (notamment suite à la fermeture de plateformes P2P) garde ses économies pour des temps meilleurs. Et les industriels, comprenant que l’âge d’or de l’automobile traditionnelle s’achève, se cherchent un nouveau modèle commercial.
Le cas du groupe français PSA en Chine est intéressant. Après son heure de gloire en 2014, où il vendait 740.000 voitures et portait sa capacité à 1,2 million d’unités, il n’a plus écoulé en 2018 que 262.600 véhicules en 2018 (–33%). Son état-major avait conscience que la tendance était inéluctable, mais peut-être a-t-il été pris de court. Depuis des années, il prépare son plan de transformation digitale en Chine, dans les services autour de l’automobile. Avec le partenaire Dongfeng, Banque PSA Finance offre aux acheteurs le crédit que les banques classiques ne proposent plus. Dans le Hubei, une de ses  principales bases, PSA lance sa filiale Free2move d’autopartage, soutenue par Fengbiao, Dongfeng et Wuhan Electric Demonstration. Avec Jian Xin et UAP Auto Union, PSA entre sur le marché de la pièce de rechange. Puis le 18 février, en collaboration avec Fengche, il se fait distributeur de voitures d’occasion… L’effort est conséquent. Mais au fond, n’est-ce pas à cela que sert une crise économique ? À écarter des produits ou services devenus moins pertinents auprès du consommateur, suite à l’arrivée d’autres solutions moins onéreuses et polluantes.

Enfin, le vice–Premier Liu He, en négociations à Washington, serait sur le point de boucler un compromis avec les Etats-Unis sur le litige qui oppose les deux pays. Pour permettre de le finaliser, Donald Trump annonçait le 25 février le recul de la date butoir du 1er mars, où 200 milliards de $ de produits chinois seraient taxés à 25%. L’accord comprendrait une commande chinoise de 1200 milliards de $ de produits américains sur six ans, dont 200 milliards de semi-conducteurs. Mais pour le programme de montée en puissance du semi-conducteur chinois, cela signifiera un grand danger. Les immenses investissements sectoriels des années passées n’ont pas permis de progrès flagrants dans le secteur. Le pays demeure dépendant des fournisseurs américains et taïwanais pour les technologies les plus avancées, et accuse un retard de 5 à 15 ans sur les Etats-Unis.


Investissements : L’Europe, Huawei… et les autres !

Le 14 février, le Parlement Européen adopte après deux ans de tractations un règlement de surveillance renforcée des investissements étrangers. Présenté comme neutre et non-discriminatoire, ce cadre veut protéger les pépites technologiques des Etats membres contre les rachats extérieurs, notamment de la Chine, précise l’élu Franck Proust.

L’autre débat qui fait rage en Europe, concerne le sort de Huawei et de sa technologie 5G, entre les pressions américaines et celles de Pékin. L’Europe s’apprête à investir dans cette filière 250 à 400 milliards d’€ d’ici 2025. Huawei étant 20% à 30% moins cher que la concurrence, le ministre allemand P. Altmaier pense qu’un embargo sur sa 5G ferait perdre à l’Europe « deux années de croissance ». Italie, Allemagne et France semblent pour l’instant préférer une approche normative d’octroi de licences, plutôt qu’une mise an ban de tel groupe ou tel pays. Le Royaume-Uni est divisé. Au Centre national britannique de cybersécurité, un ex-patron déclare n’avoir identifié nulle activité malveillante chez Huawei–UK. Mais un autre haut cadre déplore qu’en 12 ans, le groupe n’ait « offert aucune solution aux failles de sécurité » détectées dans son système. L’ancien diplomate Charles Parton, dans un rapport pour un think-tank militaire, enfonce le clou, estimant « naïf et irresponsable» de confier le réseau 5G britannique à Huawei, fleuron d’un Etat réputé pour son espionnage. Côté Huawei, le PDG Lian Hua déclare que son groupe dispose d’une base juridique suffisante pour s’opposer, si c’était le cas, à une demande de l’Etat chinois, d’installer des « puces » d’espionnage dans ses serveurs destinés à l’export.

Enfin le 22 février, M. Pompeo le secrétaire d’Etat réitère sa menace : tout pays s’équipant avec Huawei, verrait les USA cesser de partager avec eux d’informations sensibles, et peut-être retirer de leur sol les bases militaires, voire l’ambassade américaine !

Mais ces foudres semblent en fait aléatoires, car conditionnelles, ne devant advenir qu’en cas d’échec dans les palabres commerciales en cours à Washington. Et de ce côté, le ciel se dégage : Xie Maosong, professeur à l’école du Parti annonce qu’un accord serait en bonne voie. Du coup, Meng Wanzhou, la fille du fondateur de Huawei Ren Zhengfei (cf photo), bloquée à Vancouver, pourrait être libérée dès avril ! Tout cela laisse l’impression que dans le vaste procès en cours, Huawei, l’accusé, paie pour l’ensemble des méthodes, dont l’espionnage, ayant permis à la Chine de combler son retard technologique et commercial, une pratique que l’Occident ne tolère plus.


Société : Quand dénatalité rime avec vieillesse

Après deux ans d’assouplissement du planning familial, la publication du nombre des naissances crée bien des inquiétudes. En 2018, les berceaux n’ont reçu que 15,2 millions de nouveaux nés, 2 millions de moins qu’en 2017. Les démographes officiels tablaient sur 20 millions au bas mot ! Conscient du tic-tac d’une bombe démographique, Pékin passe donc, après 40 ans de naissances limitées à un enfant par couple, à l’encouragement d’un second enfant. Mais comme le coût d’un enfant jusqu’à 18 ans aujourd’hui estimé à 500 000¥ (hors école, estimée au même montant), la consigne reste lettre morte. Toujours plus d’experts militent pour une aide financière et l’aménagement du temps de travail en congés parentaux. D’autres données viennent freiner les ardeurs natalistes, tels les scandales successifs sur la qualité des produits pour enfants en bas âge, et des vaccins périnataux périmés.
Dans les provinces, des cadres contrecarrent les efforts de Pékin pour relancer les naissances : au Shandong, un couple qui venait d’avoir son 3ème héritier a écopé, en guise de médaille du mérite, de 65.000 yuans d’amende : l’équivalent de ce qu’allait coûter l’enfant supplémentaire à la province. La suppression totale du planning familial devrait être discutée lors de la prochaine session de l’Assemblée (ANP) le 5 mars.

Cependant, en matière de population, les pouvoirs publics ont une autre hantise : le vieillissement qui s’accélère. En 2020, les sexagénaires seront 255 millions, 17% de la population, et 500 millions en 2050, soit le pourcentage double. Cette explosion de la cohorte des cheveux blancs, doit s’accompagner d’une croissance comparable du nombre des cas de maladies chroniques et neuro-dégénératives. Une évolution à laquelle le pays est loin d’être préparé, sous l’angle du nombre de soignants et gérontologues.

Aussi, pour ses seniors, le ministère de la Santé lance un programme pilote d’infirmières pour soins à domicile. Le service non remboursé est testé dans six provinces et municipalités dont Shanghai et Pékin, jusqu’à décembre. Il s’agit en fait d’un service privé qui existait déjà, mais désormais sous la supervision de l’Etat.

Pour accélérer la construction de maisons d’accueil du 3ème âge, plusieurs villes, dont Shanghai et Qingdao, ont mis en place des plans de prise en charge par leur caisse locale d’assurance maladie du coût de ces établissements, à concurrence moyenne de 30%. Mais le reliquat reste au-delà de ce que peut payer la majorité des familles, laissant présager une épine durable au pied des services publics.     Par Liu Zhifan


Diplomatie : Entre enclume et marteau—les ambassades à Pékin

Dans les ambassades étrangères à Pékin, deux couacs successifs ont eu lieu en ce début d’année.
En janvier, John McCallum, ambassadeur du Canada, s’exprimait à deux reprises, en faveur de Meng Wenzhou, directrice commerciale de Huawei arrêtée à Vancouver, allant jusqu’à dire que « ce serait une bonne chose si les USA annulaient leur demande d’extradition ». Des  mots qui causèrent son limogeage le 26 janvier.

Le 13 février, c’était au tour de la Suède, de rappeler son ambassadeur. Le 24 janvier, Angela Gui (cf photo), fille du libraire incarcéré en Chine Gui Minhai, était invitée à Stockholm par Anna Lindstedt, l’ambassadeur à Pékin. Là, l’étudiante trouvait aux côtés de la diplomate, deux « hommes d’affaires » qui la pressaient de « faire silence » et de retourner en Chine « en visite familiale ». En échange, ils lui font miroiter la libération de son père. Une « étrange rencontre » qu’elle finira par dénoncer publiquement.

Il est probable que, loin de chercher à trahir son pays, Mme Lindstedt a été « piégée » par son désir de bien faire, pour Gui Minhai et sa fille, mais aussi pour la relation bilatérale ! Peut-être a-t-elle pu convenir avec ses interlocuteurs d’un scénario, avant de les voir en appliquer un autre ? Peut-être n’a-t-elle-même pas connu l’identité réelle de ces « hommes d’affaires » ? Quoiqu’il en soit, pour elle, les suites sont dévastatrices. Démise de son poste, elle est sous enquête. Son ministère ne la soutient pas : elle avait omis de le prévenir de son action.

Le lien entre ces deux affaires est très clair. La Suède comme le Canada souffrent de relations tendues avec la Chine, et d’une contradiction entre leurs intérêts commerciaux (des possibilités d’investissements de part et d’autres en milliards de $, dans la mine, le bois, les pêcheries, l’Arctique…) et leurs valeurs, les droits de l’Homme, extrêmement respectés sur leurs sols. Ces ambassadeurs ont tout fait pour arracher leurs pays à cette ornière, par patriotisme ou par espoir d’avancée dans la carrière. Mais la Chine sait cela, et est habile à mettre cette vulnérabilité à profit. Dans ces affaires, ces deux ambassadeurs perdent tout—réputation et carrière. En tout cas, la Chine n’y a rien gagné. 


Education : Vent patriotique sur les campus

Début février, deux universités canadiennes ont connu une poussée de fièvre venue de Chine.
Le 9 février, sur un campus à Toronto, Chemi Lhamo, 22 ans (cf photo), canadienne d’origine tibétaine, apprend l’heureuse nouvelle : elle a remporté les élections comme présidente de l’Association des étudiants. Mais en guise de félicitations, c’est un torrent d’insultes et de menaces qui déferla sur elle, dont la plus aimable lui rappelle que « la Chine est son père et qu’elle ne doit pas l’oublier ». En parallèle, une pétition contre la « prise de contrôle du syndicat des étudiants par les séparatistes tibétains » rassembla 10.000 signatures. Ses détracteurs dénoncent ses liens avec l’ONG Free Tibet et opinions séparatistes, selon eux incompatibles avec la fonction.

Le 11 février, un second incident eut lieu sur un campus à Hamilton (Ontario). Suite à l’annonce d’une conférence de Rukiye Turdush, d’origine ouïghoure, militante pour un Xinjiang indépendant, des étudiants chinois contactaient leur consulat pour dénoncer l’évènement.  L’étudiant lanceur d’alerte déclarait l’avoir fait en réaction à ce qu’il considère comme une incitation la haine ethnique, une critique de son pays et donc une attaque personnelle. Ainsi, la conférence fut perturbée par des étudiants chinois, la filmant et criant des slogans.

Les incidents de ce type n’arrivent pas qu’au Canada, mais aussi en Australie, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Cela soulève la question du degré d’ingérence de la part des diplomates chinois. Dans ces deux cas, tout en félicitant les jeunes Chinois de Toronto et Hamilton pour leur « patriotisme », ambassade et consulat démentent toute intervention. D. Mulroney, ex-ambassadeur à Pékin de 2009 à 2012 déclarait : « ces ingérences sont inacceptables, mais hélas fréquentes, vu l’exigence de la Chine de contrôler la manière dont elle est perçue en Occident ». 

Pékin, clairement, ne peut pas laisser ses étudiants à l’étranger, revenir en Chine diplômés, influencés par des idées occidentales. Ils ont tout intérêt à bien se faire voir des entités chinoises à l’étranger, pour ne pas nuire à leur carrière.

Dans la même ligne, les 525 Instituts Confucius établis à travers le monde, outils de « soft power » pour répandre culture et langue chinoise, font l’objet d’une mise en garde de la part de la Commission de droits de l’Homme du parti conservateur anglais : souvent intégrés aux universités et lycées, ils  » menaceraient la liberté académique « .


Blog : Reconnaître ses erreurs, ou affirmer sa puissance ? 
Reconnaître ses erreurs, ou affirmer sa puissance ? 

Quand le Kuomintang (ou KMT, 国民堂) parti nationaliste, reprit la souveraineté sur Taiwan en 1945, suite à la reddition du Japon, il connut vite des soulèvements, qu’il mata chaque fois par la force. Il lui fallait imposer son ordre continental à une population habituée depuis 1895 à vivre sous la loi nippone. Puis, à la révolution de 1949, le KMT imposa la loi martiale – elle devait durer jusqu’en 1987. Parmi ces événements tragiques, compte l’« incident 228 » du 28 février 1947 ayant causé la mort de plus de 20.000 personnes.

Or, plus de 70 ans après, le gouvernement taïwanais vient de procéder à une première historique en Asie. Le 9 décembre 2018, 70ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, lors d’une cérémonie au mémorial de Jingmei dans le nouveau Taipei (New Taipei City), le vice-Président Chen Chienjen (membre du DPP, 民进党, le parti actuellement au pouvoir) signifia que présenter des excuses, fussent-elles officielles, ne suffisait pas.

Ainsi, au nom de la République de Chine, étaient formellement révoqués les verdicts de culpabilité condamnant 1 505 personnes à l’issue de procès injustes et arbitraires, à l’époque de la terreur blanche.

À cette séance de réhabilitation publique, bien peu des victimes de l’époque étaient présentes : un grand nombre d’entre elles avait été condamnées à mort et exécutées, et d’autres étaient décédées entretemps.

L’événement constituait un des premiers fruits des travaux de la Commission de justice transitionnelle, depuis décembre 2017, date de la promulgation par ses soins d’une loi du même nom. En instituant cette Commission de justice transitionnelle, le gouvernement de l’île a fait le choix de se confronter à ses erreurs du passé, en public et au plan légal. L’impact sera d’effacer pour les générations futures la responsabilité de cette phase de violence, tout en se donnant le droit de pouvoir désormais observer sa propre histoire, sans devoir plus redouter les spectres du passé ni de l’avenir.

De l’autre côté de l’isthme par comparaison, la République Populaire de Chine, pour oublier les crimes du Japon pendant la guerre coloniale, maintient ses exigences : que le Japon admette ses fautes sans échappatoire et demande pardon. Toutefois, la Chine ne parvient pas à s’imposer les mêmes règles pour ses propres dérèglements de l’ère de Mao. Grand Bond en Avant, Révolution Culturelle notamment, la Chine reste muette sur les dizaines de millions de morts que causèrent notoirement ces époques sombres.

Justement, un film vient d’être rayé de la compétition du festival de Berlin  : « One second » (cf photo), de Zhang Yimou, dont l’intrigue se passe durant la Révolution culturelle, époque sur laquelle Pékin n’est pas encore prête à se pencher, encore moins à présenter à l’étranger. Mais cette mise à l’index n’a pas été bien vécue : 160 millions d’internautes ont lu et se sont partagé la nouvelle…

En filigrane entre ces petits faits, on croit deviner un lien organique entre le degré de liberté dont peut jouir une société, et sa capacité, au niveau de ses dirigeants, à poser un regard sur son passé. Vouloir maintenir un pouvoir fort, rend plus difficile la reconnaissance de ses faiblesses : imposer à l’opinion une image de pouvoir infaillible, prive ce pouvoir de l’option de tolérer les voix discordantes.

Pour poursuivre cette réflexion, on a récemment vu à la télévision chinoise l’introduction d’un quota des séries télévisées ayant pour thème la dynastie Qing, telle « Story of Yanxi Palace » (cf photo).  Ces séries qui jouissent pourtant d’une forte popularité en Chine, à Hong Kong ou Taiwan. Le 25 janvier sur Weibo, Beijing Daily justifiait cette limitation par « cinq impacts négatifs » de ces séries sur le public chinois. Elles « exacerbaient l’admiration pour un style de la vie de palais, mettaient l’accent sur les intrigues de pouvoir, et éclipsaient la gloire des leaders contemporains en valorisant à l’excès les portraits des hauts fonctionnaires sous les Qing ». Ces séries encourageaient aussi l’hédonisme tout en décourageant la frugalité, incitaient à la course au consumérisme, et « négligeaient les valeurs de la société spirituelle socialiste ». On voit peut-être là la motivation ultime de cette censure : elle explicite un besoin du leadership de propager l’image d’un passé mythique au pouvoir monolithique, sans rupture au fil des siècles. Elle exprime aussi, au final, un besoin de retoucher le passé, comme une photo aux temps staliniens, où l’on supprimait un personnage disgracié.

Au XVII siècle, Blaise Pascal expliquait que pour s’exercer sans frein, le pouvoir devait masquer la violence de ses origines—au risque de se voir condamné à reproduire éternellement cette même violence dans le présent. La censure futile des séries-TV Qing révèle quelque chose sur le rapport du pouvoir à son passé : ce qu’il veut, est donner au public l’impression d’un pouvoir infaillible et mécanique, aussi constant que les lois de la physique. Pour y parvenir, il doit gommer toute suggestion que le pouvoir pourrait aussi être affaire de luttes et de conflits, de désirs et débordements humains : de faiblesses trop humaines, ne pouvant conduire qu’à l’erreur et à la tragédie !

Par Jean-Yves Heurtebise


Petit Peuple : Canton—Le chien volant de Mei Yunqi (2ème partie)

Résumé 1ère Partie : ouvrière à Yagang (Canton), Mei Yunqi est restée tétraplégique d’un chien reçu sur la tête du haut d’un immeuble – le chien s’est sauvé…

Averti du drame, le commissaire de Yagang y prêta oreille distraite. Il n’y avait pas eu mort de femme, et puis ses hommes étaient déjà débordés, avec dans la semaine 5 cas d’agressions. Sans se l’avouer, il avait du mal à prendre l’affaire au sérieux – un chien tombé du ciel, pensez donc ! C’était comme si le destin avait voulu que Yunqi soit atteinte… Contre la fatalité, inutile de se dresser ! Aussi l’enquête avait été bâclée. Deux inspecteurs s’étaient présentés sur le site. Ils avaient noté sans conviction trois vagues témoignages, puis étaient repartis faire leur rapport, aussitôt classé.

Le fils de Yunqi cependant bouillait d’une colère froide, frappé au cœur par cette catastrophe qui ruinait son plan de mariage pour s’arracher à la misère. Souvent, il retournait au poste de police, demander si l’on avait trouvé trace du canidé. Son collier ou sa puce électronique, pourrait permettre de remonter jusqu’à son maître.

Pendant ce temps, les soins à Yunqi apportaient chaque jour de nouvelles factures : hôtel, massage toutes les deux heures, consultations hebdomadaires.

Au bout d’une semaine, comprenant que la police se désintéressait et que les pistes refroidissaient, père et fils reprirent l’enquête. Peu éduqués, ils posaient des questions gauches et manquaient d’instinct pour deviner quand on leur mentait. Il faut bien admettre que la chute ayant duré trois secondes à peine, cela aurait été un hasard extraordinaire qu’un travailleur ou un locataire ait été témoin de la scène. Aussi nos novices étaient condamnés à faire chou blanc. 

En août 2018, quatre mois après les faits, le mari et le fils de Mei Yunqi avaient dépensé 100.000 yuans en soins, sans progrès. Désespérés, ils se tournèrent vers le tribunal en quête d’aide. Miraculeusement, un avocat accepta de prendre leur cas pro bono, sans honoraires : cette affaire hors norme, s’il pouvait la résoudre, lui procurerait du renom. Dès la première audience, l’homme de loi parvint à obtenir du juge une injonction de se présenter à « tout témoin en possession d’informations sur l’accident canin de Mme Mei Yunqi ». Mais c’était prêcher dans le désert : le propriétaire du cador savait pertinemment ce qu’il devrait payer s’il se faisait repérer. Il avait beau jeu d’attendre au chaud, dans l’ombre.

Une seconde audience en novembre vit la police témoigner – elle avait rouvert l’enquête, à seule fin d’éviter de se mettre en tort face au prétoire. Sous serment, le commissaire présenta l’hypothèse la plus probable, un chien en maraude qui se serait faufilé par l’escalier de service jusqu’au toit : déboulant sur un chantier comme un chien dans un jeu de quilles, il aurait été attrapé par les manœuvres qui s’en seraient débarrassés en le précipitant dans le vide, par jeu cruel, ou bien pour éliminer l’intrus qui mettait à risque le coulage du béton. Interrogés séparément, maçons, soudeurs et charpentiers avaient tous fait la même réponse—rien vu, rien entendu.

A ce stade, les inspecteurs, changeant de scénario, se demandèrent si tous comptes faits, le chien n’était pas tombé d’un appartement. On pouvait imaginer un animal de compagnie aux maîtres partis travailler, s’ennuyant « à mort », qui aurait tenté ainsi une désastreuse escapade par la fenêtre pour échapper à son spleen canin. Hélas, le propriétaire de l’immeuble jura ses grands dieux qu’aucun chien n’habitait à l’étage. S’il y en avait eu, il eût été en infraction, non déclaré et ne payant pas la taxe municipale. Sur le fond, le proprio déclinait toute responsabilité : il n’était que loueur, et n’avait aucune emprise sur la façon dont choisissait de vivre ses locataires !

Au 2ème étage, le patron de l’atelier électronique déclara n’avoir jamais autorisé en neuf ans d’exercice, l’entrée d’animaux : son enceinte hors poussière—c’était obligatoire dans son métier. Sur ces belles paroles, le juge conclut l’audience par une excuse vaguement hypocrite : il ne pouvait rien faire, faute de piste, de preuve, ou de coupable !

En décembre, la famille de Yunqi avait épuisé tout son patrimoine, 300.000 yuans en pure perte. Ruinés, le père et le fils étaient déprimés par l’égoïsme flagrant autour d’eux. Durant le procès, les clins d’œil des policiers, les lourds silences des résidents avaient à suffisance suggéré qu’ils avaient des choses à cacher. Il y avait conspiration du silence, et presque solidarité contre les victimes, coupables de pauvreté et d’incapacité à faire valoir leurs droits !

Alors en désespoir de cause, sur suggestion de l’avocat, père et fils osèrent une première dans l’histoire de la justice chinoise : ils déposèrent plainte contre un « X » collectif regroupant tous les occupants, habitants et travailleurs, présents dans l’immeuble ce jour-là.

Ce nouveau procès a déjà connu trois audiences, la dernière, en novembre 2018. Par son aspect insolite, la démarche a eu au moins le mérite de réveiller la presse. Une campagne sur internet a été lancée pour faire appel aux souvenirs, aux délations pour retrouver chien et maître. Le commissaire a reçu des centaines de nouveaux témoignages, tous en cours d’analyse : un coup de théâtre reste possible.

Hélas, en l’attendant, père et fils, nos héros sont condamnés à continuer à « manger le concombre amer » (吃苦瓜, chī kǔguā ), devant travailler dur pour payer des soins qui ne servent qu’à maintenir la mère en vie précaire, sans même pouvoir la ramener au village. L’espoir d’un terme à la déveine de Mei Yunqi reste donc mince. Mais avec la relance de son affaire sur la toile, sait-on jamais ? Dès qu’on en saura plus, on y reviendra, promis !


Rendez-vous : Semaine du 25 février au 3 mars 2019

26-28 février, Canton : CHINA LAB, Salon international et conférence sur les appareils de laboratoire et d’analyse en Chine

26-28 février, Canton : GUANGZHOU INTERNATIONAL AUTOMOTIVE AIR-CONDITIONING & EQUIPMENT EXHIBITION, Salon international de l’industrie de la climatisation automobile

26-28 février, Canton : PCHI, Salon des soins personnels et des cosmétiques

27 février – 1er mars, Shanghai : R + T ASIA, Salon professionnel des volets déroulants, portes et portails et protections contre le soleil

27 février – 1er mars, Shenzhen : AAITF (AUTOMOTIVE AFTERMARKET INDUSTRY & TUNING TRADE FAIR) –, Salon international du marché de l’occasion automobile, des pièces détachées et du tuning en Chine (Shenzhen)