Editorial : L’empire du bonheur blanc

Il y a 20 ans, une Chine urbaine s’éveillait aux joies de la glisse. Entre temps les sports d’hiver ont conquis le pays : aujourd’hui, on compterait 7 millions de skieurs, dont 90% sont des débutants. Bilan honorable mais minuscule à l’échelle de la nation (0,5% de la population). Le secteur avance tout schuss : dès à présent, le pays compte 200 stations dont 77 avec au moins 4 remontées mécaniques, et 10  correspondant aux standards internationaux.
L’engouement est exacerbé par l’obtention en 2015 des JO d’hiver de 2022 à Pékin, Zhangjiakou et Yanqing, avec un bond de 40% du nombre de skieurs en 2016. Ainsi la Chine rattrape le Japon, double hôte olympique d’hiver (Sapporo 1972, Nagano 1998) et la Corée du Sud, organisatrice des JO de février 2018 à Pyeongchang
Cette perspective a suscité un intérêt, en Chine et en dehors, car tout est à construire, à équiper. Pour l’étranger, c’est un marché vaste et lucratif, avec besoin urgent de produits et services que la Chine ne maîtrise pas encore : d’ici 2030, la Chine de Xi Jinping veut avoir 1000 stations, 300 millions de skieurs.
Aussi, du 15 au 18 février, se tenaient à Pékin les salons annuels ISPO et Alpitec, spécialisé dans l’aménagement de la montagne. Ils battirent un record de participation (728 marques, 502 exposants), rassemblant le Gotha du sport mondial—Suisse, Autriche, Canada, Etats-Unis, Japon, France. Cette dernière délégation était plutôt dense, avec 16 firmes présentes sur les 211 fédérées du pôle Cluster montagne, et des politiciens tels P. Kanner, Ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, et L. Wauquiez, Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Cette visite ne soutenait pas que des fins commerciales : ils avaient aussi à défendre la candidature de Paris aux JO d’été de 2024, où la Chine est influente. Une visite amicale à l’hôte des Jeux d’hiver, était pour Paris, de bonne politique.
Entre compagnies locales et étrangères, on voit vite s’instaurer, au-delà de l’inévitable rivalité, une répartition des rôles et une coopération implicite : POMA (France/Italie), Doppelmayr (Autriche), les leaders du téléphérique prospèrent dans les équipements que la Chine ne maîtrise pas, tel la télécabine sous tunnel. Oudao (France/Chine) en partenariat avec le fournisseur autrichien d’accès aux remonte-pentes Axess (Autriche), offre au skieur de renouveler son forfait sur piste avec son smartphone – une facilité qui n’est possible qu’en Chine, via le système de paiement du réseau WeChat. La Compagnie des Alpes a déjà la gérance de deux stations : Silkroad près d’Urumqi (Xinjiang) et Thaiwoo (Chongli), dite « la plus française des stations chinoises ».
En dehors de la période hivernale (5 mois de froid, favorisé par une altitude moyenne du pays relativement élevée) les stations chinoises privilégient un fonctionnement « 4 saisons », avec des activités de pleine nature : randonnée VTT, course d’orientation,  quad, tir au pigeon (d’argile), « disc golf » (pratiqué au frisbee) ou ski sur roulettes ! Avaient également le vent en poupe au salon, les « via ferrata » et tyroliennes.
Le savoyard MND, décrocha la construction de la station de Snowland (Zhangjiakou) : 55 km de pistes avec leurs équipements, pour 110 millions d’€, à livrer sous trois ans.  Dans la foulée, une JV a été créée avec un groupe de matériel minier de Zhangjiakou, pour produire et vendre en Chine entière ses systèmes de remontées, d’enneigement et de sécurité.  POMA lui, remporta l’exclusivité des remontées du site de Thaiwoo et leur entretien, pour 200 millions d’€ sur 5 ans.

Bien sûr, tout en équipant la Chine, certains exposants ont une arrière-pensée : promouvoir leurs stations-cultes, éveiller le désir des pistes de Tignes, Chamonix ou Innsbruck, auprès des clients de Wanlong ou de Thaiwoo. Ils ne sont encore que quelques milliers à opter pour ces destinations lointaines et de prestige—mais gageons que les JO de 2022 pourraient décupler les vocations.

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