Diplomatie : Trump, éléphant dans le magasin de porcelaine géostratégique chinoise

De par le monde, les pays s’attendaient à un grand chambardement avec l’arrivée au pouvoir aux Etats-Unis de Donald Trump, idéologue d’une défense agressive des intérêts nationaux – surtout contre la Chine. Dans les rapports avec Pékin, le scénario ne s’est avéré que trop vrai.

Sans prendre de gants, le nouveau chef de l’exécutif américain a brisé un statu quo d’alliance USA-Chine. Il y eut la menace de « taxer de 45% les exportations chinoises », l’échange téléphonique de Trump avec Tsai Ing-wen, la dirigeante de Taiwan, et l’escale qu’il lui accorda en route vers l’Amérique Latine. Il y eut la prétention de Trump de « renégocier le statut d’ »une seule Chine » contre des concessions commerciales », puis celle d’interdire aux militaires chinois l’accès aux îles artificielles qu’ils venaient de faire émerger en pleine zone maritime exclusive des Philippines en mer de Chine du Sud.

Pékin sut présenter une réponse feutrée –mais le sentiment de confiance qui prévalait jusqu’alors, disparut instantanément, pour laisser place à l’incertitude sur l’avenir. Désormais, la Chine ne croyait plus pouvoir compter sur son entente avec les Etats-Unis et le rôle stabilisateur de cette puissance à travers le monde. Elle ne croyait non plus disposer du socle financier et commercial du marché américain pour son développement – Trump ne pouvait revenir sur les vues protectionnistes affichées durant sa campagne.
Pire : si Trump mettait en œuvre sa menace de barrer à la Chine l’accès à « ses » îlots artificiels en mer de Chine du Sud, un conflit serait inévitable, cauchemar exprimé par le Conseiller d’Etat Yang Jiechi : « nous lancer dans une guerre, ne serait l’intérêt de personne ».

Face à ce basculement, la Chine a senti le besoin de se chercher un nouvel allié, une autre puissante source de stabilité et de modération. Pour un tel rôle, un seul bloc pouvait faire figure d’alternative : l’Union Européenne. La priorité nouvelle vers le Vieux continent apparaît instantanément. Récemment sur tout dossier diplomatique ou commercial, Pékin jouait USA contre Europe, afin de contraindre l’un et l’autre à surenchérir ses concessions. Mais aujourd’hui, le Président Xi Jinping penche plus ouvertement vers l’Europe et ses grandes nations.

C’est ainsi qu’à 15 jours du Plenum de l’ANP (5-15 mars) sous intenses préparatifs, Pékin accueillera du 21 au 23 février, Bernard Cazeneuve, Premier ministre français à peine nommé, qui quittera ses fonctions dans deux mois, et membre d’un Parti qui perdra probablement le pouvoir. Or la Chine n’a pas pour pratique de miser sur des partis politiques en perte de vitesse.
Si elle le fait aujourd’hui, c’est sûrement pour soutenir l’Union Européenne, contre le repli sur ses frontières. Laquelle répond sans se faire prier : à étapes forcées, elle avance pour avril ou mai, le prochain Sommet Europe-Chine, normalement prévu en juillet, donc avant les élections françaises (à tout hasard, au cas où Marine Le Pen devait être élue), et le plus vite possible afin de réaffirmer la coopération multilatérale, contre un Trump qui s’était bruyamment félicité de la victoire du Brexit au Royaume-Uni.

Dernièrement, Trump donne des signes de vouloir faire marche arrière. Le 10 février, il appelait Xi pour finalement admettre ce principe d' »une seule Chine« , essentiel aux yeux de Pékin—une déclaration qu’avant Trump, aucun Président américain n’avait eu à faire en début de mandat. 

Pourquoi ce demi-tour ? Outre-Pacifique, certains commentateurs se demandent si elle ne fait pas suite au verdict de la justice chinoise, enfin favorable à l’industriel Trump, sur son droit de marque. En dix ans, 49 entreprises avaient usurpé son nom et 77 autres demandes étaient en attente – certaines concernant des produits tels qu’un pacemaker, un préservatif ou des toilettes. Toutes ces marques « Trump » pourront sans doute être interdites, supprimant ainsi un litige très personnel du Président envers le Céleste Empire.

Plus sérieusement, Trump a pu vouloir rouvrir le dialogue, suite à un tir par la Corée du Nord (11 février) d’un missile ICBN. Pour la Chine, c’est un coup dur, car ce tir réussi donne à Washington une justification de plus pour implanter une rampe anti-missiles THAAD en Corée du Sud, projet que Pékin déteste – car elle peut aussi servir à détruire des missiles chinois. Mais pour Trump, ce tir a également de graves conséquences : Pyongyang se rapproche du moment où il pourra étendre sa menace de frappe nucléaire jusqu’à la côte Ouest des Etats-Unis.

En somme, à l’arrivée de Trump, ce sont 25 ans de géostratégie chinoise qui sont en train de voler en éclat. La remise en cause est totale, jusqu’à l’évaluation par la Chine du projet d’alliance commerciale TPP (Trans-Pacific Partnership). Avec 11 autres pays de la région, Obama avait voulu cet accord pour isoler la Chine. Mais Trump en ayant retiré son pays, Pékin à présent envisage ouvertement sa propre adhésion.

Dernier développement et non des moindres, la Chine, à mesure qu’elle se rassure sur l’alliance européenne et l’isolement croissant américain, commence à montrer les dents. Lorsque la US Navy annonce qu’elle prépare des patrouilles « de liberté de navigation » avec un de ses porte-avions en mer de Chine du Sud, Pékin l’avertit de respecter sa souveraineté et déclare préparer des amendements à sa « loi de sécurité maritime », qui imposeraient aux sous-marins étrangers la traversée de ses eaux en surface et non en immersion. La tension est palpable, et n’est pas prête à s’alléger.

 

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1 Commentaire
  1. severy

    Man man lai. La Chine avance ses pions, sûre d’elle que ses prétentions en mer de Chine du sud remontent à la plus haute antiquité, c’est-à-dire aux années quarante.

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