Taiwan : Tsai en Amérique Latine – le bras de fer !

Depuis mai 2016, le sort de Taiwan repose sur les épaules de Tsai Ing-wen, sa Présidente élue, du parti indépendantiste DPP. L’île de 22 millions d’habitants se trouve à 140km au large du géant chinois d’1,3 milliard – David face à Goliath. A l’issue de la guerre civile doublée d’un conflit mondial idéologique, l’histoire a voulu que Taiwan hérite de la Chine « nationaliste », tandis que le continent devenait en octobre 1949 « socialiste ». Depuis lors, Pékin réclame sans cesse le retour de sa « province rebelle ». Mais l’île aux richesses et aux libertés bien plus étendues que celles de Chine, se fait tirer l’oreille et s’ingénie à maintenir son indépendance « de facto ».

Depuis l’élection de Tsai en janvier 2016, le statu quo se fait précaire, à mesure que Pékin se réarme. D’ici 2020 on le sait, « notre nouvelle grande muraille » – le surnom de l’Armée Populaire de Libération – recevra 233 milliards de $ en budget de fonctionnement, 60% de plus qu’en 2016 (146 milliards), ou le double de 2010 (123 milliards). C’est assez pour multiplier les constructions de porte-avions, sous-marins et avions furtifs. En septembre 2016 l’état-major taïwanais croyait l’APL capable de reconquérir le territoire insulaire par la force, à partir de 2020… Manifestement Xi Jinping a mal supporté la défaite électorale du nationaliste Ma Ying-jeou qui était en faveur de la réunification—il perd patience.

Depuis, la Chine fait pression sur les instances internationales pour qu’elles refusent la présence de délégués taïwanais. Elle vient de tenir de bruyantes manœuvres navales avec une flottille de soutien au porte-avions Liaoning à proximité de l’île nationaliste. Elle vient aussi de rafler à Taiwan, moyennant un gros chèque, son ambassade à Sao Tomé-et-Principe, un des plus petits Etats d’Afrique, au large du Gabon, et un des 21 qui reconnaissait encore la Chine « nationaliste » plutôt que celle « socialiste » !

 Tsai doit donc naviguer plus serré que jamais. Mais sa position de 1ère femme à la tête du pays, lui donne des atouts que d’autres Présidents avant elle n’avaient pas : une sensibilité politique plus intuitive et pragmatique, un bon sens acquis en observant les échecs de ses prédécesseurs. Quoique issus de partis opposés, les Présidents Chen Shui-bian (DPP) et Ma Ying-jeou (Kuo Min Tang) ont vécu des trajectoires curieusement parallèles : une popularité fulgurante à leurs débuts, suivie d’une dégringolade, avec moins de 10% de voix au final. Chen, pour corruption invétérée qui l’a amené en prison, et Ma, pour ses tentatives d’accélérer la réunification et par autoritarisme – son exigence sourde aux appels de la rue. Tsai en a déduit les erreurs à ne pas commettre.

Grande travailleuse, diplômée de la prestigieuse London School of Economics (ancienne professeur en université), elle a dû faire preuve de doigté, durant ses années de course au leadership, pour reconstruire son Parti après la débâcle de Chen Shui-bian. Il s’agissait de bannir les deux thèses extrêmes, la fusion de Taiwan dans une Chine non démocratique, et la déclaration d’indépendance, au risque quasi-certain d’un début d’hostilités militaires aux conséquences catastrophiques.
Pas de confrontation donc. Mais face à Xi Jinping, Tsai ne montre aucune peur et marche « droit dans ses bottes ». Le 31 décembre, durant ses vœux à la presse, elle a reproché à Xi de « reprendre le vieux chemin des menaces et de l’intimidation ». Elle a aussi promis de tenir le cap : « durant ce premier semestre qui s’annonce instable (avec l’arrivée du Président Trump), nous devrons nous concentrer sur la manière de faire face—et nous y arriverons ».

Une stratégie prudente, donc, en paroles. Mais en pratique, la Présidente se montre beaucoup plus audacieuse : dès l’annonce de la victoire de Trump, elle l’a appelé, et le Président-élu a pris l’appel, provoquant la fureur (théâtrale et parfaitement auto contrôlée) des maîtres de Pékin. Et le 7 janvier, elle s’embarquait pour un périple latino-américain entre quatre pays alliés (Honduras, Nicaragua, Guatemala et Salvador), assortie de deux escales aux Etats-Unis (Houston et San Francisco), en dépit des grondements de la Chine.

Présentant ses propres vœux à la nation, Xi Jinping répondit que la Chine « défendrait ses droits territoriaux et maritimes », et « ne laisserait personne chercher des ennuis ». Sous cette tournure anodine, le mot recouvre une inquiétude et une menace, toutes deux précises. Pékin craint, et ne tolérera pas que Tsai rencontre Trump, lors de ses escales américaines. Ce serait évidemment un immense coup diplomatique, et le Président élu, interrogé sur la possibilité de rediscuter face à face avec son homologue insulaire, a laissé planer le doute : « on verra bien » !
Comme on le voit, la Présidente taïwanaise n’a pas froid aux yeux, et défend le statu quo d’indépendance « de facto » par tous les moyens.

Pékin de son côté, se réserve de punir l’insolence si elle se produit. Comme sanctions éventuelles, sont déjà citées dans la presse chinoise, de nouvelles manœuvres navales à proximité, « pour voir les dégâts qu’elles causent », un renforcement de la campagne d’isolation diplomatique de l’île, et l’interdiction aux continentaux de passer des vacances à Taiwan. Tout cela ferait mal à la population insulaire, mais moins que la perte de ses libertés et de son mode de vie. Par le passé, il faut enfin le rappeler, cette société civile a toujours fait front, derrière son leader, lors des successifs bras de fer engagés par le géant continental.

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