Le Vent de la Chine Numéro 1 (2017)

du 9 au 15 janvier 2017

Editorial : 2017 – Année tonique

Entre nouvel an solaire du 31 décembre et lunaire du 28 janvier (春节 chunjie, sous le signe astral du Coq), le moment semble opportun pour tenter de prédire les tendances et événements qui ponctueront la vie chinoise durant l’année.

Avec un Donald Trump décidé à en découdre, le clash est inévitable. En mer de Chine du Sud, la situation a toutefois peu de chances de dégénérer en conflit armé. Aucune de ces puissances ne se risquerait à telle aventure au coût ruineux, pour une issue incertaine. Entre US Navy et marine de l’APL, le décalage des forces (en technologie et en expérience) reste important – Pékin n’est pas assuré de l’emporter. Washington de son côté, pourrait craindre de voir apparaître des faiblesses en son architecture de défense, et aussi de se voir désavoué par des alliés (Vietnam, Philippines), qui ne peuvent concevoir leur avenir sans les capitaux et le marché chinois.

Un conflit commercial semble plus plausible, avec retour des barrières douanières aux Etats-Unis, sur les échanges traditionnels (acier, électronique, vivres…). Jusqu’à ce que Trump soit contraint de réaliser, comme 20 ans plus tôt G.W. Bush senior, qu’on ne « punit » pas la Chine, et que Xi Jinping comprenne l’urgence de réciproquer en Chine la véritable ouverture  de son marché intérieur.

Au plan intérieur, le pouvoir restera concentré sur les préparatifs du XIX Congrès d’octobre 2017, les milliers de promotions à pourvoir et la mise en place de nouveaux instruments de contrôle social.

La stabilité du pays restera la priorité n°1, avec la croissance. Pékin promet 6,5% de hausse du PIB : atteindre l’objectif sera une gageure, avec une  conjoncture mondiale difficile et la lenteur des réformes.

De plus, en 2016, la restructuration des consortia n’a permis aucun gain de productivité, ni réduction des surcapacités. Enfin, les investissements sont freinés par l’érosion du yuan, voulue par l’Etat pour relancer l’export, mais qui nourrit une insoluble et puissante fuite des capitaux…

L’Etat est donc contraint, contre ses promesses, de maintenir le cap d’une croissance basée sur la planche à billets, tel le chantier d’intégration de la région Jing-jin-ji (Pékin-Tianjin-Hebei, 150 millions d’habitants) ou le plan ferroviaire 2017 à 800 milliards de yuans, presque l’effort de 2010. Pour l’instant, les commandes d’acier et de béton suffisent à créer une embellie : l’indice des directeurs d’achats (PMI) du secteur manufacturier grimpait en novembre à 51,7, signe d’optimisme commercial, et pavoisait à 51,4 en décembre.

Histoire de faire oublier la terrible pollution de l’air, le gouvernement multiplie les bonnes nouvelles –c’est de saison, à la veille du chunjie. La mairie de Pékin, suivie d’une vingtaine d’autres, veut geler l’immobilier après la chevauchée fantastique des prix ces 12 mois passés (les 3 plus grands groupes ont écoulé pour 144 milliards de $).

La présentation du programme spatial fin décembre 2016, arrivait à point nommé pour flatter la fierté nationale : en 2018, une fusée chinoise s’élancera vers la face cachée de la Lune, une autre vers Mars en 2020, et une autre vers Jupiter avant 2030. Last but not least, le pays veut parachever d’ici 4 ans son réseau de positionnement GPS Beitou-2, porté à 35 satellites. Son accès prioritaire sera élargi aux pays partenaires de ses nouvelles « routes de la soie » à travers les 5 continents, leur donnant accès à une puissance d’information et de communications inégalée. Ce programme dit « une ceinture, une route » (OBOR), est probablement la chance la plus sérieuse de relance économique chinoise – mais pas pour 2017, plutôt pour les années suivantes ! 


Politique : En marche vers le XIXème Congrès !

En préparation du XIXème Congrès d’octobre 2017, de nouveaux hommes et de nouveaux organes apparaissent, qui risquent de bouleverser la vie du pays.

D’ici là, l’administration doit avoir été renouvelée et des dizaines de milliers de cadres réaffectés. Rien qu’à l’ANP, sur 2879 sièges, 108 sont à pourvoir, ceux d’élus ayant été limogés.

Les premiers promus évoquent un rajeunissement, une montée en compétence technique, et le renforcement du clan des fidèles du Président Xi Jinping. Parmi eux figurent Chen Yixin (57 ans), nouveau Secrétaire du PCC à Wuhan, ex-directeur au Groupe Central pour l’Approfondissement de la Réforme, puis patron du Zhejiang où il sauvait Wenzhou d’une cascade de faillites.

Secrétaire du Xinjiang depuis novembre après l’avoir été au Tibet, Chen Quanguo, 61 ans, applique la fermeté qui lui a bien servi au « Toit du Monde », en imposant le dépôt de tout passeport au commissariat, pour ne laisser sortir à l’étranger que les Ouighours « fiables ». Chen pourrait bien hériter d’un siège au Politburo en octobre.

D’autres doivent leur promotion à leur passé technocrate. Xu Qin, 55 ans, maire de Shenzhen, devient son Secrétaire du Parti. Ma Xingrui, 57 ans, ex-cadre aéronautique, devient vice-gouverneur du Guangdong. Liu Guozhong, à 54 ans, sera vice-Secrétaire et vice-gouverneur du Jilin – une rare double promotion.

Huang Qifan, maire de Chongqing, la plus grande ville de Chine (33 millions d’âmes) écope d’une voie de garage. Il paie sa coopération avec Bo Xilai, jeté en prison à perpétuité pour corruption et « conspiration politique » – Xi vient de le révéler dans un discours interne. À la chute de Bo, Huang avait sauvé sa place, grâce à ses talents d’administrateur, en préservant à sa mégapole un des taux de croissances les plus vifs du pays. Mais à presque 65 ans, son dernier poste sera à Pékin, en d’obscures officines du Parlement. Comme maire lui succède son n°2 Zhang Guoqing, servi par son âge (52 ans) et son passé de président de Norinco, le groupe industriel d’armement.

Les préparatifs du Congrès se lisent donc dans les promotions, mais aussi dans l’agenda politique en cours. Les 29 et 30 décembre, le Politburo vit les 24 collègues de Xi faire leur autocritique, suivie d’un serment d’allégeance — une séance fortement reprise par les média. Ce meeting visait à cimenter le statut de Xi comme patron incontesté d’un appareil resserré et centralisé. Il pourrait aussi jeter les bases d’un second quinquennat destiné à tout changer : la pratique politique, environnementale, et mettre fin à l’érosion de l’idéologie et de la discipline.

Autre scène les 4 et 5 janvier lors d’un sommet de la cybersécurité, dont les chefs promettent de « cultiver un environnement favorable au succès du Congrès, par une loyauté sans faille » envers le chef de l’Etat.

Dans ses vœux à la nation le 31 décembre, Xi ne mâchait pas ses mots : pour réaliser son « rêve de Chine », le pays devra « travailler dur ». Les cadres devront démontrer envers le « cœur » une « loyauté pure et inconditionnelle ». Ils ne devront plus tergiverser à « oser la confrontation » pour défendre les « intérêts centraux de la nation »,

 Xi veut également mettre en place pour mars 2018, une Commission anti-corruption d’une puissance inégalée. La palette répressive du régime est déjà fournie, avec la CCID (la police et justice interne du Parti), les polices concurrentes de la Sécurité Publique et de la Sureté d’Etat, et l’appareil judiciaire. Mais cette nouvelle commission anti-corruption sera différente, car elle sera au même niveau de pouvoir que le Conseil d’Etat – donc inattaquable ! Des branches régionales existent déjà à titre expérimental, à Pékin, au Shanxi et au Zhejiang : nommés par les assemblées locales, leurs membres issus d’instances diverses (financières, judiciaires, policières) ont des pouvoirs discrétionnaires d’arrestation, interrogation et confiscation sans passer par les tribunaux. Leur fonction pourrait rappeler celle des « Comités de Salut Public » de la Révolution française, suivant le rêve robespierriste de débarrasser à jamais de l’hydre de la corruption.

Parallèlement, une forme de gouvernance ultra-autoritaire apparaît, visant contrôle et stabilité en tous domaines. Dans les banques par exemple, les virements vers l’étranger se voient soumis aux plus sévères vérifications, dans l’espoir de freiner la fuite des capitaux.

La même volonté de remobiliser l’autorité publique, se manifeste à propos des étrangers, personnes et entreprises établis en Chine : le constructeur américain GM écope d’une amende de 29 millions de $ pour entente sur les prix, et une loi sur les ONG force ces dernières à se trouver un sponsor officiel et émettre des rapports d’activités réguliers et détaillés. De ce fait, la plupart de ces organisations se retrouvent forcées à tourner au ralenti, le temps de se mettre en règle.

Tel est l’horizon politique, à 9 mois du XIXème Congrès, suggérant une lutte sans merci avec des ennemis innombrables et anonymes, surtout lorsqu’ils sont éloignés du centre du pouvoir. Au Jiangsu, la presse dénonce une résistance silencieuse mais opiniâtre aux consignes de Pékin—trois directives du Département de l’Organisation n’ont pas été promulguées. Cette contestation locale suggère une opposition de phase entre l’Etat central, qui veut faire respecter la loi, et les cadres, pour lesquels la corruption permet de servir leurs intérêts. Mais mettre un terme à ces pratiques est le prix à payer pour bâtir une nation moderne, et Xi l’a bien compris. Seulement, les moyens qu’il met en place pour y parvenir, ont de quoi inquiéter.


Environnement : La Chine, asphyxiée

Du 16 au 22 décembre, une sévère vague de pollution ravagea la Chine du Nord, avec un pic dense (à plus de 500 particules fines par m3), déclenchant à Pékin la première alerte rouge de 2016 (+200 microparticules pendant 4 jours ou +300 pendant 3 jours), entrainant la fermeture des écoles et la circulation alternée.

Le nuage de smog revint dès le 28 décembre et depuis, sauf accalmie le 2 janvier, n’a plus quitté le pays, séquestrant 750.000km² du Shandong au Shanxi, étouffant un tiers des villes chinoises dans une cloche de poussière, et imposant le 3 janvier la première alerte rouge nationale… de 2017 !

Les conséquences sont sérieuses. Les vols sont annulés par milliers, les autoroutes fermées – faute de visibilité à 50m. Pour atténuer les émissions, d’innombrables usines ont été fermées. Les hôpitaux sont pleins d’asthmatiques dont les plus faibles décèdent – les études portent le bilan national à 5000/jour, 1,6 million/an. Pour l’AIE (Agence Internationale de l’Energie), le smog réduit en moyenne la durée de vie de 25 mois. Six chercheurs de l’Université de Nankin concluent qu’il cause un décès sur trois dans le pays. 

D’ordinaire d’un calme passif, la population se fâche, pour ses enfants : déjà 4% des jeunes patrons de startups préparent leur délocalisation vers des villes sans pollution.

Soucieux d’éviter l’accusation de laxisme, l’Etat redouble d’activité. Dès 2015 des milliers de fonderies, cimenteries et centrales thermiques étaient visitées inopinément par les agents de la NDRC et de l’Environnement. Sur le papier, le bilan semblait rassurant, avec 99% des centra-les équipées contre les rejets de soufre et 92% contre ceux de monoxyde d’azote. Mais en pratique, nombre d’entre elles débranchaient les filtres et optimisaient les profits de deux manières : en empochant la prime de production propre, et en gardant le rendement maximal ! Pour cette fraude, la NDRC imposa à 605 centrales 47 millions de $ d’amende, notamment à celles des groupes Shen-hua (le n°1 national du charbon) et Guodian. Le ministère dénonce aussi des centaines de PME entre Henan et Shandong, qui gardent leurs chaînes de production en infraction aux consignes…

Autre initiative, le Shanxi, promet de réduire de 20% ses émissions de soufre, d’azote et de µ2,5 d’ici 2020, moyennant diverses mesures strictes tel ce moratoire aux unités nouvelles de béton, verre, ciment ou à charbon. C’est un tournant pour cette province dite la « mine du pays », notoirement des plus corrompues jusqu’en 2016, mais dont l’appareil politique (exécu-tif et parlement) a été décapité par une campagne anti-corruption à la main spécialement lourde.

Une autre initiative est ce satellite Tansat lancé le 22 décembre, d’un poids de 700kg sur orbite à 700km. Tous les 16 jours, il mesure en tout point de la Terre, les variations d’émission avec une précision de 1%. Mais l’opération, pour l’instant, reste peu utile contre les industriels indélicats. Elle sert surtout à élaborer la politique écologique et vérifier les déclarations des Etats…

L’outil environnemental le plus sérieux pour juguler l’hydre de la pollution, est cette loi votée en décembre à l’ANP, imposant de nouvelles taxes au nom du principe « pollueur-payeur ». La date d’entrée en vigueur au 1er janvier 2018 est une concession au monde industriel, pour lui permettre de se mettre en conformité. Elle rapportera selon ses auteurs 50 milliards de $, contre 2,5 milliards l’année passée. Surtout, le produit de la taxe reviendra aux pouvoirs locaux, ce qui leur fournira pour la première fois dans l’histoire du régime, une motivation concrète à frapper les pollueurs. Jusqu’alors, le produit des amendes « vertes » revenait aux bureaux de l’Environnement et non aux mairies, qui préféraient dès lors privilégier la pollution au nom de la défense de l’emploi – et des taxes industrielles locales…

L’effort politique des dernières années pour enrayer la pollution se lit dans l’évolution de la consommation d’énergie primaire à travers la Chine, présentée récemment par Nur Bekri, Président de la NEA, Agence nationale de l’Energie. De 2005 à 2012, la demande en énergie a cru de 6,4% contre 2,3% de 2012 à 2016.

Cette évolution peut se lire de deux manières, positive et négative. Au plan positif, la demande a baissé durant le dernier Plan quinquennal, de près d’1% par an. Mais au négatif, elle reste en augmentation brute, brûlant par an l’équivalent de 4,36 milliards de tonnes de charbon et +1,4% au lieu des 0,9% qui étaient attendus. La production houillère atteindra 3,9 milliards en 2020—elle faisait 3,75 milliards de tonnes en 2015. C’est un indice d’une tendance au gaspillage, qui ne s’améliore pas. Cette industrie produit sous une demande énergétique décuple de celle d’économies matures telles celles d’Europe et d’Amérique…

Pour améliorer l’efficacité énergétique et faire reculer la part du « mauvais » charbon, le 13ème Plan (2016-2020) prétend fermer 800 millions de tonnes par an de mines petites et/ou de charbon médiocre, tout en développant des gisements de haute qualité pour 500 millions de tonnes par an, pour ne garder que 6000 mines à échéance.

De plus, d’ici 2020, l’Etat veut créer 13 millions d’emplois dans les renouvelables (éolien, hydro, solaire et nucléaire), moyennant 72 milliards de $ d’investissement annuel, dont 29 milliards pour le solaire (200 grandes fermes solaires par an), 20 milliards/an pour l’éolien, 14 milliards pour l’hydro, le reste se partageant entre le géothermique et l’énergie marémotrice. De la sorte, en 2020, la moitié des centrales nouvelles seront en renouvelables—le reste demeurant fidèle à la filière des charbons et hydrocarbures.

Mais il ne s’agit là que de vertueuses promesses, coulées dans le même moule que celles de l’an passé qui n’ont pas été tenues…


Taiwan : Tsai en Amérique Latine – le bras de fer !

Depuis mai 2016, le sort de Taiwan repose sur les épaules de Tsai Ing-wen, sa Présidente élue, du parti indépendantiste DPP. L’île de 22 millions d’habitants se trouve à 140km au large du géant chinois d’1,3 milliard – David face à Goliath. A l’issue de la guerre civile doublée d’un conflit mondial idéologique, l’histoire a voulu que Taiwan hérite de la Chine « nationaliste », tandis que le continent devenait en octobre 1949 « socialiste ». Depuis lors, Pékin réclame sans cesse le retour de sa « province rebelle ». Mais l’île aux richesses et aux libertés bien plus étendues que celles de Chine, se fait tirer l’oreille et s’ingénie à maintenir son indépendance « de facto ».

Depuis l’élection de Tsai en janvier 2016, le statu quo se fait précaire, à mesure que Pékin se réarme. D’ici 2020 on le sait, « notre nouvelle grande muraille » – le surnom de l’Armée Populaire de Libération – recevra 233 milliards de $ en budget de fonctionnement, 60% de plus qu’en 2016 (146 milliards), ou le double de 2010 (123 milliards). C’est assez pour multiplier les constructions de porte-avions, sous-marins et avions furtifs. En septembre 2016 l’état-major taïwanais croyait l’APL capable de reconquérir le territoire insulaire par la force, à partir de 2020… Manifestement Xi Jinping a mal supporté la défaite électorale du nationaliste Ma Ying-jeou qui était en faveur de la réunification—il perd patience.

Depuis, la Chine fait pression sur les instances internationales pour qu’elles refusent la présence de délégués taïwanais. Elle vient de tenir de bruyantes manœuvres navales avec une flottille de soutien au porte-avions Liaoning à proximité de l’île nationaliste. Elle vient aussi de rafler à Taiwan, moyennant un gros chèque, son ambassade à Sao Tomé-et-Principe, un des plus petits Etats d’Afrique, au large du Gabon, et un des 21 qui reconnaissait encore la Chine « nationaliste » plutôt que celle « socialiste » !

 Tsai doit donc naviguer plus serré que jamais. Mais sa position de 1ère femme à la tête du pays, lui donne des atouts que d’autres Présidents avant elle n’avaient pas : une sensibilité politique plus intuitive et pragmatique, un bon sens acquis en observant les échecs de ses prédécesseurs. Quoique issus de partis opposés, les Présidents Chen Shui-bian (DPP) et Ma Ying-jeou (Kuo Min Tang) ont vécu des trajectoires curieusement parallèles : une popularité fulgurante à leurs débuts, suivie d’une dégringolade, avec moins de 10% de voix au final. Chen, pour corruption invétérée qui l’a amené en prison, et Ma, pour ses tentatives d’accélérer la réunification et par autoritarisme – son exigence sourde aux appels de la rue. Tsai en a déduit les erreurs à ne pas commettre.

Grande travailleuse, diplômée de la prestigieuse London School of Economics (ancienne professeur en université), elle a dû faire preuve de doigté, durant ses années de course au leadership, pour reconstruire son Parti après la débâcle de Chen Shui-bian. Il s’agissait de bannir les deux thèses extrêmes, la fusion de Taiwan dans une Chine non démocratique, et la déclaration d’indépendance, au risque quasi-certain d’un début d’hostilités militaires aux conséquences catastrophiques.
Pas de confrontation donc. Mais face à Xi Jinping, Tsai ne montre aucune peur et marche « droit dans ses bottes ». Le 31 décembre, durant ses vœux à la presse, elle a reproché à Xi de « reprendre le vieux chemin des menaces et de l’intimidation ». Elle a aussi promis de tenir le cap : « durant ce premier semestre qui s’annonce instable (avec l’arrivée du Président Trump), nous devrons nous concentrer sur la manière de faire face—et nous y arriverons ».

Une stratégie prudente, donc, en paroles. Mais en pratique, la Présidente se montre beaucoup plus audacieuse : dès l’annonce de la victoire de Trump, elle l’a appelé, et le Président-élu a pris l’appel, provoquant la fureur (théâtrale et parfaitement auto contrôlée) des maîtres de Pékin. Et le 7 janvier, elle s’embarquait pour un périple latino-américain entre quatre pays alliés (Honduras, Nicaragua, Guatemala et Salvador), assortie de deux escales aux Etats-Unis (Houston et San Francisco), en dépit des grondements de la Chine.

Présentant ses propres vœux à la nation, Xi Jinping répondit que la Chine « défendrait ses droits territoriaux et maritimes », et « ne laisserait personne chercher des ennuis ». Sous cette tournure anodine, le mot recouvre une inquiétude et une menace, toutes deux précises. Pékin craint, et ne tolérera pas que Tsai rencontre Trump, lors de ses escales américaines. Ce serait évidemment un immense coup diplomatique, et le Président élu, interrogé sur la possibilité de rediscuter face à face avec son homologue insulaire, a laissé planer le doute : « on verra bien » !
Comme on le voit, la Présidente taïwanaise n’a pas froid aux yeux, et défend le statu quo d’indépendance « de facto » par tous les moyens.

Pékin de son côté, se réserve de punir l’insolence si elle se produit. Comme sanctions éventuelles, sont déjà citées dans la presse chinoise, de nouvelles manœuvres navales à proximité, « pour voir les dégâts qu’elles causent », un renforcement de la campagne d’isolation diplomatique de l’île, et l’interdiction aux continentaux de passer des vacances à Taiwan. Tout cela ferait mal à la population insulaire, mais moins que la perte de ses libertés et de son mode de vie. Par le passé, il faut enfin le rappeler, cette société civile a toujours fait front, derrière son leader, lors des successifs bras de fer engagés par le géant continental.


Petit Peuple : Yunhe (Zhejiang) – L’auberge espagnole de Yao Nanshan (1ère partie)

Pour Yao Nanshan, orphelin du Zhejiang, 1983 fut l’occasion d’une symbolique renaissance, au moment où il franchit le sas d’embarquement du vol CAAC vers Madrid avec escales, interminable périple aux multiples escales. Il venait de passer ses 36 premières années (fades et sans joie) entre Qingtian, sa colline aux terrasses de rizières, et Wenzhou la capitale provinciale.

Son père et sa mère ayant décédé quand il était encore tout petit, un oncle l’avait recueilli et placé, en guise d’école, en apprentissage dans une longue série d’ateliers marrons de piratage industriel, dont le principal attrait, pour l’oncle était de l’accepter sans frais—ni salaire. Jeune adulte 10 ans plus tard, Yao ayant touché à 100 petits boulots se retrouvait sans diplôme, condamné à des emplois précaires et mal payés. Comme toute sa génération, il rêvait d’Amérique et de nouveau départ, avec fortune et libertés à la clé…

Dur à la peine, il avait de la suite dans les idées : dans ses emplois suivants, longtemps, il épargna et se priva de tout, même d’une vie en ménage qui eût ruiné ses chances de nouveau départ.

Temple national du produit copié, Wenzhou était aussi un tremplin d’émigration vers l’Europe, Espagne entre autres destinations. Ceux qui y parvenaient envoyaient des mandats à ceux restés au pays et quand ils pouvaient, les faisaient venir. Par de telles relations, au bout de quelques années, son père adoptif parvint à lui décrocher un job à Séville, chez un cousin. Yao était prêt, doté d’un moral d’acier et de son pécule, arrondi par les largesses du clan.

Près de la tour de la Giralda, dans la perle de l’Andalousie, Yao fut cuisinier en restaurant – chinois, cela va de soi. Pour 15 heures par jour de plonge et de suée sur ses fourneaux, son patron lui assurait un salaire légal, une chambrette sous combles, et surtout le titre valant de l’or, le permis de travail d’un an renouvelable –on était dans cette époque d’or, aujourd’hui révolue, où les pays d’Europe, en pleine prospérité, encourageaient l’immigration. Avec lui, son généreux patron, un cousin éloigné, n’en était pas à son coup d’essai : en 20 ans, il avait fait venir plus de 40 garçons et filles, tous et toutes de Qingtian, qui lui vouaient une fidélité aveugle.

Durant un an, il trima à hacher le porc et les poireaux des raviolis, à effiler les blancs de poulet qu’il faisait rissoler au piment rouge et à la cacahuète. Pendant ce temps, il s’initiait à l’espagnol, mettait toujours de côté son salaire et se faisait un réseau d’amis andalous et chinois. Il avait une idée derrière la tête.

En 1986, il fit venir de Qingtian Xiangyun, qu’il épousa—mariage arrangé à distance par une entremetteuse. Secondé par cette fille aussi travailleuse que lui, Yao ne tarda pas à se mettre à son compte. Sa table était savoureuse et parmi les moins chères de la ville. En cinq ans, ils ouvrirent toute une chaîne de restaurants offrant bonne chère et prix bas. Suivant la recette immuable du clan, le couple continua à faire venir en 25 ans, pas moins de 200 jeunes du Zhejiang. Il leur mettait le pied à l’étrier et cette source de travailleurs lui offrait, face à la concurrence, un atout salarial imbattable… A 60 ans, Yao et Xiangyun étaient millionnaires et leurs enfants déjà grands, mariés, avec de belles carrières professionnelles.

Mais le destin voulut qu’en 2010, Xiangyun décéda d’un cancer non détecté à temps – elle détestait les médecins, y voyant une perte de temps.

Dans sa solitude, Yao commença à se voir hanté d’un nouveau rêve, bien chinois : celui d’un retour au pays, pour y finir ses jours et y reposer pour l’éternité. Selon le proverbe, il fallait que « yè luò guī gēn » (叶落归根), « les feuilles retombent près des racines de l’arbre » – que le voyageur s’en retourne au pays !

Mais ce désir, il eut d’abord du mal à l’assumer, voyant les risques : fallait-il vraiment quitter ce confortable train de vie conquis à la dure, ces soirées entre amis qu’il adorait ? Et ses enfants qu’il verrait moins souvent ? Et puis, en retournant au village, était-il si sûr d’être bien accueilli ? N’allait-on pas l’assaillir de demandes cupides de payer les études, la voiture, l’appartement d’un tel ou d’une telle, au titre du prix à payer pour le retour au clan ?

Yao vivait donc ce dilemme impossible, et au fond, il n’osait pas sauter le pas, craignant de se montrer ingrat vis-à-vis d’un destin qui s’était montré si prodigue de bienfaits.

En mars 2013, Jin Zhihua, son ami, eut une idée géniale pour l’arracher à cette valse-hésitation : il lui proposa un voyage d’« études » en son Zhejiang, non dans sa montagne natale où il risquait d’être trop sollicité, mais dans celle de Yunhe, à quelques kilomètres, là où il serait incognito. Enthousiaste, Yao accepta.

À destination, ils furent séduits par la beauté du site aux 700 terrasses jusqu’à 1400m d’altitude suivant les courbes de niveau, aux fermettes cholées aux toits de brique grise, aux tons argent ou vert incandescent, aux bouffées de brumes et de nuages accrochés aux cimes.

La première journée à Yunhe se déroula à merveille. Une fois éteints les derniers rayons sur les rizières, ils constatèrent qu’il était trop tard pour le dernier bus pour Lishui, la ville à 67km – il faudrait passer la nuit sur place. Et pourquoi pas chez Liu Lijuan, une veuve avenante et bien élevée, dont Jin avait commencé à lui faire l’éloge ? C’était à deux pas… Ils s’y rendirent, cognèrent à son huis !

Le stratagème de Jin Zhihua devient transparent : Réussira-t-il ? rendez-vous la semaine prochaine pour l’épilogue.


Rendez-vous : Semaine du 9 au 15 janvier 2017
Semaine du 9 au 15 janvier 2017

5 janvier – 25 février : Harbin (Heilongjiang), 33ème édition du spectaculaire Festival annuel des glaces et neige de Harbin

12-15 janvier, Pékin FUR Fair China, Salon international de la fourrure et du cuir

13-15 janvier, Sanya (Hainan), International Forum on Water