Editorial : Une reprise fièvreuse

Si le Président Xi Jinping avertissait en janvier 2019 contre les risques de « rhinocéros gris » (situation connue mais sous-estimée), et de « cygnes noirs » (évènements imprévus), il n’avait évidemment pas anticipé l’émergence à Wuhan d’une épidémie d’un nouveau coronavirus (新型冠状病毒, xīnxíng guānzhuàng bìngdú) potentiellement transmis à l’homme par le pangolin. C’est en ce mammifère menacé d’extinction, très prisé en médecine traditionnelle chinoise, que deux chercheurs de l’Université agricole de Chine méridionale (Canton) ont retrouvé 99% des traits génétiques du virus 2019-nCov. Cette maladie lui aurait été transmise par la chauve-souris, également à l’origine du SRAS en 2002… Déjà affublé de surnoms divers tels la « pneumonie de Wuhan » ou le « virus chinois », le 2019-nCov sera officiellement baptisé les prochains jours. Les épidémies passées (la « grippe espagnole », le « syndrome respiratoire du Moyen-Orient »  ou la « grippe porcine ») ont permis d’aboutir à une règle stricte afin de prévenir toute stigmatisation : tout nouveau nom doit éviter l’évocation d’un lieu géographique, d’une personne, d’un aliment ou d’un animal. En attendant, la Chine lui trouvait un nom temporaire, la « Pneumonie à Nouveau Coronavirus » (NCP en anglais). 

Au 10 février, le bilan était de 43 111 personnes infectées, 4 098 soignées et 1018 morts, la plupart au Hubei, épicentre de l’épidémie. Toutefois, les chiffres réels sont probablement plus élevés, car les hôpitaux manquent de kits de test (eux-mêmes pas aussi fiables qu’un scanner) et de lits. Les patients sont donc contraints de rentrer chez eux, non diagnostiqués et risquant de contaminer leurs proches et leur communauté… Selon les calculs de chercheurs hongkongais, estimant que chaque patient en aurait infecté 2,68 autres, pas moins de 75 815 personnes auraient contracté le virus dans la seule ville de Wuhan. Le professeur Neil Ferguson de l’Imperial College de Londres, évalue la portée réelle du fléau à plus de 100 000 personnes contaminées. Masques, lunettes et combinaisons protectrices font cruellement défaut, mettant le personnel médical à risque. Au moins 1101 d’entre eux auraient été contaminés à Wuhan seulement. Pour renforcer des équipes à bout de souffle et de nerfs, 8 000 médecins et infirmiers du reste du pays ont été envoyés à Wuhan. Nouvelle largement médiatisée, deux hôpitaux d’urgence d’une capacité cumulée de 2 600 lits ont été érigés en un temps record (10 jours) sur le modèle de Xiaotangshan, bâti pendant le SRAS en périphérie de Pékin. Son directeur rappelait fièrement que 99% des patients internés à l’hôpital pékinois ont été soignés et qu’aucun membre du personnel ne fut infecté (contre 20% en moyenne pour les autres établissements). Mais les deux hôpitaux (qui fonctionnent en sous-capacité avec seulement 316 lits mis en service au 9 février) ne suffiront pas : un gymnase, et deux centres de convention et d’exposition ont été réquisitionnés pour accueillir 3 400 patients parmi les moins touchés. Pourtant, les habitants tremblent à l’idée que la promiscuité entre malades ne favorise la propagation du virus, ces espaces étant entièrement démunis de zone de confinement… On le sent bien, ces mesures d’urgence sont celles d’une municipalité mal préparée, dépassée par l’ampleur des évènements, faisant les frais d’un mécanisme d’alerte épidémiologique défaillant.

Entre le 10 janvier et le 2 février, seulement 1,28 milliard de voyages ont été réalisés, en déclin de 27,5% par rapport à l’an dernier. Le Dr Zhong Nanshan se veut rassurant : les congés ont été rallongés pour couvrir une période d’incubation de 14 jours. Les voyages retours ne devraient donc pas accélérer la contagion. Pourtant, après avoir revu deux fois ses propres prévisions, l’épidémiologiste affirmait que le pic de contamination n’a toujours pas été atteint, même si le nombre quotidien de nouveaux cas n’a pas augmenté depuis le 5 février. Si ce ralentissement se confirme, cela signifiera que les mesures prises par le gouvernement sont efficaces.

De toute manière, quel que soit le scénario épidémiologique, le pays ne pourra pas rester ainsi paralysé beaucoup plus longtemps… Comment les salariés en congés sans solde feront-ils pour payer leur loyer, ou rembourser leur prêt bancaire ? Comment les petites entreprises tiendront-elles, faute de trésorerie suffisante ? Comment les patrons vont-ils rouvrir leurs usines s’ils ne disposent pas d’assez de masques pour leurs ouvriers (ceux qui reviennent) ? Enfin, comment la population va-t-elle réagir lorsque des millions vont revenir en ville, alors que de nouveaux cas de coronavirus continuent d’apparaître chaque jour ? Le gouvernement amorce une esquisse de réponse, consistant en des exemptions de taxes et d’impôts, en des injections de liquidités par la Banque Centrale (174 milliards de $), en une obligation aux entreprises de verser un salaire minimum à leurs employés bloqués par les mesures de quarantaine. Certaines villes appellent même les propriétaires à exempter leur locataire de loyer (ou de le réduire) ! Une chose est sûre : si la Chine s’avance vers une reprise à marche forcée, le contexte est plus qu’incertain…

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1 Commentaire
  1. severy

    L’année du Rat commence donc par une épidémie dont l’origine est due à l’appétit effréné de Chinois superstitieux concaincus des vertus soi-disant magiques des écailles (et de la chair) de ces magnifiques animaux protégés par la convention des Nations-unies sur les espèces en danger, les pangolins. Mal leur en prend. Voilà leur naïveté de gloutons mal léchés récompensée. Il est regrettable que cette épidémie fasse passer de vie à trépas une flopée d’innocents et que la maladie soit devenue un produit d’exportation typiquement chinois. Espérons toutefois que ce mal parvienne à enrayer l’inassouvissable faim des Célestes écervelés pour les vertus pseudo-curatives des diverses parties de cadavres d’animaux protégés dont ils hâtent la disparition avec une avidité toute suicidaire.

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