Editorial : Retour à la realpolitik

Lorsqu’il s’agit de pollution, les Pékinois savent plaisanter : « Nous n’attendons plus grand chose de l’Etat dans ce domaine, disent-ils, on attend juste le vent ». Et le vent a du mal à souffler en ce moment, si bien que le ciel s’assombrit autant sur Pékin que sur l’économie chinoise. 
Les 1-2 décembre, la Chine a senti le vent du boulet : au G20 à Buenos Aires c’est un Trump plus Trump que jamais, qui a donné le tempo. La Chine a jusqu’au 1er mars 2019 pour faire des réformes – comprenez les réformes attendues par Washington. Sinon, la guerre commerciale va reprendre…

A Katowice en Pologne, pour la COP 24 (3-14 décembre), la conférence sur les changements climatiques, c’est une pluie de promesses, déjà entendues. La Chine confirme ses engagements mais reste de loin le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. L’an dernier, le ciel sur Pékin était d’un bleu rare mais cette année il redevient d’un gris déprimant. Le taux de particules PM2.5 dans l’air a augmenté de 30% depuis novembre par rapport à 2017. Que s’est-il donc passé ? En octobre 2017, le Président Xi Jinping prononçait 89 fois le mot « environnement » dans son discours aux cadres du Parti, contre 70 fois seulement le mot « économie ». En 2018, le rapport de force a changé et on ne parle plus que d’économie. Juste avant l’hiver 2017, le gouvernement chinois avait totalement interdit, ou considérablement limité, l’usage du charbon dans les centrales thermiques du Nord de la Chine, au profit du gaz (LNG) ou de l’électricité dans 4 millions de foyers. En quelques mois, la Chine pouvait respirer à défaut de pouvoir se chauffer convenablement. La pollution avait été réduite de moitié par rapport aux deux années précédentes. Mais l’Etat avait sous-estimé la boulimie de charbon pour se chauffer, s’éclairer et faire tourner la deuxième économie mondiale. Les cadres paniqués relançaient les fourneaux en décembre, et le gris du ciel est revenu.
Même schéma cet été. Le gouvernement annonçait la fermeture des usines polluantes dans 28 villes du nord de la Chine. La production d’acier et d’aluminium doit être réduite d’un tiers. Ces industries consomment des quantités considérables d’énergie et donc de charbon. Cette baisse de production permettant, d’une pierre deux coups, de réduire la pollution et limiter les surcapacités chinoises, tant critiquées par l’Europe et les Etats-Unis. Mais une nouvelle fois, les cadres zélés ont mal estimé les surcapacités en question. Le cours de l’acier et de l’aluminium a grimpé rapidement jusqu’à +33% sur les achats futurs et les annonces de la fermeture des aciéries du Hebei ont provoqué la crainte d’une pénurie et un effet mécanique sur la baisse sur la croissance. Résultat, la production d’acier et d’aluminium a repris de plus belle et la pollution également. La transition énergétique est donc loin d’être en place en Chine.

Autre effet papillon que n’avait pas anticipé le gouvernement : la guerre commerciale. Le ralentissement de la croissance à 6,5% cette année, et à 6% en 2019 selon l’agence Moody’s, oblige l’Etat à faire tourner ses usines pour faire tourner l’économie et donner du travail à ses millions d’ouvriers. Si le taux de chômage est resté stable, officiellement autour de 5%, il serait en réalité plus proche de 22% selon l’économiste He Qinglian. Le 5 décembre, le Conseil d’Etat a ainsi annoncé plusieurs mesures pour soutenir l’emploi dont des aides à la formation, la baisse des assurances employeurs pour les entreprises réduisant au maximum leurs licenciements, tout en demandant aux gouvernements locaux de lui proposer des mesures de soutien sous 30 jours. Plusieurs milliers d’usines ont en effet déjà fermées ou ont été délocalisées au Vietnam par exemple, inquiètes d’une baisse des exportations vers les États-Unis et vers l’Europe. Reste l’industrie lourde et ses millions d’emplois capables d’alimenter les grands travaux d’infrastructures de la Chine à l’étranger (BRI). Alors, tant pis pour les poumons et retour à la realpolitik !

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