Le Vent de la Chine Numéro 39 (2018)

du 10 au 16 décembre 2018

Vent de la Chine : Trophées des Français d’Asie, Eric Meyer lauréat du Prix du Public
Trophées des Français d’Asie, Eric Meyer lauréat du Prix du Public

Chers lecteurs,

Nous vous avions sollicités il y a quelques semaines pour voter pour Eric Meyer, rédacteur en chef du Vent de la Chine, dans le cadre du «  Prix du Public  » des Trophées des Français d’Asie, organisés par Le Petit Journal.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir de vous annoncer que grâce à votre forte mobilisation, Eric Meyer est l’heureux gagnant de ce Prix du Public ! « Je veux que ce Trophée soit l’occasion de mettre à l’honneur la communauté francophone expatriée en Chine depuis 1, 5, 10, 20 ans ou plus… Un grand merci à tous les lecteurs du Vent de la Chine, qui ressentent toujours plus le besoin de décryptage de l’actualité « tellement les changements sont importants et imprévisibles », selon les mots de l’un d’entre eux », commente Eric. Un Trophée qui récompense un parcours, mais aussi un tandem : « Durant ces trois décennies, j’ai toujours avancé avec mon épouse Brigitte, qui a tout partagé avec moi, les hauts comme les bas, depuis notre arrivée en Chine en 1987. A deux, nous nous complétons parfaitement, le « yin » et le « yang », en quelque sorte », sourit Éric. 

En 1987, le journaliste décide de prendre son envol pour la Chine : « c’était le pays le plus énigmatique de tous. Il me tardait de découvrir cette face cachée de la planète Terre, avec sa civilisation millénaire, sa sagesse confucéenne, sa religion bouddhiste . J’ai passé les 31 ans qui ont suivi dans l’émerveillement et la découverte permanente des hommes, des paysages, des modes de vie. Un bonheur m’est venu de l’interculturel, du choc permanent des valeurs et sens. Un autre de l’énergie vitale (huó , 活力)  émanant des Chinois (que j’essaie de retransmettre au mieux dans la rubrique Petit Peuple du Vent de la Chine). Je voyageais chaque mois dans les provinces, et écrivais intensément, sur tout… Ma vision du pays était naïve mais passionnée : j’y voyais un univers exotique ».

En 1996, Eric fonda Le Vent de la Chine, lettre circulaire confidentielle hebdomadaire. Dans ses colonnes, il relata tous les grands événements qui ont agité la Chine : l’abandon du système de tickets de rationnement, la phénoménale expansion économique et technologique, l’arrivée des TGV, le lancement de fusées, cabines spatiales et satellites mettant en place le système de GPS chinois Beidou, la fin de l’enfant unique, et la tentation pour les jeunes femmes, d’éviter le mariage pour vivre leur vie en toute liberté, l’explosion des paiements mobiles…

«J’ajoutais un critère qui devait s’avérer essentiel : ne jamais publier d’analyses moralisatrices. La Chine était assez vaste et assez inconnue pour me permettre de défricher ses champs de pensée ou de comportement, sans avoir besoin d’idéologie politique ». Ainsi, le lecteur est libre de se faire sa propre opinion, ces analyses lui permettent de façonner son jugement lui-même. Par ailleurs, Le Vent de la Chine est utile aux industriels, diplomates ou entrepreneurs, qui l’utilisent pour rédiger des rapports destinés à leur hiérarchie ou dans leurs relations avec leurs collaborateurs et amis chinois.

Après neuf livres, dont « Sois riche et tais-toi » et « Tibet, dernier cri », Eric travaille actuellement sur deux bandes dessinées aux éditions Dargaud.  « L’une traite de ma propre vie en Chine. C’est léger et amusant, on pourra y lire des situations burlesques auxquelles chacun pourra s’identifier. La deuxième parle d’un fait réel : un chalutier chinois parti pour le Chili, sur lequel une mutinerie va arriver. Multiples rebondissements garantis ! ».

Pour en savoir plus sur le parcours d’Eric Meyer, retrouvez son interview pour Le Petit Journal.

Cliquez ici pour découvrir les autres lauréats des Trophées de Français d’Asie (catégorie « Entrepreneur », « Education »,  « Culture/Art de vivre », « Social/Humanitaire ».


Editorial : Retour à la realpolitik

Lorsqu’il s’agit de pollution, les Pékinois savent plaisanter : « Nous n’attendons plus grand chose de l’Etat dans ce domaine, disent-ils, on attend juste le vent ». Et le vent a du mal à souffler en ce moment, si bien que le ciel s’assombrit autant sur Pékin que sur l’économie chinoise. 
Les 1-2 décembre, la Chine a senti le vent du boulet : au G20 à Buenos Aires c’est un Trump plus Trump que jamais, qui a donné le tempo. La Chine a jusqu’au 1er mars 2019 pour faire des réformes – comprenez les réformes attendues par Washington. Sinon, la guerre commerciale va reprendre…

A Katowice en Pologne, pour la COP 24 (3-14 décembre), la conférence sur les changements climatiques, c’est une pluie de promesses, déjà entendues. La Chine confirme ses engagements mais reste de loin le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. L’an dernier, le ciel sur Pékin était d’un bleu rare mais cette année il redevient d’un gris déprimant. Le taux de particules PM2.5 dans l’air a augmenté de 30% depuis novembre par rapport à 2017. Que s’est-il donc passé ? En octobre 2017, le Président Xi Jinping prononçait 89 fois le mot « environnement » dans son discours aux cadres du Parti, contre 70 fois seulement le mot « économie ». En 2018, le rapport de force a changé et on ne parle plus que d’économie. Juste avant l’hiver 2017, le gouvernement chinois avait totalement interdit, ou considérablement limité, l’usage du charbon dans les centrales thermiques du Nord de la Chine, au profit du gaz (LNG) ou de l’électricité dans 4 millions de foyers. En quelques mois, la Chine pouvait respirer à défaut de pouvoir se chauffer convenablement. La pollution avait été réduite de moitié par rapport aux deux années précédentes. Mais l’Etat avait sous-estimé la boulimie de charbon pour se chauffer, s’éclairer et faire tourner la deuxième économie mondiale. Les cadres paniqués relançaient les fourneaux en décembre, et le gris du ciel est revenu.
Même schéma cet été. Le gouvernement annonçait la fermeture des usines polluantes dans 28 villes du nord de la Chine. La production d’acier et d’aluminium doit être réduite d’un tiers. Ces industries consomment des quantités considérables d’énergie et donc de charbon. Cette baisse de production permettant, d’une pierre deux coups, de réduire la pollution et limiter les surcapacités chinoises, tant critiquées par l’Europe et les Etats-Unis. Mais une nouvelle fois, les cadres zélés ont mal estimé les surcapacités en question. Le cours de l’acier et de l’aluminium a grimpé rapidement jusqu’à +33% sur les achats futurs et les annonces de la fermeture des aciéries du Hebei ont provoqué la crainte d’une pénurie et un effet mécanique sur la baisse sur la croissance. Résultat, la production d’acier et d’aluminium a repris de plus belle et la pollution également. La transition énergétique est donc loin d’être en place en Chine.

Autre effet papillon que n’avait pas anticipé le gouvernement : la guerre commerciale. Le ralentissement de la croissance à 6,5% cette année, et à 6% en 2019 selon l’agence Moody’s, oblige l’Etat à faire tourner ses usines pour faire tourner l’économie et donner du travail à ses millions d’ouvriers. Si le taux de chômage est resté stable, officiellement autour de 5%, il serait en réalité plus proche de 22% selon l’économiste He Qinglian. Le 5 décembre, le Conseil d’Etat a ainsi annoncé plusieurs mesures pour soutenir l’emploi dont des aides à la formation, la baisse des assurances employeurs pour les entreprises réduisant au maximum leurs licenciements, tout en demandant aux gouvernements locaux de lui proposer des mesures de soutien sous 30 jours. Plusieurs milliers d’usines ont en effet déjà fermées ou ont été délocalisées au Vietnam par exemple, inquiètes d’une baisse des exportations vers les États-Unis et vers l’Europe. Reste l’industrie lourde et ses millions d’emplois capables d’alimenter les grands travaux d’infrastructures de la Chine à l’étranger (BRI). Alors, tant pis pour les poumons et retour à la realpolitik !


Diplomatie : L’affaire Huawei s’invite dans la guerre commerciale

Quelques jours après la trêve conclue entre Pékin et Washington en marge du G20 à Buenos Aires, l’annonce le 5 décembre de l’arrestation à Vancouver (Canada) de Meng Wanzhou, à la demande d’un juge américain, faisait l’effet d’une bombe. Dès le lendemain, Pékin s’insurgeait et demandait sa libération immédiate.

En effet, Meng n’est pas simplement la directrice financière du n°2 mondial des télécommunications, elle est aussi la fille de Ren Zhengfei, le fondateur et PDG du puissant groupe Huawei. Nommée vice-présidente en début d’année, elle était appelée à lui succéder. Une audition pour sa remise en liberté conditionnelle a eu lieu le 8 décembre et reprendra le 10 décembre. Huawei aurait utilisé une succursale nommée Skycom pour faire des affaires en Iran, contournant ainsi l’embargo américain. Meng risque donc 30 ans de prison pour « complot d’escroquerie au détriment de plusieurs institutions financières ».

Le Président Donald Trump assure ne pas avoir été informé de cette affaire au moment de son dîner avec son homologue Xi Jinping le 1er décembre. Un dîner au cours duquel les deux hommes avaient pourtant conclu une trêve de 90 jours, assortie d’une longue liste des concessions qui auraient été arrachées par le Président Républicain. Une liste qui ressemble surtout à une remise en cause en profondeur de la politique menée en Chine ces trente dernières années : mettre fin aux transferts forcés de technologies, aux atteintes à la propriété intellectuelle, aux barrières non tarifaires à l’accès notamment aux marchés publics, à l’espionnage informatique et au vol de données sur internet…

Autant de dossiers que la Chine ne peut traiter sans revoir sa stratégie d’ensemble. Trump assure que la Chine va satisfaire sous trois mois tous ces motifs de mécontentement, ajoutant même que Pékin va démanteler ses taxes de 40% sur les automobiles « made in USA », comme Tesla. De son côté, la Chine a promis de procéder à des achats massifs de produits américains (pour 1.200 milliards de $ « supplémentaires », notamment en énergie et produits alimentaires).

Mais l’absence de calendrier, de cadres précis de négociation et l’ampleur de la tâche n’ont trompé personne. Les places boursières dévissaient le 5-6 décembre à New York, Hong Kong et Shanghai. Les investisseurs ne croient pas en la fin de cette guerre commerciale et prédisent déjà la reprise des hostilités au 1er mars 2019. « Il y aura un véritable accord ou pas d’accord du tout », martelait Trump dans un tweet le 4 décembre. Autant dire que l’affaire Huawei tombe au plus mauvais moment et préfigure déjà la seconde phase d’une guerre commerciale où tous les coups sont permis…

Après l’autre géant chinois des télécommunications ZTE, c’est à Huawei de devenir l’ennemi public n°1 des Etats-Unis, qui lui reprochent d’avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran. Fondé en 1987 par Ren Zhengfei, ancien ingénieur militaire, Huawei aurait des liens avec l’Armée Populaire de Libération (APL) selon les services secrets américains – ce qu’a toujours démenti le groupe.

Cette année, la suspicion est encore montée d’un cran. La CIA et le FBI ont demandé aux membres des “5 yeux” (“Five Eyes »), l’alliance des services de renseignements des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de Nouvelle Zélande de redoubler de vigilance face à la menace Huawei.
L’Iran est devenu un levier dans cette posture agressive de la diplomatie américaine pour bloquer les entreprises chinoises dans leur développement international. Huawei est notamment en pointe dans le développement de la 5G et cette affaire risque de lui retirer toute possibilité de vendre ses technologies hors de Chine. La Commission Fédérale américaine des Communications étudie actuellement un texte visant à interdire les sociétés posant un « risque à la sécurité nationale » de toucher des subventions américaines pour le développement des réseaux 5G. Après l’Australie fin août, la Nouvelle-Zélande (27 novembre), le Royaume-Uni (5 décembre), puis le Japon (7 décembre) annonçaient que Huawei ne serait pas associé au développement de cette technologie sur leur sol.

L’affaire Huawei constitue donc un précédent dangereux pour l’économie chinoise. Le groupe a été financièrement choyé par Pékin. Il a ainsi été choisi pour faire passer l’armée chinoise à l’ère de l’électronique. Entre 2005 et 2010, la Banque chinoise de développement lui a accordé une ligne de crédit colossale de 35 milliards de $ pour financer son expansion à l’international. Mais le groupe est du même coup assimilé à un Cheval de Troie du régime, ce qui lui ferme de nombreux marchés et redonne l’avantage à Washington dans la bataille pour le contrôle de ces industries du futur.

Voilà qui ouvre indiscutablement une nouvelle ère dans les relations sino-américaines qui, depuis 1972, n’ont connu que de légères oscillations. La diplomatie chinoise est bousculée par Trump, Président volontaire et imprévisible. Déjà, sous la pression des États-Unis, Pékin a assoupli les règles sur les investissements étrangers en certains secteurs. Ainsi, pour la première fois, Pékin ouvre l’assurance et la banque. Fin novembre, Axa recevait le feu vert de l’autorité de réglementation (CBIRC) pour prendre le contrôle total de sa JV, et Allianz de devenir la première assurance étrangère à constituer une filiale contrôlée à 100%. Début décembre, c’était au tour de la banque suisse UBS, de recevoir le feu vert pour devenir la première banque étrangère à obtenir une participation majoritaire (51%) dans une JV du secteur. JP Morgan et Nomura ont déjà déposé un dossier. Daiwa, Crédit Suisse et Citibank y regardent sérieusement, tandis que Société Générale étudie activement le projet pour 2019.

Cette guerre commerciale avec les Etats-Unis ne serait donc elle pas l’occasion pour la Chine d’un changement fondamental de paradigme dans sa gouvernance économique ? L’avenir le dira…


Santé : Lulu et Nana, une naissance qui fait scandale

Le 25 novembre, le chercheur chinois He Jiankui, 34 ans, provoquait un tollé dans le monde scientifique après avoir annoncé « avec grande fierté », en une vidéo postée sur Youtube, la naissance « il y a quelques semaines » de deux bébés à l’ADN génétiquement modifié. Le lieu où sont gardées les jumelles, Lulu et Nana, est inconnu du public, tandis que les allégations de He restent à être vérifiées indépendamment. Trois jours plus tard, lors du second Sommet international sur l’édition du génome humain à Hong Kong, He expliquait que son objectif n’était pas d’empêcher la transmission du VIH aux enfants, dont le père est séropositif (d’autres techniques existent pour ce faire), mais plutôt de les rendre résistantes au virus du sida.

C’est la première fois – du moins officiellement – qu’un scientifique va aussi loin dans des recherches menées en dehors de tout cadre légal et considération éthique. He est professeur associé à l’Université des Sciences et Technologies de Shenzhen. Cependant, l’Institut affirme que les recherches ont été menées sans son aval, alors que He était en congé sabbatique. Pourtant, les tests ont duré plusieurs mois et mobilisés une équipe complète. Deux cents couples, dont au moins l’un des deux partenaires est porteur du virus du Sida, s’étaient déclarés intéressés pour participer à l’expérimentation. Au final, 7 couples s’étaient engagés. Une fausse-couche serait advenue durant les premières semaines de grossesse—une seule fut menée à terme, celle de Lulu et Nana.

Enfant d’une famille pauvre du Hunan, He Jiankui a décroché une bourse d’études aux Etats-Unis. Diplômé de Stanford et Houston, il a travaillé avec les pionniers des travaux sur l’ADN humain dont le professeur Stephen Quake, son mentor. Aux Etats-Unis, il a aussi découvert le potentiel commercial exceptionnel de ces techniques (CRISPR). Dès son retour à Shenzhen en 2012, il trouve des financements (notamment auprès des investisseurs du réseau de cliniques privées, Putian Group) qui lui permettent de créer deux entreprises, Direct Genomics et Vionomics. La municipalité de Shenzhen l’a d’ailleurs généreusement soutenu avec 6 millions de $ de subventions.

Pour l’instant, He Jiankui est suspendu, invisible en public depuis le sommet hongkongais et le gouvernement s’est nettement distancié du projet, promettant des sanctions. Mais quel avenir pour les fillettes ? Le danger est réel, des altérations pouvant survenir dans le génome de manière inattendue. De plus, les caractéristiques de leur ADN modifiés seront retransmises à leur descendance. Un suivi à vie est nécessaire—qui en sera chargé ? Autant de questions aujourd’hui sans réponses…

En Chine, les recherches dans le domaine des biotechnologies sont en pointe depuis déjà une quinzaine d’années. A Shenzhen, on trouve ainsi les deux plus importants parcs industriels dans le domaine de la génétique. A l’échelle nationale, elle compte près de 2.500 laboratoires pesant plus de 35 milliards d’euros. Le gouvernement y investit un demi-milliard d’euros par an, alimentant une course folle aux découvertes scientifiques, quitte à brûler certaines étapes et certains principes. « L’industrie chinoise des biotechnologies est comme un bébé dragon en train de grandir très vite et que plus personne ne pourra ignorer. Le monde occidental n’a plus l’hégémonie dans ce domaine et, aujourd’hui, les innovations viennent de Chine », confirme Peter Singer de l’Université de Toronto et auteur d’un rapport sur les biotechnologies en Chine.

L’autre secteur en pointe est le clonage humain. Il y a dix ans déjà, le professeur Li Jianyuan de l’hôpital Yantai, devenait le premier scientifique à réaliser le clonage de cinq embryons humains. « Beaucoup de scientifiques s’intéressent à ce domaine parce qu’il offre des perspectives exceptionnelles, explique le professeur, il y a beaucoup de maladies pour lesquelles nous n’avons actuellement aucun traitement. Grâce au clonage des embryons humains, on peut obtenir des cellules qui permettront de traiter les patients, notamment pour des transplantations d’organes ». Le Professeur Li rêvait alors d’un dialogue avec des scientifiques français sur ce sujet et s’étonnait de la psychose en Occident autour du clonage. Car la technique est controversée : utiliser les cellules souches provoque la destruction de l’embryon cloné. Beaucoup de pays ont donc préféré y mettre un terme pour des questions éthiques. Ce n’est pas le cas en Chine où l’on s’appuie sur une tout autre philosophie : « Selon la pensée confucianiste une personne est considérée comme un être humain après sa naissance. Cette philosophie existe depuis des milliers d’années en Chine. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de problème pour nous à détruire des embryons humains pour conduire les recherches sur les cellules souches, justifie Qiu Renzong, professeur de philosophie à l’Académie des Sciences sociales de Chine. « Pour nous, les embryons et les fœtus ne sont donc pas des êtres humains. ».
En s’appuyant sur cette philosophie vieille de 2000 ans, la Chine s’attaque donc aux maladies du 21ème siècle. C’est le même schéma qui a conduit le professeur He à s’affranchir des règles. Depuis 2003, les recherches sur l’ADN humain sont pourtant encadrées par le ministère chinois de la Santé. Les expérimentations ne sont pas officiellement interdites mais nécessitent des autorisations. Et le cas de He Jiankui pose évidemment la question de la supervision des expérimentations. Pékin a également décrété en 2012 un moratoire sur les thérapies cellulaires. Les hôpitaux qui les pratiquent ont par exemple interdiction de faire payer ces thérapies en phase d’essai. Mais les recherches et les affaires ont continué…Certains laboratoires commercialisent même des cellules souches sur internet. Vendues 15.000 euros l’unité, elles alimentent un réseau d’hôpitaux qui auraient traité plus de 6.000 patients sans autorisation officielle. Ce commerce pourrait cette fois subir un sérieux coup de froid si Pékin fait réellement appliquer ses directives. Mais dans le même temps, le ministère compte beaucoup sur ce secteur qui assure la montée en gamme de la santé publique avec pour objectif de rattraper d’ici 2030 les pays développés tout en évitant de gonfler ses importations et ses dépenses.


Société : Dans les petits papiers de Pékin

Après le classement des célébrités « socialement responsables », était publié le 26 novembre dans la presse officielle la liste préliminaire des 100 « héros » distingués à l’occasion du 40ème anniversaire de la politique de réforme et d’ouverture. En fait, la liste dépasse largement son sujet, et détourne le projecteur vers d’autres catégories : chanteurs, sportifs, scientifiques… Seuls deux économistes sont nommés : Li Yining et Justin Yifu Lin. Le premier a contribué à théoriser la réforme économique. Il est surnommé « monsieur Stock Market » pour avoir créé la Bourse de Shanghai dans les années 90. Le second est l’une des stars de l’économie chinoise, un ancien militaire Taïwanais qui a rejoint la Chine communiste en 1979 avant de décrocher un doctorat d’économie à Chicago et occupé le poste prestigieux de chef économiste à la Banque mondiale entre 2008 et 2012.

Grand absent de cette liste : Wu Jinglian, 88 ans, le père spirituel de la réforme. Il a théorisé le socialisme à la Chinoise, celui qui rend compatible économie de marché et République populaire. Arrêté pendant la révolution culturelle, accusé d’espionnage au profit des Etats-Unis en 2008 par le Quotidien du Peuple, il dénonce depuis 15 ans ceux qu’il appelle les vieux Maoïstes corrompus. En septembre, il inaugurait encore le Forum des 50 économistes du pays, par un discours remarqué en faveur du marché.

La part belle a été faite aux entrepreneurs avec le trio habituel de l’internet : Jack Ma, fondateur d’Alibaba, Pony Ma, patron de Tencent, ou Robin Li, du moteur de recherche Baidu. Alors que Li Dongsheng (TCL), Liu Chuanzhi (Lenovo) étaient nommés, Ren Zhengfei, le fondateur de Huawei manquait à l’appel. Il s’agissait peut-être de ne pas trop exposer les liens, soupçonnés par les Etats-Unis et l’Europe, entre Huawei et l’armée chinoise.

Autres heureux élus du secteur privés : Liu Yonghao, fondateur du groupe agricole New Hope Liuhe, les automobiles Geely avec Li Shufu, Wu Rongnan de Xiamen Airlines, He Xiangjian du groupe électroménager Midea… En revanche pas une ligne sur Wang Jianlin du groupe Wanda ou Guo Guangchang de Fosun—peut-être est-ce suite à leur rappel à l’ordre par le gouvernement après une frénésie d’acquisitions à l’étranger durant l’été 2017.

Enfin, 24 cadres de base ont été honorés plus pour leur ardeur patriotique que leur rôle économique, tel Wang Shumao, distingué pour sa « vigoureuse protection des intérêts nationaux en mer de Chine du Sud » contre les pêcheurs philippins, ou encore feu Ma Man-kei, un homme d’affaire macanais partisan du retour de Macao à la mère patrie. Preuve que le patriotisme reste une valeur sûre…


Santé : Une réforme sur le point de naître

35% des accouchements en Chine se font par césarienne. Il s’agit du taux le plus élevé au monde, bien supérieur aux recommandations de l’OMS qui se situent autour de 10-15%. En effet, la péridurale reste très peu connue et pratiquée en Chine, avec 10% en moyenne dans le pays et de grandes disparités allant de 38% dans l’Est à 1% dans les provinces pauvres du Nord-Ouest. En Chine, elle souffre de nombreux préjugés : elle serait dangereuse, nuirait à la santé et à l’intelligence du nourrisson et qu’elle aurait des conséquences néfastes pour la santé des mères. Elle n’est d’ailleurs pas couverte par le régime d’assurance publique. A l’inverse, les risques d’une césarienne sont souvent sous-estimés par les parents chinois, et nombreuses sont les futures mères qui pensent que la césarienne est l’unique moyen de limiter la douleur à l’accouchement.

Pour remédier à cette situation, la Commission Nationale de la Santé a annoncé le lancement d’un programme-pilote visant à proposer systématiquement des péridurales pour soulager la douleur lors d’un accouchement par voie basse. Les hôpitaux ainsi sélectionnés pour ce programme (dont le nombre n’est pas encore connu) doivent être dotés de départements d’anesthésiologie et d’obstétrique et atteindre l’objectif d’au moins 40% d’accouchements sans douleur d’ici la fin de 2020. Or, avec quelques 44.000 naissances par jour en Chine, et un nombre de médecins, d’infirmiers et de sages-femmes trois fois moins élevé qu’en France, les hôpitaux préfèrent les césariennes, qui leur permettent de planifier au mieux les naissances. Certains établissements sont donc réticents à immobiliser des chambres et du personnel le temps nécessaire à la naissance par voie naturelle. Quand cette dernière immobilise une sage-femme de longues heures, la césarienne ne dure que trente minutes… Par ailleurs, la moyenne des prix pratiqués pour un accouchement par voie naturelle dans un établissement public se situe autour de 3000 yuans contre 11.000 pour une césarienne. Le calcul est donc souvent vite fait pour les hôpitaux…

La partie la plus importante du programme-pilote sera sans doute la campagne d’information « à travers des livres, la presse et sur internet », afin de faire évoluer les mentalités des futurs parents. Un soutien financier de l’Etat auprès des hôpitaux pour changer leurs méthodes semble nécessaire. De même que davantage de formation pour palier à la pénurie d’anesthésistes et de sages-femmes.

Enfin, avec la possibilité désormais pour les parents chinois d’avoir un second enfant, il devient urgent de faire évoluer cette pratique car une césarienne pour une première naissance induit des risques élevés si la seconde se fait par voie naturelle. Dans l’objectif de relancer la natalité en Chine, le gouvernement a tout intérêt à éviter dans la mesure du possible les césariennes.


Petit Peuple : Shanghai – Qi Ersheng réinvente la vie (1ère partie)

Toute sa vie depuis Shanghai où elle réside, Qi Ersheng s’est battue pour son indépendance financière, tout en poursuivant la quête de sa propre identité. Née en 1945, quatre ans avant l’avènement de la Chine nouvelle, Ersheng fut baignée toute sa jeunesse dans l’aventure socialiste, à laquelle ses parents participaient avec ferveur, à l’instar de la quasi-unanimité de leur génération. En fin d’études scolaires, ses bons résultats et son zèle révolutionnaire lui assuraient une place à l’université Jiaotong, en fac de mathématiques, où elle terminait en quatre ans sa maitrise. Malheureusement pour la jeune femme, la prestigieuse université devait fermer au moment où elle devait y intégrer : Mao demandait à la jeunesse éduquée d’aller avec lui « retourner son canon contre le quartier général »  (调转炮口朝向司令部- diàozhuǎn pào kǒu cháoxiàng sīlìngbù).

Pas rancunière, et même avec ferveur, Ersheng s’était alors jointe à la croisade des 14 millions des enfants de la ville, lancés vers les provinces les plus reculées, dans les villages, pour aller porter la révolution culturelle dans les communes populaires. Pour elle, comme pour les autres jeunes instruits, pas question à l’époque de perdre son temps au flirt ou à l’éducation sentimentale, ni même penser au mariage et fonder famille. Deux ans après la mort de Mao, Ersheng, 33 ans, avait reçu la permission de retourner à Shanghai – elle avait perdu la foi en l’« Orient rouge ». Désormais elle ne pensait plus qu’à vivre sa vie à elle, récupérant les derniers feux de sa jeunesse sacrifiée pour rien. Elle voulait reprendre les études.

Quand Jiaotong rouvrit en 1976, après 10 ans de hiatus, et lança son premier concours d’entrée, elle s’y présenta et réussit haut la main – s’assurant de la sorte une des 300 places offertes aux 50.000 candidats. Trois ans plus tard, diplômée, elle refusa la place qu’on lui offrait dans un ministère – le poste était couplé à une carte du Parti, dont elle ne voulait plus entendre parler. Elle eut par contre la prudence d’invoquer une autre raison, son envie de se consacrer à l’enseignement, et accepta un poste de professeur au lycée dépendant de l’université.

A 38 ans, c’était ainsi, malgré tout, un genre de consécration pour elle, ou de nouveau départ : elle accédait à une large indépendance, à une respectabilité et un métier acceptable. Elle était prête à façonner la glaise des générations de l’avenir, et de faire de son mieux, selon son propre humanisme, sa générosité.

Le poste allait avec un petit deux-pièces et un salaire modeste mais qui, complété par ses carnets de tickets de rationnement, lui permettaient de mener une vie simple sans rien devoir à quiconque, ni prêter flanc à la critique. Car Ersheng était devenue profondément non-conformiste, refusant de se plier davantage aux mots d’ordre moralisateurs des supérieurs, comme aux appels de moins en moins discrets de ses parents pour qu’elle trouve chaussure à son pied, et compagnon pour leur donner un petit héritier.

Mais pour elle, c’était très clair : après ces décennies perdues en campagnes insensées pour le profit de la folie collective, elle ne voulait plus donner au pays que ses heures de cours. Pour se faire pardonner sa révolte implicite, elle gardait une conduite discrètement irréprochable, préparant sérieusement ses cours, corrigeant impeccablement les devoirs et ne manquant jamais une réunion de collègues, de parents d’élèves ou de la cellule interne du collège.

Une manière de se faire bien voir consistait à se porter volontaire comme accompagnatrice des excursions scolaires à travers les provinces, une tâche qui rebutait la plupart des collègues n’aimant ni le train, ni les séparations familiales d’une à deux semaines. Pour Ersheng en fait, ces voyages étaient son jardin secret, le moment d’imprévu et d’aventure. Elle y découvrait les célébrités touristiques, les bâtiments ou ouvrages célèbres du Henan, les beautés naturelles de Huangshan ou des gorges du Fleuve Jaune.

En charge de 30 adolescents, elle voyait s’épanouir chez eux de nombreux traits plus affirmés, d’humour, d’amitié ou de responsabilité, se déployer leurs personnalités propres, après quelques jours de séparation des parents et des profs coutumiers, de tous ceux qui les maintenaient d’habitude la bride serrée. A Danba (Sichuan), village tibétain aux tours patriciennes à flanc de colline, elle devait séparer deux garçons dressés sur leurs ergots pour les faveurs d’une même fille. A Gyantze (Tibet), sur la terrasse de la forteresse, sous un soleil incandescent dans l’air raréfié, elle faisait pique-niquer sa petite troupe, aux côtés de paysans qui leur faisaient passer des bolées de chang, boisson légèrement alcoolisée à base de riz. A Hotan (Xinjiang) par 35°C à l’ombre, elle visitait avec ses garnements le marché aux mille légumes rutilants, aux 100 espèces d’amandes, de noisettes, d’abricots et raisins secs.

Après quelques années, elle avait acquis toutes les ficelles pour se tirer des situations d’urgence : obtenir à la gare, juste avant le départ du train, des billets pour toute sa classe, en passant par la porte de derrière et offrant un bakchich à la guichetière… Elle apprenait ainsi les ficelles du tour-operator.

De retour à Shanghai, elle évitait de raconter ses voyages aux collègues : la seule avec qui elle partageait ses souvenirs et ses photos, était sa mère, devenue veuve.

Cependant ce paradis caché ne pouvait être éternel. Les années passaient, puis les décennies, et s’approchait le moment de tous les dangers, l’an 2000 qui sonnerait sa retraite à 55 ans, limite obligatoire pour les femmes ! Alors tout disparaîtrait, son salaire dont elle n’aurait en pension que la portion congrue, et ces voyages gratuits : tout son mode de vie serait remis en cause. Rien que d’y penser, Ersheng en faisait des nuits blanches, angoissée par cette phase nouvelle, comme une page blanche du livre de sa vie, qui restait à écrire…

La suite de l’histoire, la semaine prochaine !


Rendez-vous : Semaine du 10 au 16 décembre 2018
Semaine du 10 au 16 décembre 2018

9-11 décembre, Shanghai : CAAFEX Shanghai, Salon international du thé, du café et des boissons en Chine

12-14 décembre, Canton : IMMEX China, Salon international de l’industrie maritime. Construction et réparation de bateaux, ingénierie offshore, services, développement des ports

14-16 décembre, Pékin : ALL IN TUNING, Salon du Tuning

14-16 décembre, Shanghai : SHANGHAI INTERNATIONAL MONEY FAIR, Rendez-vous annuel de l’industrie chinoise de la finance

14-16 décembre, Shenzhen : AIC SHENZHEN CITY ART FAIR, Salon de l’art