Environnement : Plan hivernal, le dessous des cartes

Une vague de pollution dépassant quotidiennement 200 PM (µ2,5) se posa sur la Chine du Nord les 5-8 novembre. Classée alerte orange, elle força les habitants à ressortir masques et purificateurs d’air. La presse locale félicita les pouvoirs publics : en prenant le mal à la racine, ils avaient « préventivement diminué l’impact ».

Dès l’annonce de l’arrivée du smog, la mairie de Pékin avait lancé ses inspecteurs sur plus de 2000 chantiers, dont 62 avaient reçu une amende pour protection insuffisante. 3078 camions de sable ou de briques avaient été verbalisés et 1500 autres refoulés d’entrée dans la capitale.

Il n’empêche, comme l’explique Lauri Myllyvirta, « Mr. Energie » chez Greenpeace en Asie de l’Est, la tâche rouge sur la photo satellite datée du 4 novembre (cf photo), pointe la « plus forte trace de pollution d’origine humaine sur la planète ». Or, cet inquiétant dérapage intervenait alors que le chauffage urbain en Chine du Nord, attendu par des centaines de millions de résidents, n’était pas encore lancé, et en dépit des multiples plans de préventions déployés par l’Etat depuis une décennie. Il s’agit d’un fléau grave : la pollution de l’air en Chine, tue 1,2 million par an.

Selon l’analyse de Myllyvirta, deux facteurs combinés interviennent dans ce phénomène : le réchauffement climatique (qui maintient les vents chauds d’automne 15 jours plus tard) et le choix politique de l’Etat, depuis l’été 2016, de relancer le crédit pour soutenir l’industrie et le bâtiment. Le vaste périmètre de Pékin à Shanghai, englobant Hebei, Shanxi et Anhui, forme le cœur de l’immense bassin industriel chinois. Autour de toutes ces villes, aciéries, usines chimiques et cimenteries alimentées au charbon, émettent leurs fumées, portées vers le nord par de très lents vents, qui redistribuent leurs particules nocives sur leur passage—un peu à la façon d’un vaste égout céleste. Dès que le vent s’inverse, la pollution cesse. 50% des particules émises proviennent du charbon (industriel, thermique, des ménages), 30% du transport et de la biomasse, et le reste, de sources diverses, dont le brûlis des champs.

Pourtant, l’Etat a tenté de saisir le problème à bras le corps, depuis 2013. Pékin recensait alors des émissions records avec un pic de 994 PM en janvier 2014, provoquant chez les habitants un sentiment d’airpocalypse insupportable. L’Etat a porté la lutte dans un périmètre autour de 28 villes du Hebei, Henan, Shandong et Shanxi, ainsi que Tianjin et Pékin  -ce territoire brûlant plus de houille que les USA. Les centrales thermiques avaient été soumises à des normes strictes. Le pouvoir central avait facilité le crédit au déploiement de fermes éoliennes et solaires, garanti des prix de reprise de l’électricité – en 3 ans, le pays était devenu le 1er parc mondial d’énergies renouvelable. Des dizaines de milliers d’usines et chantiers avaient été visités par des inspecteurs de l’environnement, causant nombre d’amendes ou fermetures.

Le résultat dépassa les espérances. En deux ans, dans la zone, la pollution baissa en moyenne de 90 PM à 78 PM, évitant ainsi 160.000 morts prématurées, –20% du total de ces décès. La baisse fut si remarquable que même la remontée actuelle des émissions ne pourra probablement pas remettre en cause l’atteinte de l’objectif en mars 2018, soit 72 PM en moyenne.

Pour se donner les moyens de réussir, le pouvoir a lancé un dernier plan d’action d’hiver du 15 novembre au 15 mars, sur les mêmes 28+2 villes. Parmi les dizaines de mesures techniques imposées, figurent l’obligation aux aciéries et fonderies d’aluminium une réduction de débit de 50% des capacités. Cokeries, cimenteries et chantiers doivent fermer. Les camions sont davantage réglementés. Trois millions de foyers devront quitter le charbon pour le gaz ou l’électricité. Pour la région Pékin-Tianjin-Hebei, un Bureau Central de l’Environnement va naître, doté de dizaines de milliers d’inspecteurs nouvellement formés et recrutés.

Pour autant, il n’est pas temps pour la région de s’endormir sur ses lauriers. Limité à 4 mois, ce plan d’hiver permet aux gros pollueurs de renforcer l’activité avant la pause, puis après : sur la région, la baisse réelle de production d’acier n’atteindra pas 50%, mais seulement 25%. De ce fait, pour Myllyvirta, ce plan s’apparente au mieux à une « thérapie à court terme », simple étape dans la marche vers la décarbonisation.

L’objectif à long terme, pour les villes chinoises, est d’atteindre les standards nationaux en 2025, et pour Pékin, cas plus complexe, en 2030. Mais un obstacle politique se dresse : la subite rechute a été due, on l’a vu, à une réouverture du robinet des subventions à l’été 2016, qui perdure jusqu’à présent. Or, l’université Tsinghua a pratiqué une modélisation afin de voir s’il était possible pour les pouvoirs publics d’envisager la maitrise de l’air propre des villes, par les seuls moyens techniques modernes et sans toucher au rythme de croissance. La réponse a été sans appel : sans baisse des émissions, même la totalité des moyens disponibles ne suffirait pas à nettoyer l’air des villes. Avec un tel cahier des charges, seul un tiers des villes atteindraient les standards nationaux. On verrait même deux villes sur trois rater le second niveau de normes de l’OMS — considéré comme dangereux pour la santé. Autrement dit, il n’y a pas d’alternative, il faudra investir dans tous les moyens modernes ET repenser production et consommation dans un sens moins gaspilleur.

Est-ce faisable ? Myllyvirta hésite avant de répondre : « les années 2014-2016 ont prouvé qu’avec une volonté politique, la courbe peut être inversée. Si l’Etat impose des standards stricts à l’industrie comme il l’a fait aux centrales, s’il poursuit le développement des énergies renouvelables et réduit sérieusement les gaspillages, il peut y arriver ». 

 

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