Le Vent de la Chine Numéro 36 (2017)

du 13 au 19 novembre 2017

Editorial : Trump en Chine – Des cadeaux qui coûtent cher…

Suivi de son secrétaire d’Etat Rex Tillerson, de son gendre Jared Kushner, et de son épouse Melania, le Président Donald Trump débarquait à Pékin le 8 novembre, en visite d’Etat, après s’être rendu au Japon et en Corée du Sud. A chaque étape, ses hôtes ont appliqué la même stratégie, surprenante pour des Occidentaux, déployant tous les fastes afin de recevoir le Président de manière plus flatteuse qu’en son propre pays. Autre surprise, sans doute due à une préparation minutieuse de la part de son équipe, D. Trump s’est montré fort présentable et a réalisé un sans-faute diplomatique, évitant toute polémique et se montrant détendu, souriant et positif.

Xi Jinping a reçu D. Trump place Tian An Men avec tapis rouge et revue militaire, puis lui a offert une cérémonie du thé dans la salle des trésors de la Cité Interdite, suivi d’un dîner privé.  Pendant ce temps, ses conseillers et les 29 patrons de groupes américains se mettaient au tapis vert, annonçant dès le premier soir des affaires à hauteur de 9 milliards de dollars. Mais le lendemain, ce chiffre explosait à près de 253 milliards de dollars – du jamais vu !

Boeing fournirait 300 avions pour 37 milliards de $ à Spring, compagnie low-cost, et China Energy, financerait un projet de gaz de schiste expérimental en Virginie de l’Ouest, pour 87,7 milliards de $ .
Chantier historique : le fonds CIC, la Bank of China et Sinopec s’associent pour développer un gisement gazier en Alaska, dont les trois-quarts du gaz partiront en Chine. Il en coûtera 43 milliards de $, mais la rentabilité n’est pas l’objectif ultime. Ce sera le plus grand chantier mondial sous le cercle arctique. La Chine s’impose « 1ère puissance arctique » et elle le fait depuis le sol américain.
Qualcomm lui, veut livrer en 3 ans pour « environ » 12 milliards de $ de microprocesseurs à Oppo, Vivo et Xiaomi, fabricants de smartphones. Goldman Sachs ouvre un fonds de financement de 5 milliards de $ avec CIC pour des projets industriels bilatéraux ; DowDuPont livrera un polyuréthane résistant et léger, matière 1ère des futurs vélos partagés du groupe Mobike ; Caterpillar fournira des engins à China Energy ; Ford et GM se voient commander pour 11,7 milliards de $ en pièces et voitures ; Bell doit fournir à l’exploitant Reignwood 50 hélicoptères, en plus des 60 de la commande originale ; et JD.com, n°2 chinois du e-commerce, commande à long terme du bœuf du Montana, du porc du groupe Smithfields

Détail important, la majeure partie de ces « affaires » en sont au stade de la déclaration d’intention – ces « essais » doivent encore être transformés. Toutefois même ainsi, ils pourraient aboutir à des centaines de milliers d’emplois aux Etats-Unis – un bilan suffisant pour faire que la population et la presse américaine commencent à regarder leur Président d’un œil différent, inversant la courbe d’impopularité qui croît depuis son intronisation il y a tout juste un an.

En contrepartie, durant ces deux jours, Xi Jinping n’a rien lâché sur ses priorités. On a pu s’en rendre compte à l’écoute des allocutions des deux Présidents. Sur la Corée du Nord, Trump a pu évoquer l’isolement intraitable qu’il rêvait d’infliger au leader Kim Jong-un afin de le forcer à renoncer à sa course à la bombe. Mais Xi lui, s’est borné à réitérer son accord sur « l’objectif », pas sur la manière.
Sur l’expansion chinoise en mer de Chine du Sud, Xi s’est borné à remarquer que l’« océan Pacifique est assez grand pour tout le monde ». Et sur la demande de Trump d’ouverture du marché chinois et d’égalité de traitements entre firmes des deux pays, la réponse de Xi s’est cantonnée dans les banalités, sans s’engager sur aucune promesses…

C’est ainsi que Trump repartit de Pékin regonflé de gloire et de contrats, mais au prix de sa liberté de manœuvre face à la Chine, sur les questions qui comptent !


Environnement : Plan hivernal, le dessous des cartes

Une vague de pollution dépassant quotidiennement 200 PM (µ2,5) se posa sur la Chine du Nord les 5-8 novembre. Classée alerte orange, elle força les habitants à ressortir masques et purificateurs d’air. La presse locale félicita les pouvoirs publics : en prenant le mal à la racine, ils avaient « préventivement diminué l’impact ».

Dès l’annonce de l’arrivée du smog, la mairie de Pékin avait lancé ses inspecteurs sur plus de 2000 chantiers, dont 62 avaient reçu une amende pour protection insuffisante. 3078 camions de sable ou de briques avaient été verbalisés et 1500 autres refoulés d’entrée dans la capitale.

Il n’empêche, comme l’explique Lauri Myllyvirta, « Mr. Energie » chez Greenpeace en Asie de l’Est, la tâche rouge sur la photo satellite datée du 4 novembre (cf photo), pointe la « plus forte trace de pollution d’origine humaine sur la planète ». Or, cet inquiétant dérapage intervenait alors que le chauffage urbain en Chine du Nord, attendu par des centaines de millions de résidents, n’était pas encore lancé, et en dépit des multiples plans de préventions déployés par l’Etat depuis une décennie. Il s’agit d’un fléau grave : la pollution de l’air en Chine, tue 1,2 million par an.

Selon l’analyse de Myllyvirta, deux facteurs combinés interviennent dans ce phénomène : le réchauffement climatique (qui maintient les vents chauds d’automne 15 jours plus tard) et le choix politique de l’Etat, depuis l’été 2016, de relancer le crédit pour soutenir l’industrie et le bâtiment. Le vaste périmètre de Pékin à Shanghai, englobant Hebei, Shanxi et Anhui, forme le cœur de l’immense bassin industriel chinois. Autour de toutes ces villes, aciéries, usines chimiques et cimenteries alimentées au charbon, émettent leurs fumées, portées vers le nord par de très lents vents, qui redistribuent leurs particules nocives sur leur passage—un peu à la façon d’un vaste égout céleste. Dès que le vent s’inverse, la pollution cesse. 50% des particules émises proviennent du charbon (industriel, thermique, des ménages), 30% du transport et de la biomasse, et le reste, de sources diverses, dont le brûlis des champs.

Pourtant, l’Etat a tenté de saisir le problème à bras le corps, depuis 2013. Pékin recensait alors des émissions records avec un pic de 994 PM en janvier 2014, provoquant chez les habitants un sentiment d’airpocalypse insupportable. L’Etat a porté la lutte dans un périmètre autour de 28 villes du Hebei, Henan, Shandong et Shanxi, ainsi que Tianjin et Pékin  -ce territoire brûlant plus de houille que les USA. Les centrales thermiques avaient été soumises à des normes strictes. Le pouvoir central avait facilité le crédit au déploiement de fermes éoliennes et solaires, garanti des prix de reprise de l’électricité – en 3 ans, le pays était devenu le 1er parc mondial d’énergies renouvelable. Des dizaines de milliers d’usines et chantiers avaient été visités par des inspecteurs de l’environnement, causant nombre d’amendes ou fermetures.

Le résultat dépassa les espérances. En deux ans, dans la zone, la pollution baissa en moyenne de 90 PM à 78 PM, évitant ainsi 160.000 morts prématurées, –20% du total de ces décès. La baisse fut si remarquable que même la remontée actuelle des émissions ne pourra probablement pas remettre en cause l’atteinte de l’objectif en mars 2018, soit 72 PM en moyenne.

Pour se donner les moyens de réussir, le pouvoir a lancé un dernier plan d’action d’hiver du 15 novembre au 15 mars, sur les mêmes 28+2 villes. Parmi les dizaines de mesures techniques imposées, figurent l’obligation aux aciéries et fonderies d’aluminium une réduction de débit de 50% des capacités. Cokeries, cimenteries et chantiers doivent fermer. Les camions sont davantage réglementés. Trois millions de foyers devront quitter le charbon pour le gaz ou l’électricité. Pour la région Pékin-Tianjin-Hebei, un Bureau Central de l’Environnement va naître, doté de dizaines de milliers d’inspecteurs nouvellement formés et recrutés.

Pour autant, il n’est pas temps pour la région de s’endormir sur ses lauriers. Limité à 4 mois, ce plan d’hiver permet aux gros pollueurs de renforcer l’activité avant la pause, puis après : sur la région, la baisse réelle de production d’acier n’atteindra pas 50%, mais seulement 25%. De ce fait, pour Myllyvirta, ce plan s’apparente au mieux à une « thérapie à court terme », simple étape dans la marche vers la décarbonisation.

L’objectif à long terme, pour les villes chinoises, est d’atteindre les standards nationaux en 2025, et pour Pékin, cas plus complexe, en 2030. Mais un obstacle politique se dresse : la subite rechute a été due, on l’a vu, à une réouverture du robinet des subventions à l’été 2016, qui perdure jusqu’à présent. Or, l’université Tsinghua a pratiqué une modélisation afin de voir s’il était possible pour les pouvoirs publics d’envisager la maitrise de l’air propre des villes, par les seuls moyens techniques modernes et sans toucher au rythme de croissance. La réponse a été sans appel : sans baisse des émissions, même la totalité des moyens disponibles ne suffirait pas à nettoyer l’air des villes. Avec un tel cahier des charges, seul un tiers des villes atteindraient les standards nationaux. On verrait même deux villes sur trois rater le second niveau de normes de l’OMS — considéré comme dangereux pour la santé. Autrement dit, il n’y a pas d’alternative, il faudra investir dans tous les moyens modernes ET repenser production et consommation dans un sens moins gaspilleur.

Est-ce faisable ? Myllyvirta hésite avant de répondre : « les années 2014-2016 ont prouvé qu’avec une volonté politique, la courbe peut être inversée. Si l’Etat impose des standards stricts à l’industrie comme il l’a fait aux centrales, s’il poursuit le développement des énergies renouvelables et réduit sérieusement les gaspillages, il peut y arriver ». 

 


Diplomatie : Mer de Chine du Sud – un jeu complexe

Sous un apparent calme, la guerre froide de la mer de Chine du Sud n’a jamais cessé. La Chine poursuit sa stratégie d’occupation d’îlots dans les Zones d’Exploitation Economiques (ZEE) de ses voisins — espaces attribués aux pays riverains par la Convention internationale du droit de la mer (UNCLOS).

La dernière arme chinoise : la drague Tian Kun (cf photo), capable d’aspirer en une heure un mètre d’épaisseur de sédiment sur une surface d’un terrain de football. Elle annonce aussi deux tribunaux maritimes, judiciaire et d’arbitrage. Son ambition affichée est de devenir le « centre mondial du droit maritime » et d’offrir une alternative à la Cour Internationale de la Haye, référence judiciaire de l’UNCLOS.

Mais la stratégie ne passe pas, hors frontières. Signataire de l’UNCLOS, Pékin s’est mise dans son tort en rejetant en 2016 le verdict de la Cour de la Haye, qui donnait raison aux Philippines dans leur plainte pour violation de leur ZEE.

Les Philippines de leur côté vivent un dilemme, entre coopérer avec la Chine ou faire valoir leurs droits. Cet été, Manille avait voulu bâtir sur un îlot dans l’archipel des Spratley, des bâtiments « pour ses pêcheurs ». Mais la puissance chinoise est telle qu’un simple avertissement a suffi pour lui faire renoncer, et même ultérieurement, lui faire démolir le chantier.

Trois mois plus tard, à 48 heures du sommet de l’APEC à Danang (Vietnam, 11 novembre), R. Duterte le Président philippin déclare publiquement avoir abandonné le chantier dans ses eaux, moyennant une promesse des deux pays de ne plus créer d’îles artificielles ni de les militariser.

Cette annonce est faite pour avertir mais l’apparition de la drague a ébranlé la confiance. Plus d’un Philippin est convaincu qu’un tel outil ne peut servir qu’à reprendre l’expansion chinoise dans les eaux philippines et du Vietnam.

Aussi Duterte poursuit son discours en jurant de demander à Xi Jinping, le 11 novembre à Danang, une « clarification de ses intentions ». La ligne rouge à le pas dépasser, serait pour les forces chinoises d’ouvrir une base sur l’atoll de Scarborough, confisqué aux Philippines depuis deux ans. Duterte espère aussi négocier avec Xi un protocole militaire destiné à éviter à l’avenir toute « erreur de calcul », et conclut par ce mot étrange : « j’espère que vous tiendrez parole… Si une guerre éclatait, j’ignore quelle serait la future division géographique de l’Asie ».

Une telle harangue explicite en filigrane, la minceur de l’alliance sino-philippine conclue il y a 18 mois. En 2016, Duterte dénonçait la protection du « grand-frère » américain et « votait chinois », séduit par les projets d’équipements proposés  par Pékin, lignes ferroviaires et fournitures militaires, pour une vingtaine de milliards de $ au total. Mais aux yeux des Philippines, le sens de la nouvelle alliance ne peut en aucun cas être l’achat de leur souveraineté maritime par la Chine. Faut-il s’en étonner ?

Au Vietnam aussi, l’hôte du sommet de l’APEC, on s’apprête à réclamer à Xi Jinping ces mêmes éclaircissements. En juillet déjà, les relations se détérioraient avec Pékin quand l’APL forçait Hanoi à interrompre une mission d’exploration pétrolière dans une zone réclamée par la Chine. En août, suite à la militarisation d’îlots artificiels chinois peu éloignés des côtes vietnamiennes, le ministre des Affaires étrangères vietnamien annulait une rencontre avec son homologue chinois.

Depuis, en prévision du sommet de l’APEC, suivi de celui de l’ASEAN qui se tient du 11 au 14 novembre à Manille, le ministre Wang Yi s’est rendu à Hanoi pour un tête-à-tête « franc et massif », conclu par la signature d’un protocole de résolution des conflits, « selon le bon sens et la loi internationale ». Si ce dernier terme est respecté, il marquera un tournant dans la stratégie chinoise en mer de Chine du Sud, et un pas vers une solution.

Sur le terrain, cependant, la crise ne fait que gagner en complexité. Hanoi et Manille savent que leur développement ne peut exister sans les investissements, les technologies et le marché chinois. Dans ces conditions, on peut comprendre la tentation de la Chine d’offrir ces avantages aux petits voisins, en échange de quelques bancs de sable et de cocotiers. Ce serait sans doute, sans les priver d’une exploitation (partagée) des droits de pêche et droits pétroliers, permettre à Pékin l’assouvissement de son rêve de suzeraineté régionale.

Mais le calcul ne tombe pas juste, faute de percevoir la fierté patriote de ces pays. Même pour satisfaire Pékin, leurs dirigeants ne peuvent aller à l’encontre de ce sentiment national renaissant. De plus, maintenant que la Chine s’est appropriée ces îles dans le déni du droit international, elle doit faire accepter ce fait accompli. Cela implique un droit nouveau, un contrôle par la Chine d’eaux internationales (pour la navigation) et riveraines (pour l’exploitation économique). Si le reste du monde refuse ce droit, à commencer par les Etats-Unis, la Chine ira au devant de difficultés.

C’est peut-être une des raisons aux nombreux contrats chinois (253 milliards de $) signés avec des entreprises américaines lors de la visite de Donald Trump. C’est pour tenter d’enrayer, entre USA et pays riverains de mer de Chine du Sud, une alliance qui semblerait autrement en cours de redémarrage. En effet, les Etats-Unis ont repris cette année leurs circuits de surveillance maritime dans la zone. Ainsi, au sommet de l’APEC, siègera Trump, et à l’ASEAN, son Secrétaire d’Etat R. Tillerson. Leurs discours, en position d’arbitre entre Chine et riverains, seront très attendus.


Energie : La guerre de l’eau n’aura pas lieu

Barrage des Trois-Gorges, Canal Sud-Nord, train Pékin-Tibet, le Chinois rêve toujours de projets titanesques. Briser les fleuves les plus impétueux, forer les montagnes les plus hautes…

Ainsi, des chercheurs de la CAS (Académie Chinoise des Sciences) travailleraient sur un projet fou : un tunnel-canal de 1000 km, qui portera 25% du débit du Yarlong Zampo (15 milliards de m3/an) du Tibet au Xinjiang. L’eau doit arroser des dizaines de milliers de km² de désert du Taklamakan, comme il se fit au 20ème siècle en Californie. Le projet pourrait générer des milliers d’emplois, attirer des millions d’habitants, tout en améliorant le sort de la nation.

À titre de test, un tunnel se fore depuis août au Yunnan, de 600km, du sud vers le centre de la province. Il faudra 8 ans et 12 milliards de $ pour pouvoir acheminer 3 milliards de m3/an, offrant une nouvelle vie à la région.

Mais à peine l’annonce faite, Pékin a démenti : ce plan relève de la chimère, non du projet d’Etat, faute d’être faisable.

Parmi les obstacles, figurent : (1) l’impasse technologique – les pompes n’existent pas pour ralentir la chute verticale d’un débit de 15m de diamètre sur des kilomètres ; (2) la technique manque pour franchir les failles tectoniques, à forte activité sismique ; (3) la sédimentation pose problème—les moyens d’éviter l’engorgement du tunnel ; (4) l’aléas d’un assèchement des 35000 glaciers du Tibet d’ici 2050, rendant dès lors l’ouvrage obsolète et finalement, (5) le coût—au moins 100 milliards de $. Or, une alternative cent fois moins chère existe au Xinjiang, qui repose sur une nappe aquifère très abondante et d’une exploitation notoirement plus aisée…

Autre obstacle, le caractère politique du projet. En effet, une fois passée la frontière indienne, ce fleuve devient le Bramapoutre, cours sacré et dont dépendent des dizaines de millions de paysans jusqu’au Bengale. En Inde comme en Asie du Sud-Est, nombreux soupçonnent la Chine, détentrice de la source de tous les grands fleuves du continent (Fleuve Jaune, Yangtsé, Mékong, Bramapoutre…), de vouloir garder pour elle l’essentiel de la ressource (400 milliards de m3/an). Pékin, aujourd’hui, a un langage très clair : aucune politique de maîtrise de l’eau en ce pays n’aura lieu sans partage ni concertation. Il y aurait trop à perdre. Même sans arriver à une guerre de l’eau, un détournement du Bramapoutre sonnerait le glas des espoirs de la Chine de déployer ses nouvelles routes de la soie à travers l’Inde et le Bangladesh.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement lance au projet de la CAS la flèche du Parthe : ce plan « tient moins de la réalité, que de l’imagination de technocrates en mal de célébrité ».


Société : La Chine machiste en 2017

Le Forum de Davos (WEF, World Economic Forum) publiait le 2 novembre son tableau de l’égalité des genres, comparant chaque pays selon l’accès féminin à la santé, à l’éducation et à l’emploi par rapport aux hommes.

Pour la Chine, le bilan est sévère : depuis 2008 les chances des femmes régressent chaque année, le pays se retrouvant 100ème place sur 144. À sa décharge, le reste de l’Asie ne fait guère mieux, avec l’Inde au 108ème rang, le Japon au 114ème et la Corée du Sud au 118ème. Un pays sauve l’honneur : les Philippines 10ème mondial, juste devant la France.

En Chine, la pratique d’avortement sélectif qui perdure dans les campagnes, fait que la Chine est lanterne rouge en 2015, avec 113,5 naissances de petits garçons pour 100 filles.

Au travail, la femme « bûche » le plus, pendant 525 minutes par jour, contre 481 pour l’homme. Et  de retour à la maison, elle passe 44,6% de son « temps libre » en travail impayé : cuisine, corvées, suivi des devoirs de l’enfant. L’homme y passe 18,9%.

Côté cadres supérieurs féminins (directeurs, managers, profs de fac), la Chine n’est que 105ème voire 109ème en emplois officiels (administration, Parti Communiste, parlements). Les femmes ne sont que 25% des 88 millions des membres du Parti, 4,9% des sièges du Comité central et 4% (un seul siège) au Politburo.

Côté salaire, dans l’internet comme dans la communication, la santé ou les écoles, la femme gagne gaillardement 30% de moins que son collègue, et les annonces d’embauche pullulent, enjolivées de formules du type : « fille, passe ton chemin ! »

Pourtant en Chine comme ailleurs, cette discrimination cause à la nation un manque à gagner, en terme de talents inemployés. Si les hommes chinois acceptaient de laisser les femmes accéder à leurs emplois, la plus-value pour la nation, selon le WEF, atteindrait 2500 milliards de $. En Allemagne et en France, elle serait de 300 milliards.

En revanche, les Chinoises écartées des hautes sphères productives, se rattrapent au centuple, en gérant avec brio les groupes d’affaires qu’elles fondent. Sur 10 femmes milliardaires dans le monde, ne devant leur fortune qu’à elles-mêmes, six sont chinoises. Elles ont appris à se battre, seules ou en s’entraidant, et à surcompenser leur handicap social.


Petit Peuple : Liuhuayu (Shandong) – L’édifiante vie de Lu Enguang (1ère partie)

Génie et talent naissent dans la douleurs et la difficulté, tout le monde sait cela, et plus encore au Céleste empire. L’édifiante histoire de Lu Enguang est là pour le prouver – à peu de choses près.

Né en 1965 à Liuhuayu (Shandong), le petit Lu encore dans les langes, est emmené avec tout son clan au Dongbei, à 1000km plus au nord, pour échapper à la famine et à la Révolution culturelle. Il ne reviendra à Liuhuayu que 13 ans après, une fois le calme revenu, sa famille aussi pauvre qu’au moment du départ. Toutes ces épreuves précoces laissent l’adolescent obsédé d’amasser protection et richesses, pour mettre à jamais derrière lui le fantôme de la disette.

Au collège, il est studieux, attentif, bon en tout. Très bavard, il se distingua par une anxiété à convaincre son entourage, maîtres comme camarades. Autre remarquable trait de caractère, il était parfois pris d’une frénésie d’invention. Il passait des week-ends entiers à démonter moteurs, montres ou balances, pour tenter de les remonter.

Un peu fantasque, il en négligeait les études : lors du gaokao (bac) à 18 ans, il obtint un score médiocre, ne lui permettant d’entrer que dans les universités peu cotées. A 20 ans en 1985, il entrait comme maître à l’école du village.

En 1992, il obtint sa petite célébrité au Landernau local en ouvrant son atelier de verrerie, profitant des prix bon marché du sable et du charbon, les produits de base. Aussi, il inventa un outil de dessin géométrique, à usage scolaire, qu’il se mit à vendre inlassablement aux parents d’élèves.

Pour l’aider à lancer son usine pour produire son dessinateur automatique, ses amis collectèrent 10.000¥ et la mairie offrit 200.000¥.

Petit à petite, Lu Enguang s’éloigna du métier d’enseignant. Et pas par hasard… Au fil des années, il avait précisé son objectif de carrière : il voulait faire de la politique. Pour atteindre gloire et confort, il fallait devenir mandarin rouge, du genre de la personne que l’on assoit à la place d’honneur, à qui l’on sert les meilleurs mets, que l’on applaudit, fait discourir et comble de cadeaux. Désormais, c’était son but.

En reconnaissance pour sa verrerie scolaire, Lu fut élu vice-maire et entra au Parti. En 1993, il monta à Jinan, capitale de cette province de 80 millions d’habitants. Sa nouvelle fonction aida ses affaires : son dessinateur automatique entrait dans la liste des « inventions locales sous promotion accélérée ». L’année suivante, Lu créa sa société L’Arche, avec une usine et une maison d’édition. Ainsi passa-t-il alors vice-directeur du bureau des sciences et technologies de Gaomiaowang, le chef-lieu de district.

En 1996, s’appuyant sur son expérience accumulée dans les métiers du verre, il eut une autre idée de génie. Autour de lui, tout le monde buvait du thé à longueur de journée, dans un pot à Nescafé recyclé – un récipient non seulement inélégant, mais aussi peu pratique. Impossible à tenir en main quand le breuvage est bouillant, et insipide, devenu froid une demi-heure plus tard… En quelques semaines, Lu inventa un thermos de verre à double paroi, protégé par 37 brevets, baptisé « Pot de Noé », référence spirituelle à sa société. Le succès commercial fut au rendez-vous, d’abord modeste, jusqu’à en vendre pour 150 millions de ¥ en 2005, de Pékin à Lhassa. 

Fort de ce succès, Lu fut promu dès 1997 secrétaire du Parti à Gaomiaowang puis, en 1999, à la Commission consultative du Shandong. Ce n’était que le début…

En 2001, il débarquait enfin à Pékin, dans un secteur pour lui radicalement nouveau, à la tête du China Times, un quotidien municipal des affaires. Dès lors, il se mit à publier dans des revues savantes des articles sur la gestion des média et la stratégie de communication.

En 2004, autre saut de mouton, il atterrit au Sichuan, second exécutif à la ville industrielle de Suining. En 2006, caméléon politique, il retourne à Pékin diriger la Fondation nationale pour les handicapés. En 2007, on le retrouve au ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, bientôt fusionné en ministère des Ressources humaines et de la Sécurité Sociale, bombardé inspecteur et vice-directeur du Bureau de Supervision du travail.

Entre 2007 et 2008, Lu trouve le temps de soutenir sa thèse de doctorat, fruit d’années de labeur à l’Institut de droit de l’Académie des Sciences Sociales, sous le titre « Etude pour l’amélioration du système de détention préventive ».

Après un tel feu roulant de promotions il était logique que Lu reçoive en 2009 l’avancement décisif, au ministère de la Justice, vice-directeur aux affaires politiques et à la police. Six ans plus tard en 1995, il devint patron du département, avec rang de ministre. Et cette fois, ça y est ! Lu Enguang a réussi son pari, se hissant à la cime des échelons de l’administration. Il dispose d’un chauffeur, d’un cuisinier, d’un garde du corps, d’une villa de fonction… Marié, il a de beaux enfants – tout ce dont un homme peut rêver ! Pourtant, cet homme comblé vit dans l’angoisse perpétuelle, avec plus de nuits blanches que de tours du cadran – à juste titre.

Car une vie peut en cacher une autre. Et autant sa face visible pouvait paraître rangée et prévisible, autant celle cachée s’avérera immensément plus fantastique, inimaginable…

Attendez seulement, ami lecteur, la semaine prochaine… D’ici là, méditez sur le proverbe « 纸包不住火 » (zhǐbāo bù zhùhuǒ), on n’enveloppe pas le feu dans du papier !  La vérité-feu finit toujours par griller le mensonge-papier, et son menteur.


Rendez-vous : Semaine du 13 au 19 novembre 2017
Semaine du 13 au 19 novembre 2017

12-14 novembre, Canton : INTERWINE China, Salon international du vin, de la bière des procédés, technologies et équipements pour les boissons

14-16 novembre, Shanghai : FHC – Food & Drink, Salon international de l’alimentation et de la boisson

14-16 novembre, Shanghai : FHC China, FHC Retail & Hospitality Equipment, Salon international de l’alimentation, du commerce de détail et de l’hôtellerie

15-17 novembre, Xiamen : API China / SINOPHEX, Salon international de l’industrie pharmaceutique matières premières, chimie fine, ingrédients / machines et technologies

15-17 novembre, Xiamen : PHARMPACK, Salon international de l’emballage pharmaceutique

16-20 novembre, Shenzhen : China High-Tech Fair

16-26 novembre, Canton : AUTO Guangzhou, Salon international de l’automobile

17-19 novembre, Canton : China Leather / China Shoes / China Bags, Salon international de la maroquinerie, du cuir, des chaussures et des sacs

17-19 novembre, Pékin : CIOGE – China International Organic & Green Food expo, Salon international de l’alimentation biologique