Petit Peuple : Liuhuayu (Shandong) – L’édifiante vie de Lu Enguang (1ère partie)

Génie et talent naissent dans la douleurs et la difficulté, tout le monde sait cela, et plus encore au Céleste empire. L’édifiante histoire de Lu Enguang est là pour le prouver – à peu de choses près.

Né en 1965 à Liuhuayu (Shandong), le petit Lu encore dans les langes, est emmené avec tout son clan au Dongbei, à 1000km plus au nord, pour échapper à la famine et à la Révolution culturelle. Il ne reviendra à Liuhuayu que 13 ans après, une fois le calme revenu, sa famille aussi pauvre qu’au moment du départ. Toutes ces épreuves précoces laissent l’adolescent obsédé d’amasser protection et richesses, pour mettre à jamais derrière lui le fantôme de la disette.

Au collège, il est studieux, attentif, bon en tout. Très bavard, il se distingua par une anxiété à convaincre son entourage, maîtres comme camarades. Autre remarquable trait de caractère, il était parfois pris d’une frénésie d’invention. Il passait des week-ends entiers à démonter moteurs, montres ou balances, pour tenter de les remonter.

Un peu fantasque, il en négligeait les études : lors du gaokao (bac) à 18 ans, il obtint un score médiocre, ne lui permettant d’entrer que dans les universités peu cotées. A 20 ans en 1985, il entrait comme maître à l’école du village.

En 1992, il obtint sa petite célébrité au Landernau local en ouvrant son atelier de verrerie, profitant des prix bon marché du sable et du charbon, les produits de base. Aussi, il inventa un outil de dessin géométrique, à usage scolaire, qu’il se mit à vendre inlassablement aux parents d’élèves.

Pour l’aider à lancer son usine pour produire son dessinateur automatique, ses amis collectèrent 10.000¥ et la mairie offrit 200.000¥.

Petit à petite, Lu Enguang s’éloigna du métier d’enseignant. Et pas par hasard… Au fil des années, il avait précisé son objectif de carrière : il voulait faire de la politique. Pour atteindre gloire et confort, il fallait devenir mandarin rouge, du genre de la personne que l’on assoit à la place d’honneur, à qui l’on sert les meilleurs mets, que l’on applaudit, fait discourir et comble de cadeaux. Désormais, c’était son but.

En reconnaissance pour sa verrerie scolaire, Lu fut élu vice-maire et entra au Parti. En 1993, il monta à Jinan, capitale de cette province de 80 millions d’habitants. Sa nouvelle fonction aida ses affaires : son dessinateur automatique entrait dans la liste des « inventions locales sous promotion accélérée ». L’année suivante, Lu créa sa société L’Arche, avec une usine et une maison d’édition. Ainsi passa-t-il alors vice-directeur du bureau des sciences et technologies de Gaomiaowang, le chef-lieu de district.

En 1996, s’appuyant sur son expérience accumulée dans les métiers du verre, il eut une autre idée de génie. Autour de lui, tout le monde buvait du thé à longueur de journée, dans un pot à Nescafé recyclé – un récipient non seulement inélégant, mais aussi peu pratique. Impossible à tenir en main quand le breuvage est bouillant, et insipide, devenu froid une demi-heure plus tard… En quelques semaines, Lu inventa un thermos de verre à double paroi, protégé par 37 brevets, baptisé « Pot de Noé », référence spirituelle à sa société. Le succès commercial fut au rendez-vous, d’abord modeste, jusqu’à en vendre pour 150 millions de ¥ en 2005, de Pékin à Lhassa. 

Fort de ce succès, Lu fut promu dès 1997 secrétaire du Parti à Gaomiaowang puis, en 1999, à la Commission consultative du Shandong. Ce n’était que le début…

En 2001, il débarquait enfin à Pékin, dans un secteur pour lui radicalement nouveau, à la tête du China Times, un quotidien municipal des affaires. Dès lors, il se mit à publier dans des revues savantes des articles sur la gestion des média et la stratégie de communication.

En 2004, autre saut de mouton, il atterrit au Sichuan, second exécutif à la ville industrielle de Suining. En 2006, caméléon politique, il retourne à Pékin diriger la Fondation nationale pour les handicapés. En 2007, on le retrouve au ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, bientôt fusionné en ministère des Ressources humaines et de la Sécurité Sociale, bombardé inspecteur et vice-directeur du Bureau de Supervision du travail.

Entre 2007 et 2008, Lu trouve le temps de soutenir sa thèse de doctorat, fruit d’années de labeur à l’Institut de droit de l’Académie des Sciences Sociales, sous le titre « Etude pour l’amélioration du système de détention préventive ».

Après un tel feu roulant de promotions il était logique que Lu reçoive en 2009 l’avancement décisif, au ministère de la Justice, vice-directeur aux affaires politiques et à la police. Six ans plus tard en 1995, il devint patron du département, avec rang de ministre. Et cette fois, ça y est ! Lu Enguang a réussi son pari, se hissant à la cime des échelons de l’administration. Il dispose d’un chauffeur, d’un cuisinier, d’un garde du corps, d’une villa de fonction… Marié, il a de beaux enfants – tout ce dont un homme peut rêver ! Pourtant, cet homme comblé vit dans l’angoisse perpétuelle, avec plus de nuits blanches que de tours du cadran – à juste titre.

Car une vie peut en cacher une autre. Et autant sa face visible pouvait paraître rangée et prévisible, autant celle cachée s’avérera immensément plus fantastique, inimaginable…

Attendez seulement, ami lecteur, la semaine prochaine… D’ici là, méditez sur le proverbe « 纸包不住火 » (zhǐbāo bù zhùhuǒ), on n’enveloppe pas le feu dans du papier !  La vérité-feu finit toujours par griller le mensonge-papier, et son menteur.

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2 Commentaires
  1. viryviard

    Bonjour, j’attends avec impatience la suite de l’histoire de Lu. Entretemps je vais méditer près du feu sous enveloppe de cheminée … sur nos sommets vosgiens bien frais. Amitiés

  2. severy

    Dort-il accroché la tête en bas à la paroi d’une grotte, est-il revêtu d’une cape et d’un masque, est-ce une taupe du Guomintang, son QI dépasse-t-il la limite réglementaire de 80 imposée aux membres du Parti, s’est-il abonné secrètement à l’édition piratée en version chinoise du Vent de la Chine, va-t-il concevoir un pipeline pour apporter l’eau volée des montagnes du Tibet jusqu’à la base militaire des Spratleys afin d’arroser le ficus rabougri du commandant boutonneux de la base? A-t-il inventé un processus révolutionnaire à base de camomille pour conserver le corps ballonné de Mao? Encore une semaine à rester sur sa faim avant de connaître la solution de l’énigme.

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