Interview : Trois questions à… Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius

Trois questions à… Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius

VDLC : Quelques jours avant les « Deux Assemblées » (Lianghui)  tout semblait indiquer que des nominations ministérielles (le remplaçant de Qin Gang notamment) seraient annoncées. Or, dès le premier jour, le porte-parole a déclaré qu’il n’y en aurait pas. Comment interpréter cette annonce ?

Alex Payette : Considérant le retrait progressif des accréditations de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Qin Gang, et de l’ex-ministre de la Défense, Li Shangfu, beaucoup s’attendaient à voir Liu Jianchao être nommé ministre durant les « Deux Assemblées », et le nouveau ministre de la défense Dong Jun nommé à la Commission militaire centrale. Ceci dit, les « Lianghui » ne sont normalement pas le théâtre d’ajustements significatifs en matière de personnel. Pour ce genre de nomination, il faut plutôt attendre une rencontre du Comité Permanent de l’ANP.

Ce qui est curieux, c’est que Liu et Dong n’aient pas pu être nommés avant les « Lianghui » afin d’y assister dans leurs nouvelles fonctions. Le fait de ne pas avoir réussi à faire élire Dong durant les « Deux Assemblées » et Liu un peu avant, en dit long sur la situation au sein du leadership chinois. En effet, Dong Jun est encore loin de faire l’unanimité et Wang Yi n’est peut-être pas encore prêt à laisser sa place. Ce faisant, il se peut que Xi soit contraint de négocier avec les forces en présence afin de pouvoir reconstituer le Conseil d’État seulement une année après sa formation en mars 2023.

VDLC : La Chine a annoncé un objectif de croissance « d’environ 5% », soit exactement le même que l’an dernier. Entretemps, les observateurs s’accordent à dire que les conditions économiques se sont détériorées. Dans ce contexte, sera-t-il plus difficile pour Pékin d’atteindre cet objectif en 2024 ?

Alex Payette : Pour parler franchement, il est tout simplement inutile de parler de 5%. En effet, une majorité d’indicateurs démontre que le taux de croissance de 2023 et l’objectif annoncé pour 2024 ne sont pas réalistes : les ratios d’endettement des gouvernements locaux s’envolent, la demande domestique demeure faible et les exportations souffrent. Il n’est pourtant pas nécessairement impossible pour Pékin de se rapprocher des 5%. Le Premier ministre Li Qiang a notamment annoncé l’émission d’obligations qui serviront à financer de nouveaux chantiers d’infrastructures.

Ceci dit, les limites du modèle de développement économique alimenté par de la dette commencent à se faire sentir. Ainsi, sans plan de relance qui contiendrait des mesures visant à corriger certains problèmes dans le secteur immobilier et à entretenir de meilleures relations avec les pays occidentaux afin de faire lever certaines sanctions, la Chine serait plus proche de 3%, voire un peu moins.

VDLC : Justement, comment expliquer l’absence d’un plan de relance économique concret : l’appareil serait-il à court d’idées ou tout simplement paralysé dans l’attente du 3ème Plenum, reporté depuis novembre ?

Alex Payette : D’emblée, les « Deux Assemblées » ne sont pas le moment pour lancer un tel plan ; les « 3ème Plenums » le sont. Ensuite, il est nécessaire de rappeler que plusieurs acteurs sont censés travailler à l’élaboration d’un tel plan, attendu depuis 2018.

Il y a bien sûr le Conseil d’État. Cependant, ce dernier demeure très divisé : Li Qiang, qui, de toute façon, n’y connaît pas grand-chose, voudrait bien prendre un peu de galon en contrôlant l’agenda économique. Les vice-premier ministres He Lifeng et Ding Xuexiang voudraient eux aussi influencer ce portfolio. Tous veulent le faire, au détriment du bien commun, pour se faire bien voir aux yeux de Xi. Ainsi, la rivalité qui existe entre ces trois individus freine, voire paralyse, le processus d’élaboration d’un plan de relance.

En parallèle, le leadership a mis beaucoup de temps pour nommer les dirigeants des nouvelles commissions centrales des Finances et du Travail financier, si bien que l’on peut se demander si elles ont eu le temps de commencer à travailler ! Et même si c’était le cas, il y a fort à parier que, là aussi, les deux nouvelles entités se mettent des bâtons dans les roues…

Il y a un dernier élément à prendre en compte. Etant donné que Xi a fait démissionner ou purgé tous les réformateurs, trouver de véritables solutions qui pourraient avoir un réel impact sur l’économie chinoise, s’avère plus compliqué. En effet, les solutions discutées actuellement ne sont pas à même de résoudre les problèmes systémiques qui plombent l’économie. Toute réforme ou politique jugée trop « à droite » (plus « libérale ») ne sera pas acceptée. Voilà pourquoi les seules « solutions » que l’on rapporte à Xi demeurent pour l’instant prisonnières du carcan pseudo-productiviste et du besoin de contrôle du Parti.

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Alex Payette est cofondateur et PDG du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. 

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