Editorial : Le Roi est mort… vive la Chine !

De santé notoirement frêle depuis quelques années, Bhumibol Adulyadej (Rama IX), à 88 ans, le roi thaïlandais a fini par rejoindre ses ancêtres (13 octobre) – au grief de ses 67 millions de sujets qui lui vouaient souvent un culte passionné. Pour la Chine aussi, cette disparition est une perte, à plusieurs titres.

D’abord, le roi Bhumibol lui-même,  avait du sang chinois dans les veines – comme tant d’autres, issu d’une immigration chinoise des décennies en arrière. Et Bangkok elle-même, héberge une des plus importantes Chinatown au monde.
L’ambassade de Chine à Bangkok y est la plus étoffée, et les échanges fleurissent : en 1974, les investissements directs chinois approchaient les 2 milliards de $, créant usines, aquaculture, ou dizaines de milliers d’appartements de villégiature pour Chinois aisés. Technologie, textile et mobilier chinois croisent en chemin le riz thaï, les crevettes et l’électromécanique, pour 75 milliards de $. Le tourisme chinois explose : par avions et de plus en plus en voiture  (depuis le Yunnan, via le Laos), les Célestes « estivants » frisaient en 2015 les 8 millions – et ce n’est qu’un début.

Politiquement, tous les leaders chinois ont rencontré le roi et ses premiers ministres successifs. De plus, la Thaïlande, séparée de la mer de Chine par Cambodge et Vietnam, n’a aucun conflit avec la Chine, ni velléité de défense solidaire avec ses voisins de l’ASEAN.

Au contraire ! Depuis le coup d’Etat militaire en Thaïlande du « Conseil national pour la paix et l’ordre », et le maladroit grondement des Etats-Unis réclamant un retour à la démocratie, le Royaume s’est distancié de Washington, pour n’avoir aujourd’hui plus grand-chose à refuser à Pékin. Il serait bien imprudent pour un séparatiste Ouighour de mettre un pied au Royaume du Siam, au risque de se retrouver déporté vers la Chine. Quant aux dissidents kongkongais, ils ont appris à leurs dépends ce qu’ils risquent à venir s’exprimer au royaume des orchidées : au mieux, le refoulement à l’aéroport, au pire l’arrestation directe par des agents chinois. En retour, Bangkok peut commander 28 chars d’assaut VT4 avec option sur 153 autres, et 3 sous-marins diesels-électriques de classe Yuan, ces derniers pour un milliard de $ – moins cher que le matériel américain, et sans conditions. De même, l’armée royale tiendra l’an prochain avec l’APL ses seconds exercices interarmes conjoints.
Seule ombre au tableau est le blocage sur le TGV Nord-Sud en Thaïlande. La Chine a déjà renoncé à la gestion et à la billetterie, mais l’accord tarde à venir sur la durée et le coût des emprunts. Avec la Thaïlande, c’est assez rare pour être souligné, la Chine semble avoir rencontré un négociateur qui prend son temps et ne transige pas sur sa souveraineté.

A la mort du souverain, le Président Xi Jinping n’a pas attendu six heures pour présenter ses condoléances, soulignant sa contribution « irremplaçable » à l’amitié entre les deux peuples. 
Pour Pékin, ce décès pourrait s’avérer une opportunité pour ancrer plus fermement le royaume dans son orbite, en l’assistant dans cette phase délicate. Il peut aider Maha Vajiralongkorn le prince héritier, à s’imposer en dépit d’une mauvaise image : en offrant à Bangkok son TGV à des conditions imbattables ; et surtout, en équipant et formant les forces thaïes au Nord (à maîtriser les pirates infestant le haut cours du Mékong), et au Sud (à reprendre le contrôle des turbulentes provinces musulmanes à la frontière malaise).

Le prix à payer pour Pékin sera sans doute élevé. Mais il lui permettra de réaliser son rêve d’une liaison ferroviaire à grande vitesse, doublée d’une ligne de fret de Kunming à Singapour : elle sera sa nouvelle route de la soie vers l’Asie du Sud-Est. Elle déversera les biens et les populations vers le Sud, tout en y faisant reculer l’influence politique américaine. Deux objectifs qui, aux yeux de la Chine, n’ont pas de prix.

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