Religion : Le chemin de Damas du Pape vers Pékin

Entre l’église et le PCC, depuis la fermeture forcée de la nonciature apostolique à Pékin en 1951, les rapports ont été houleux sanglants, puis dormants. Ces dernières années pourtant, les choses changent, avec deux leaders de « sang neuf » :  Xi Jinping, le premier Secrétaire né après la révolution de 1949, et François 1er, le pape argentin. Tous deux trouvent des perspectives nouvelles, un terrain neutre pour s’entendre.

Le Pape François le révèle : Xi Jinping vient de lui faire remettre un cadeau, et vient aussi d’envoyer des délégués chinois à un colloque international sur la COP21 au Vatican, et d’autoriser l’échange d’expositions d’art entre la Cité papale et la Chine (une de Chine au Vatican, une de ses musées pontificaux en Chine). Tout ceci est sans précédent.

Surtout, le Pape François annonce l’existence d’un concordat sur la nomination des évêques – depuis des décennies le litige principal. A l’avenir, selon ce nouveau dispositif, la Conférence épiscopale chinoise devra faire une liste de trois candidats, après s’être enquise des avis « extérieurs » (ceux de l’église de l’ombre). Le Pape pourra rejeter tel ou tel nom dans la liste, s’il le juge notoirement inapte, athée (cela arrive !) ou marié, et c’est lui seul qui décidera au final.

C’est à peu près le système qui fonctionnait 10 ans en arrière, qui permettait la désignation consensuelle d’un nombre de prélats, avant de disparaître, sous une nouvelle flambée de méfiance et d’hostilités.

Tout semble donc prometteur — et pourtant sur le terrain, la situation est bien moins positive. Début septembre, l’Administration d’Etat aux Affaires Religieuses (la SARA, selon l’acronyme anglophone) présentait au public un futur règlement pour toutes les religions pratiquées en Chine—christianisme, bouddhisme, islam.

Sous peine de lourdes amendes, jusqu’à 30.000 € aux individus ou aux paroisses, il alignait 26 interdictions ou limitations : sans licence, aucune  messe, procession, ou fête votive ne serait licite. Tout lieu de culte (église, logement privé) devrait être validé – les cultes à la maison, très populaires à travers la Chine, seraient bannis. Toute subvention ou collecte, interdite et confisquée. C’est déjà le cas au Zhejiang, en pointe de la persécution religieuse depuis deux ans et qui s’est déjà distingué par l’arrachage de centaines de croix aux faîtes des églises. En cette province, le denier du culte doit déjà être remis aux autorités. Les séminaires clandestins seraient interdits, et tout pasteur, imam ou curé devrait être obtenir une licence. Même les stages  hors frontières, catholiques aux Philippines, protestants aux Etats-Unis, musulmans en Malaisie, n’existeraient plus qu’après l’obtention d’un permis.

A l’origine de ce tour de vis manifeste, se trouve Xi Jinping, toujours  très sourcilleux envers tout risque d’« influence étrangère » et de risque d’érosion du pouvoir du Parti. En mai 2015, il avertissait contre ce risque de dérapage sur le terrain religieux.

Face à ce retour de flamme autoritaire, la masse des fidèles se rebelle : de nombreuses lettres de protestation arrivent au Parlement. Li Guisheng, avocat protestant, en dénonce l’ « illégalité », car selon la Constitution chinoise, tout règlement sur les églises doit partir d’un vote au Parlement, et non des fonctionnaires du Conseil d’Etat.

Côté catholique aussi (au sein du clergé chinois), on redoute une tentative d’éradication des églises de l’ombre, ce qui semble pourtant improbable. Celles-ci sont déjà protégées par 60 ans de pratique de la foi en clandestinité. Mais ce qui risque d’advenir, en cas d’application dure du nouveau texte, est une formation théologique moins rigoureuse, et le risque accru de dérapage dans le sectarisme.

Il faut aussi relever que ce texte tente tout de même de protéger les religions. Par exemple les monuments religieux (bouddhistes, mais aussi chrétiens ou islamiques) doivent être « protégés » du tourisme, des taxes des cadres locaux, et d’un excès d’activités sans rapport avec le sacré – spectacles, mendicité, divination. Le règlement donne aussi 30 jours aux mairies pour répondre aux demandes d’ouverture d’églises, et les forcer à justifier par écrit un refus éventuel.

« En réalité, note James Tong, professeur à l’université UCLA, les règlements passés n’ont pas entravé la croissance de la foi en Chine, et le nouveau ne devrait pas agir différemment ». C’est sans doute une raison du silence du Pape François face à cette nouvelle action du régime contre ses ouailles.

Une autre raison, est l’enjeu, évidemment. Qu’il s’agisse du christianisme, du bouddhisme ou de l’islam, la Chine connaît un formidable engouement de la foi. Les chrétiens y sont plus de 80 millions (67 millions de protestants, 14 millions de catholiques). Chaque dimanche, selon une source, « les églises du Céleste empire accueillent plus de fidèles que celles d’Europe ». Aussi pour le Pape, il est urgent de se réconcilier, et de rétablir son influence sur cet immense troupeau : « Pékin vaut bien une messe » !

Il reste certes d’imposants obstacles, comme la question de Taiwan que le Vatican ne veut pas entièrement abandonner, ou celle des « lettres pastorales » que le Pape peut faire lire en chaire à travers toutes les églises catholiques de Chine – ce que le PCC ne peut pas tolérer. Mais le Pape a confiance : « nos négociateurs travaillent lentement, et c’est bien ainsi. Les choses qui vont trop vite, ne vont pas bien ».

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0.72/5
7 de Votes
Ecrire un commentaire