Politique : 6ème Plenum – Avant la bataille…

Suite à la réunion du Bureau Politique le 28 septembre, la CCTV annonçait la tenue du 6ème Plenum du Comité Central du 24 au 27 octobre,  le Parlement interne du Parti aux 370 membres et suppléants. D’ordinaire, ce meeting a lieu plus tôt en octobre. Le retard de cette année peut être le symptôme d’une tension interne, d’une difficulté à atteindre le réglementaire consensus sur des questions de fond : promotions des cadres, privilèges des factions, ligne politique.

Quoique invisible, la lutte est d’autant plus aiguë que le 6ème Plenum précède le XIXème Congrès de 2017, censé reconduire le Président Xi Jinping pour un second quinquennat comme Secrétaire général du PCC : celui où enfin débarrassé de ses rivaux, Xi pourrait lancer les grandes réformes systémiques promises et en souffrance depuis 2012.

Selon l’agenda, les travaux porteront sur le dépoussiérage de deux textes antiques (l’un datant de Deng Xiaoping, l’autre de 2003), sur une « résolution sur la conduite des institutions et des cadres du Parti », et un « règlement de supervision interne ». Autrement dit, l’éternelle question de conscience du PCC sur l’intégrité de ses cadres, et sur le fondement moral de la campagne anti-corruption. Mais apparaît aussi bien sûr, en filigrane, la question de la succession en 2022.

Durant l’été 2012 au moment de l’arrivée de Xi au pouvoir, Jiang Zemin (le Secrétaire général durant les années ‘90) avait réussi au dernier moment, en un véritable « coup de Jarnac » contre son successeur Hu Jintao, à placer 3 voire 4 de ses fidèles au Comité Permanent (organe suprême composé de 7 membres), cassant le schéma de succession préparé depuis des années par Hu Jintao. Ce dernier n’avait pu y nommer que Li Keqiang, l’actuel 1er ministre.

À présent, lors du 6ème Plenum d’octobre, tout l’enjeu pour Xi consiste à assurer le passage à la retraite des 3, 4 lieutenants de Jiang au Comité Permanent, toujours en état de bloquer sa route. Xi doit aussi entraver la montée des hommes de Hu à ce Comité – 7 d’entre eux sont au Bureau Politique (18 membres), et attendent leur heure. Xi veut obtenir une majorité dans ces deux organes, – et peut-être comme 1er ministre, le seul homme en qui il ait confiance, Wang Qishan, « l’exécuteur » de la campagne anti-corruption.  

Récemment, pour affaiblir Jiang Zemin, un de ses hommes, l’ex-Secrétaire et maire de Tianjin, Huang Xingguo, vient d’être mis en examen pour corruption.

Côté Hu Jintao, c’est toute la Ligue de la Jeunesse, sa machine de pouvoir, qui joue sa survie : Li Yuanchao (vice-Président), le Vice 1er Ministre Wang Yang ou le Secrétaire à Canton, Hu Chunhua qui avait été pressenti en 2012 pour succéder à Xi en 2022. Critiquée sans relâche depuis janvier pour « élitisme » et « incompétence », la Ligue a vu son budget pour 2016 amputé de moitié.

Nombreux analystes s’interrogent si Xi Jinping osera aller plus loin, et briguer un 3ème mandat en 2022. Si c’est le cas, il devrait s’y prendre dès ce 6ème Plenum, en empêchant le Comité Central de désigner son successeur à l’issue de son second quinquennat.

En 2002, Jiang Zemin avait introduit une règle de succession dite « 7 monte, 8 descend » (七上八下): à 67 ans, on est promu, et à 68, on prend sa retraite ! Cette directive complétait celle de Deng Xiaoping qui confiait au Secrétaire général le choix, non de son successeur, mais celui de la génération suivante (soit 10 ans après la fin de son mandat de deux quinquennats). Il s’agissait de protéger le régime contre le pouvoir solitaire, comme celui de Mao ayant failli naufrager le Parti entier.

Xi voudra-t-il se maintenir ? Et trouvera-t-il la majorité pour le faire ? C’est la question centrale de ce Plenum. Sa concentration des pouvoirs est la plus forte depuis Mao, sans doute. Mais en sous-main, nul doute que des groupes tenteront de lui faire obstacle.

Xi pourrait commencer par abolir la règle du « 7 monte, 8 descend », non à son profit mais à celui de son bras droit, Wang Qishan qui, à 69 ans, est censé se retirer en 2017. Et ce qui, permettrait à Xi en 2022 (qui aura 69 ans), de se maintenir au-delà de l’âge limite. Mais briser ce principe, lui fait courir le risque de voir les hommes de Jiang réclamer le même droit pour eux-mêmes !

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Mais retournons au sujet n°1 à l’agenda : la discipline et la supervision. Il s’agit en fait d’évaluer l’effet de 36 mois de campagne anti-corruption. Or ici, selon Xi Xing et Li Zhen, chercheurs à l’université Sun Yat-sen de Canton, le bilan auprès de l’opinion est tout sauf positif. Sur 83.300 personnes sondées à travers tout le pays, une majorité se rallie à l’idée que « le pouvoir central est plus corrompu que les pouvoirs locaux » – que c’est les fautes d’en bas ont été provoquées par celles d’en haut. En effet, en trois ans, 750.000 cadres ont été « sanctionnés », mais la punition s’est dans l’immense majorité des cas, limitée à un « avertissement » ou à un « blâme ». En 2015, « seuls » 36.000 ont été déférés à la justice : moins de 0,5% des 7,5 millions de cadres.
Tout se passe comme si cette campagne débouchait sur une équation sans solution : après avoir révélé le pourcentage lourd de cadres corrompus (80% selon le professeur Ding Xueliang, de Hong Kong), les instances dirigeantes refusent de confier le « redressement du mal » à une instance extérieure à la sphère originaire de la faute – donc à la justice et à la loi.

C’est peut-être pour dissiper cette brume malsaine qu’est prononcé, à 14 jours du Plenum, un verdict exemplaire : Bai Enpei, l’ex-secrétaire du Yunnan reçoit la peine de mort, pour avoir détourné 37 millions de $ en 13 ans—un record ! Cette peine sera peut-être commuée en perpétuité, mais pour la première fois dans l’histoire du PCC, ce cadre au rang de ministre se voit interdire d’avance toute perspective de libération anticipée ou de réduction de peine.

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Un autre scandale inouï  émerge : 45 élus du Liaoning  sont expulsés du Parlement national…et surtout 454 élus du Liaoning sont exclus de leur Assemblée provinciale—soit 75% de tout ce Parlement—convaincus d’avoir acheté leur charge en 2013. Ceci pose deux questions brûlantes : comment fait on pour reconstituer en cours de législature une assemblée entière, et que faire des lois votées en 4 ans, en vigeur au Liaoning, quoique leurs législateurs aient pu les adopter dans leur intérêt de lobbyiste corrompus plutôt que dans celui du peuple.

Du point de vue de l’opinion, ce dernier scandale est un désastre, qui jette le doute sur l’intégrité de toutes les provinces et autres entités territoriales du pays. David Kelly, directeur de l’ONG pékinoise China Policy, prédit d’ailleurs que vu le choc moral d’une telle perspective, tout débat sur la qualité du système électoral de base en Chine, sera a priori occulté : le Plenum fera comme si rien ne s’était passé.

Afin d’alléger un peu le climat de ce Plenum, commencent à apparaître quelques « réformettes » techniques. Ainsi le 9 octobre la NDRC, le super ministère en charge de l’économie, édictait la fin de l’encadrement du prix du sel : le gouvernement met fin à son prix obligatoire à tous les niveaux de la chaîne de production, mettant ainsi un terme à deux millénaire d’emprise publique sur ce produit vital. Ainsi 300 producteurs nationaux, 4000 distributeurs vont commencer à s’entredévorer, dans un combat sans pitié, et salé…

À la veille du Plenum enfin, s’entendent plusieurs petites voix discordantes, venues du bas. D’abord celle de la pétition de 168 avocats déposée au Conseil d’Etat, réclamant la révocation d’amendements concernant l’exercice de leur profession. Ces nouvelles dispositions enfreignent, disent-ils, les libertés de parole, de presse et d’association, inscrites dans la Constitution, et facilitent leur arrestation dans les cas où ils chercheraient à faire pression sur la justice…

manifestationsaplpekin

Il y a aussi cette manifestation à Pékin le 11 octobre, devant le ministère de la Défense, de 1000 soldats en guêtres de combat (partie des 300.000 militaires démobilisés depuis septembre 2015), venus réclamer du travail. Le Journal de l’APL traite l’incident en avertissant contre des « forces hostiles » qui voudraient saper la réforme en cours de l’APL. 

Il n’empêche, ces deux incidents montrent que malgré la censure, des pressions s’accumulent parmi la société, explicitant un besoin de changement de systèmes restés trop longtemps traités à coup d’expédients, et pouvant de moins en moins attendre.

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