Petit Peuple : Fengyang (Anhui) – Chute et rédemption de Zhang Liwei (1ère partie)

A Daqing (Heilongjiang) en 2000, la famille de Zhang Liwei vivait à l’aise, du commerce du bois de pin du Nord-Est et du bouleau de Sibérie. Fils unique, le jeune s’était vu accorder toutes ses lubies et de l’argent sans compter. De la sorte, il était devenu un fêtard invétéré, passant ses nuits entouré de jolies demoiselles, à boire, chanter et jouer au mah-jong. Mais un soir du 9 novembre, un drame venait interrompre cette vie oisive, qu’il pimentait de petits délits. Son père l’avait privé d’argent, et sa mère ne l’avait plus dépanné. Malheureusement pour lui, Liwei avait sa bande, ses trois compagnons de débauche, aveuglément dévoués. Cette nuit, ils avaient un plan B : « taper » (aux 2 sens du terme) Ailun, un jeune millionnaire qui passait ses nuits en boite de nuit. Ce trouillard ne se défendrait pas, ils le connaissaient : ce serait du tout-cuit !

Ils l’attendirent, cachés à l’entrée du parking du club. À 23h00, la Porsche Panamera métallisée s’immobilisa en un crissement de pneus sur le gravier. La portière s’ouvrit, dévoilant l’éphèbe en costume blanc : ils se jetèrent alors sur lui. Mais maldonne, les autres portières s’ouvrirent, dévoilant trois armoires à glace… Et voilà que Ailun tirait de son blazer un canon d’acier bleuté, visant Liwei… Par réflexe, ce dernier dégaina en premier et tira, faisant éclater son crâne, puis celui d’un des gardes du corps. Un des ses amis décocha au deuxième vigile, un coup de poignard en pleine poitrine – le troisième s’enfuit sans demander son reste.

Liwei et ses hommes sortaient donc éclatants vainqueurs, mais à quel prix ! En effet, les cris sauvages de la rixe avaient attiré du monde, des projecteurs s’étaient allumés et le videur du club, avec tous ces témoins, dardaient sur les tueurs des yeux écarquillés : Liwei et ses sbires s’enfuirent…

Liwei rentra chez ses parents, les réveilla. À l’annonce de la terrible nouvelle, sa mère s’effondra en larmes. Son père résuma la situation : « s’ils te prennent, c’est la peine de mort ».  Sa seule chance était la fameuse stratégie du « moyen du désespoir » (mei you banfa de banfa, 没有办法的办法) : prendre ses jambes à son cou sans perdre une minute. Dès le lendemain, aux cris d’orfraie des influents parents du jeune mort, toutes les polices se lanceraient sur ses traces. Et pour aggraver son cas, suite à ses frasques passées, Liwei avait déjà été fiché : sa fiche anthropométrique était prête à être diffusée sur tous les écrans de tous les commissariats de l’Empire…

En son malheur, Liwei avait au moins une chance : à cette heure, un camion du chantier de son père, s’apprêtait à partir pour le Shandong, à 166 km. Aussi 30 minutes après, le fils était avec son père devant le semi-remorque, pour des adieux sans retour : « Que Guanyin (la déesse de la compassion) t’accompagne », lui souffla-t-il. Avant l’accolade, il lui confia en viatique une enveloppe remplie de billets de banque. Puis l’engin s’ébranla et disparut dans l’obscurité… 

En dépit des heures aux côtés du chauffeur muet, Liwei ne put trouver le sommeil. La violence qui venait de déferler sur lui et ses victimes, sans l’avoir vraiment prévue ni même voulue, le forçait à un examen de conscience. Un instant venait de suffire à bouleverser sa vie à jamais, lui faisant changer de statut social, l’arrachant au club très fermé des fils à papa de Daqing à qui tout était dû, pour forcer son entrée au groupe encore plus exclusif des malfrats haïs et redoutés, assassins traqués et ennemis publics.

Le plus pénible, était cette impression inouïe, étrange et insupportable, de souillure morale. Jusqu’alors, Liwei avait toujours su fermer les yeux sur la nuisance qu’il causait à la société, la maquillant en preuve d’audace existentielle et de liberté créative. Mais à présent, cette image frelatée laissait place à un vide, à une nullité morale qui l’anéantissait par l’horreur du sang versé.

Une fois déposé 24 heures plus tard sur une route déserte, le fugitif entama son périple d’errance. Immédiatement acclimaté à sa condition de réprouvé, il était passé naturellement au mode de survie le plus discret, le moins repérable. Comme les pauvres, il se sustentait debout aux tricycles à nouilles sur le bord de la route. Il marchait la nuit, dormait le jour en se cachant.

Il se surprit de voir émerger chez lui un comportement inédit : chaque fois qu’il se trouvait seul, il s’agenouillait, implorant Dieux et ancêtres pour le pardon de son crime.

Il lui fallut 4 mois pour atteindre le Jiuhua, un des 4 monts sacrés bouddhiques du pays. C’était en février 2001, lors du passage à l’année lunaire du Serpent. Au monastère Baisui, il entra. Dans la halle du Bouddha couché, déserte, mis à part le frère de garde endormi, il ouvrit discrètement son havresac, tira une à une les liasses de billets roses données par son père, les glissa dans l’urne de bois et de verre, avant de redisparaître dans l’aube naissante : la suite serait « à Dieu-vat »!

Il revint le soir, s’étant rasé le crâne et passé une robe carmin usée achetée 5¥ la semaine précédente sur un marché de nippes. 
Dans la cour, telle une ruche dérangée, le sanctuaire vibrait de positivité : courant en tous sens en chantant des vêpres chacun pour soi, les frères célébraient le don génial, les 50.000¥ offerts par Bouddha en étrennes de l’an neuf.  Aussi accueillirent-ils sans poser de questions cette recrue tombée du ciel, s’offrant à partager leur vie. Reniant (cachant) son nom passé, Liwei se présenta comme Hongtao, la « Forte vague ». C’était celle qu’il promettait de faire déferler au service de la vertu. Son nouveau nom de famille, Sun évoquait  l’obéissance au groupe et à ses règles. Tout le reste de sa vie, le fugitif prétendait désormais suivre la Voie !

Réussira-t-il ? Il y a loin de la coupe aux lèvres ! La suite au prochain numéro…

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