Petit Peuple : Xuanwei (Yunnan) – La fugue de Xiao Miao (1ère partie)

Dans un village de Xuanwei (Yunnan), ce jeudi 29 juin 2017, Xiao Miao, écolier de 10 ans, tremblait de tout son corps—et pour une bonne raison : c’était le jour de l’annonce des résultats de l’année scolaire, devant tous les parents. ça passe ou ça casse !

Petits boutiquiers, les parents de Xiao Miao travaillaient dur chaque jour pour lui offrir une éducation, une vie meilleure. L’effort en valait la peine pour permettre au clan de s’arracher à la misère. Ceci expliquait pourquoi depuis des années, ils étouffaient Xiao Miao d’ordres d’étudier jusque tard dans la nuit. Au moindre signal de relâche, ils l’assommaient de reproches. Jamais Xiao Miao n’avait droit aux sorties avec les copains, ni même acheter quelques bonbons au retour de l’école. Les vacances étaient sacrifiées en interminables séances de révisions, leçons ou devoirs. Or ce traitement féroce avait fini par aboutir à l’effet inverse de l’attendu : Xiao Miao avait commencé à perdre pied. Tétanisé par la peur de l’échec, incapable de se concentrer, il ne parvenait plus à suivre en classe.

Aussi ce jeudi, sa pire hantise se matérialisa, inéluctable : livide comme tous les autres, il entendit de la bouche de la directrice, la liste des bons éléments, dont il n’était pas, et celle des cancres, dont il faisait partie. C’était la fin du monde pour lui ! En pleurs, il rejoignit ses parents, figés. Sur le chemin du retour, son  père contenait mal sa fureur, tandis que sa maman tentait de l’amollir, invoquant maladroitement des circonstances atténuantes.

À peine au domicile, le père le roua de coups. Puis il fut envoyé dans sa chambre, le corps endolori, sans même avoir mangé. Une fois seul, succédant au désespoir, Xiao Miao sentit la rage l’envahir. La colère le libéra, lui permettant de refuser l’injuste punition. De plus, son père ne l’avait jamais aimé : il n’était qu’un monstre ! Soudain, la rage lui souffla l’intuition d’une solution géniale, la liberté à portée de main,  et prouver qu’il savait vivre en se passant des autres.

Sans perdre une seconde, il passa de la pensée à l’acte. Vidant son cartable à même le sol, il y flanqua sa gourde remplie d’eau, sa lampe de poche, et puis se faufila hors du foyer pour ne jamais revenir. Il voulait trouver refuge au « bout de la terre ». Dans son esprit de petit bonhomme, cela voulait dire Chongqing, à 800km. Mais comment y aller ? Elémentaire, mon cher Watson : à pied !

A la lumière crue de la lune en croissant, sous les étoiles, Xiao Miao s’enfuit, retenant son souffle, s’efforçant de marcher à pas légers pour ne pas alerter les chiens. Il espérait que ses parents ne découvriraient sa disparition qu’à l’aube, n’appelant qu’alors la police. Ce scénario lui laissait une chance de quitter la ville par le plus court chemin.

Après les dernières maisons, Xiao Miao ne vit plus que l’asphalte éclairé par la lune et les phares de quelques camions, tanguant dangereusement sur la route. Aux trois quarts endormis, les chauffeurs roulaient à tombeau ouvert – l’enfant décida alors de marcher à travers champs. Il avait faim bien sûr, et déjà soif. Gardant le souvenir cuisant de la rossée de la veille, ses petites jambes brûlaient au contact des ronces et orties. Mais il restait en état de veille, animé par un mélange de rage et d’exaltation – il était en souffrance, en effort, mais libre, et ce sentiment nouveau était fabuleux !

Au bout de quelques heures à crapahuter dans le maquis, il trouva enfin son havre de paix — un tas de feuilles mortes au bord d’une clairière. Sans demander son reste, il s’allongea et s’endormit séance tenante. Ce fut pour se réveiller à l’aube, trempé de rosée. La faim le tenaillait plus que jamais, et il avait fini son eau. Mais ici au moins, il ne risquait pas de se faire prendre.

Xiao Miao se remit en chemin, vers ce qu’il pensait être la route de Chongqing, selon la position du soleil. Il restait clair et déterminé – sans retour en arrière. Un grand jeu de piste était engagé. La famille, l’école, tout cela appartenait au passé. Et devant lui, il avait la nature, la grande aventure et la vraie vie, qui lui tendaient les bras, souriants alliés. 500m plus loin, il trouva un ruisseau d’eau claire, lui permettant remplir sa gourde. Cette découverte fut pour lui comme un discret encouragement des Dieux à poursuivre sa fugue.

De son œil d’enfant, tout en marchant, Xiao Miao scruta son environnement, en quête de tout outil de survie. Il traversa une ancienne usine aux verrières rouillées et vitres hérissés d’éclats. Le lieu était sinistre mais totalement désert, ce qui lui permit de commencer à fouiller. Il y  trouva une canne, une casserole cabossée, une lame de couteau sans manche et un briquet – trésors qu’il fourra dans sa besace.

Derrière une petite habitation, il tira d’une poubelle un petit pain vapeur rassis, une banane presque pourrie, qui constituèrent son premier repas en 24h—véritable festin selon lui !

Xiao Miao fit alors son bilan : la vie était dure, mais pour la première fois, il ne recevait d’ordre de personne. Et la nature ne cessait de lui donner des coups de pouce. Après avoir été toute son enfance le faire-valoir de ses parents, Xiao Miao se voyait projeté héros de sa propre aventure. Mais saurait-il survivre et ainsi préserver sa liberté ? Éviter l’erreur qui l’« embarque sur le navire des pirates » (wù shàng zéi chuán , 误上贼船) ?

Il n’allait pas tarder à le découvrir, comme nous-mêmes, au prochain numéro !

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