Les premiers pas de Xiao Miao dans cette jungle autour de Xuanwei (Yunnan), avaient été difficiles. Ils lui avaient coûté un effort physique auquel il n’était pas préparé. Mais sa bonne étoile ne l’avait jamais quitté, lui donnant toujours au moment nécessaire, de quoi boire, manger et se reposer en sécurité. Elle semblait tout faire pour l’aguerrir à temps, en une lutte contre la montre et les dangers de la terre sauvage. De fait, ce n’est qu’après 48 heures de fugue, délai très bref, que lui fut imposée cette espèce examen d’entrée à la nature. Sur ces sentiers sauvages, faisant craquer sous ses pieds les brindilles mortes, l’enfant vit soudain se dresser devant lui un serpent d’un mètre cinquante, luisant noir et gris de toutes ses écailles, oscillant de sa tête triangulaire et dardant de la gueule une langue bifide.
Xiao Miao eût pu paniquer et détaler comme un lapin. Au lieu de cela, sans réfléchir, il abattit sur le serpent la canne trouvée l’avant-veille dans un dépôt d’ordures. Courageusement, il atteignit le reptile à la tête, et le tua du premier coup. Il resta l’observer de longues minutes, maintenant sa proie inerte à prudente distance. Puis il assembla deux poignées de feuilles mortes, trois branches sèches et lança un feu de joie. Tandis que le feu devenait braise, il prit sa lame et sectionna la vipère en morceaux, écartant la tête du bout du bâton et la jeta dans les fourrés. Il enfila les tronçons sur une pique de bois vert, qu’il planta au dessus des tisons. Quinze minutes après, avec fierté, il grignota son gibier rôti, fruit de sa première chasse, et constata avec satisfaction, qu’à cet examen-là, il était reçu ! Douce revanche pour le camouflet infligé par l’école. Les hommes l’avaient rejeté, mais la nature l’embrassait. Ce choix-là avait, à ses yeux, cent fois plus de valeur.
Les jours suivants furent employés en doux farniente, à baguenauder à travers un royaume sans limites de fougères, d’arbustes, et de vagues banlieues. Xiao Miao faisait ce qu’il voulait, quand il voulait, se couchant avec les poules, et se levant à l’aube pour prendre un petit-déjeuner de mûres, fraises et autres baies sauvages. S’aventurant dans des lotissements, il s’attardait dans les poubelles collectives, sélectionnant canettes de soda et bouteilles plastique qu’il allait revendre au chiffonnier du coin. A sa première livraison, il obtint huit billets graisseux d’un yuan, qu’il convertit illico en deux épis de maïs grillés suivis d’une glace en bâtonnet, parfum haricot rouge.
Une semaine après, il n’avait pas beaucoup progressé vers Chongqing, sa destination finale. Mais il s’en moquait. Le véritable objet de sa quête, était cette initiation en cours, avec pour maître le bois, et maîtresse la rivière.
Un jour, il trouva par terre un vieux porte-monnaie sustenté de 30 yuans. Sans perdre une minute, il acheta une roubing (galette poêlée à la viande), un soda, et aussi un carnet et un stylo pour consigner ses journées. Car Xiao Miao le pressentait, une fois éteinte l’ardeur de l’aventure, il fallait en conserver les cendres sous forme de mots, pour pouvoir en goûter plus tard les merveilles et s’en rappeler à jamais, comme les plus beaux jours de sa vie d’enfant. Une autre fois, la chance le rendit maître d’un téléphone portable tombé à terre. Mais cette fois, le chiffonnier le roula : prétextant une griffure sur l’écran, il ne lui en donna que deux yuans.
Presque chaque jour, traînant dans la rue, Xiao Miao voyait des femmes charitables lui offrir de venir chez elles prendre un bol de riz. Il refusait toujours : d’abord, par dignité, ses vêtements étant tout crasseux. Mais surtout, il se méfiait : qu’est-ce qui empêchait la bonne âme d’appeler la police ou pire, de le kidnapper ? Cela valait cher, un garçon, sur le marché noir… Ainsi, obtenir une belle somme de la part d’une famille en mal d’héritier, n’aurait posé aucun problème de conscience. Après tout, ils aidaient les acheteurs à « assurer leur descendance » (掳人勒赎, lǔrén lèshú)…
Au fil du temps, Xiao Miao devint expert dans l’art de pénétrer dans les granges pour y passer la nuit, quitte à repartir aux aurores, évitant la rencontre avec le fermier.
Un matin, après un dîner de fruits acides, il tomba malade : se rappelant un remède de sa grand-mère, il alla déterrer des racines de gentiane, et les fit bouillir. Une heure après, il fut sur pied.
Une autre fois en forêt, il se laissa surprendre par un orage. Grelottant de fièvre, il ramassa un bouquet de pissenlits, dont il se fit une tisane. Là encore, il réussit à se soigner.
Enfin le 23 juillet, vit la fin de son escapade, victime d’un excès de confiance. Il avait fini par se bricoler une cahute, ce qui le rendait visible. Une patrouille de police repéra l’enfant noir de crasse et amaigri.
Ils le ramenèrent au poste à Zhaotong (Yunnan), le nourrirent, le lavèrent, le rhabillèrent de propre. Deux heures plus tard, son père arriva. Xiao Miao avait raconté son odyssée : face aux pandores, aux journalistes accourus, le père promit de ne plus jamais battre, ni disputer Xiao Miao, devenu sa fierté après avoir survécu au total 25 jours sans aucun soutien !
Xiao Miao retourna ainsi chez lui, guéri de sa colère contre ses parents et ses professeurs. Ce stage « à la dure » lui avait permis de pardonner, de relativiser les choses. Mais chaque jour de survie l’avait renforcé. Dès lors, il était prêt désormais à retourner sur les bancs de l’école.
Rien que du bonheur donc, dû à l’intervention magique de Dame Nature et aussi, il est vrai, de son propre courage, pour avoir osé sauter le pas.
1 Commentaire
severy
13 septembre 2017 à 11:31Rien que du bonheur. Et raconté de main de maître par Éric Twain-Meyer. Un millésime.