Editorial : La Chine, météore

Depuis 10 ans, les « données massives » (big data) interprètent les comportements humains et en prédisent les évolutions probables de nos sociétés. En Chine, une double étude de 2010 et 2017, par l’équipe de Homi Kharas, vice-directeur à la prestigieuse Brookings Institution, propose un arrêt sur image saisissant sur ce pays, et son comparé au reste du monde. Ces résultats ont été compilés à  partir des données démographiques, mais aussi  des bulletins de salaires, revenus et niveau de consommation ces dernières années dans toutes les grandes villes chinoises.

Pour résumer sa thèse, la cohorte des 160 millions de Chinois aux revenus moyens (entre 16.000$ et 160.000$/an) en 2009, est en train d’exploser pour atteindre 850 millions en 2030. Ils représentaient 12% de la population, ils seront 73%. A ce stade, la pauvreté aura été éradiquée depuis belle lurette ! Les 17 ans qui nous séparent de cette phase traduisent une transition six fois plus rapide que celle constatée lors des révolutions industrielles précédentes, du Royaume-Uni au XIX. siècle, des USA des années ‘20, du Japon des années ‘50.

Comparée aux autres continents, l’avancée chinoise a de quoi décoiffer. En 2030, l’Europe, avec ses 550 millions d’habitants, n’en ajoutera que 16 millions à sa classe moyenne et les  Etats-Unis verront même fondre la leur, du même nombre. Sur ces continents matures, la paupérisation guettera, complice de l’émergence d’une poignée de milliardaires, tandis que la bourgeoisie se trouvera bloquée dans le « piège du revenu intermédiaire », écrasé d’impôts nécessaires pour soutenir les groupes sociaux vulnérables. D’ailleurs, entre 2010, 2020 et 2030, les trois « grands » pays européens, Allemagne, Royaume-Uni et France descendent ou disparaissent de l’index des 10 premières nations consommatrices. 

Pendant ce temps, le décollage chinois s’accélère : en 2010, Kharas prévoyait d’ici 2030 un marché intérieur chinois de 10.000 milliards de $, soit 18% du monde. Mais aujourd’hui, il croit pouvoir lui prédire une consommation de 14.300 milliards de $, soit 22% du monde. A cette date, la population chinoise qui représente elle aussi 22% de celle mondiale, consommera sa « juste » part du produit mondial brut.

Le regard sur les autres continents est aussi instructif. L’Inde déçoit, et fait moins bien qu’attendu. En 2010, Kharas lui attribuait pour 2030 une consommation de 12.800 milliards de $ soit 23% du monde. En 2017, il révise son chiffre pour 2030 à 10.700 milliards de $, soit 17%. Les Etats-Unis, très stables entre 2010 et 2030, consommeront 4.000 milliards de $, 7% du monde. L’Europe qui consommait 10.900 milliards de $ en 2015, verra son score s’améliorer pour 2030, à  12.500 milliards de $. Mais en proportion mondiale, ce volume signifie en réalité un déclin manifeste. Ses 31% de consommation mondiale de 2015 se seront réduits à 20% en 2030.

De toutes ces projections, la conclusion est sans appel : la Chine arrive, à vitesse de l’éclair, première puissance mondiale—économique, voire militaire, financière, commerciale, technologique et autres. Et elle s’y prépare. En dépit des apparences ou des problèmes d’égo nationaux pour les puissances « descendantes », Europe, Amérique, Australie ou Japon, la nouvelle donne est tout sauf un mal. Loin de se replier sur elle-même à l’instar des Etats-Unis de Trump, la Chine géante et solvable se tourne vers le monde pour y puiser son complément d’éducation, de santé, de loisirs, de libertés. Elle le fera toujours plus, quitte à investir dans les industries, services et agricultures, à l’étranger, à un niveau jamais connu par le passé.

C’est une manière de dire que le monde n’aura d’autre choix que de travailler avec la Chine, dans l’esprit de Spinoza, « non flere, non indignari, sed intelligere » – ne pas se plaindre, ni s’indigner, mais comprendre.

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